L’industrie de l’assurance de dommages a connu une bonne année 2012, au Canada. S’il n’y a pas de catastrophes majeures qui frappent le pays en 2013, plus particulièrement sur la côte est, le même scénario devrait se répéter.Ce marché doit toutefois composer avec plusieurs problèmes de taille. Les contraintes règlementaires, les pressions politiques et la situation économique ne semblent pas vouloir faire relâche, ni cette année ni plus tard.

Malgré tout, 2012 figure parmi les bonnes années, peu de catastrophes d’envergure l’ayant ponctuée. Parallèlement, la croissance des primes d’assurance habitation a été de 7,7 % et celles d’assurance automobile, de 3 %. Selon Joel Baker, président et chef de la direction de MSA Research, l’industrie de l’assurance de dommages au Canada aurait même affiché un rendement sur l’avoir des actionnaires supérieur à 11 %. C’est la première fois depuis 2007 que ce résultat s’exprime dans les deux chiffres.

« Le marché devrait être capable d’aller chercher, encore une fois, un rendement dans les deux chiffres, en 2013, mais plusieurs facteurs pourraient l’en empêcher », écrit-il dans le MSA Quarterly Outlook Report.

Les assureurs ont deux grands défis : la politique provinciale et le retard accusé par le traitement des litiges liés aux dossiers de blessures corporelles dans certaines provinces et, plus particulièrement, l’Ontario.

À cela s’ajoutent les taux d’intérêt, précise M. Baker : « Ils font encore plus mal lorsqu’il faut réinvestir les obligations arrivées à échéance. Si les taux finissent par augmenter un jour, une grande partie du portefeuille aura alors été gelée dans des titres qui rapportent peu. »

La capitalisation des sociétés d’assurance reste quant à elle un atout plutôt intéressant aux yeux des analystes qui s’intéressent au secteur. La souscription continue de s’améliorer quelque peu. De nouvelles façons de fixer les prix ont aussi contribué à améliorer le bilan. « 2012 aura été plutôt bonne, peut-être même un peu meilleure que ce à quoi on s’attendait, affirme Paul Holden, analyste boursier aux Marchés mondiaux CIBC. En début d’exercice, nous pensions atteindre une croissance de près de 8 %. Je crois que ces résultats supérieurs sont en partie liés à l’amélioration de la rentabilité et à l’augmentation des taux d’assurance automobile en Ontario. »

Shubha Khan, vice-président de l’analyse financière à la Financière Banque Nationale, suit l’évolution d’Intact Corporation financière, la plus importante société d’assurance de dommages du Canada. Grâce à son envergure, dit-il, « cet assureur a davantage profité de la hausse des prix que ses concurrents. »

Intact a connu un quatrième trimestre explosif, dans le sens positif du terme, puisque le ratio combiné de la compagnie s’est établi entre 60 et 65 %, alors que la moyenne se situe souvent autour de 90 %. L’entreprise a profité de l’occasion pour utiliser ses provisions pour pertes de façon proactive, en traitant les demandes de règlements pour lésions corporelles accumulées en Alberta, où les litiges sont en hausse. « Ils ont exercé leur pouvoir de gestion pour se protéger de la vague de litiges qui sévit en Alberta et, du coup, des décisions défavorables prononcées rapidement à l’encontre de l’assureur, comme on le voit en Ontario. »

Les sources de pression à surveiller

Dans la plupart des segments, on ne peut pas dire que la concurrence s’intensifie. Selon Paul Holden, de CIBC, un marché à la baisse pourrait toutefois entrainer une concurrence accrue. « On voit alors les prix baisser et les gens se disputer des parts de marché en misant sur le prix. Ce n’est pas ce que l’on voit en ce moment », précise-t-il.

De leur côté, les sociétés d’assurance aux entreprises ont commencé à sentir de la pression, car les assureurs de dommages empiètent maintenant sur leurs plates-bandes pour renforcer leur potentiel de croissance.

Selon MSA, les assureurs multisegments ont obtenu, en 2012, autant de volume en assurance aux entreprises que les assureurs qui s’y consacrent exclusivement. En 2012, les assureurs multisegments ont en effet souscrit pour 9,1 G$ d’assurance (exclusion faite des résultats de l’assureur public Insurance Corporation of British Columbia), ce qui représente une hausse, en comparaison aux 8,5 G$ de 2011. Or, les sociétés d’assurance commerciale ont souscrit pour 9,96 G$ à la même période, comparativement à 10,4 G$, l’année précédente.

De façon générale, la pression en provenance des États-Unis pourrait aussi contribuer à consolider les prix. MSA explique que ce marché semble décidé à garder ses prix fermes. La pression exercée par les sièges sociaux américains pourrait encourager leurs bureaux canadiens à faire de même.

Finalement, l’expert-comptable agréé, Denis Brown, souligne que Revenu Canada pourrait bientôt réévaluer les compagnies, afin d’imposer la TPS et la TVH sur la totalité ou une partie des primes de réassurance versées aux sociétés de réassurance non résidentes, le tout rétroactivement à novembre 2005. M. Brown précise que ce geste se ferait même si on n’a jamais mentionné publiquement, avant 2010, la possibilité que les réassureurs perdent le statut qui les exempte de taxes. « De toute façon, le principal poste budgétaire des sièges sociaux touchés correspond à des charges salariales, écrit-il, soit des dépenses non touchées par la TPS », dit-il.

Fusions et acquisitions de moindre envergure

Les analystes constatent que le phénomène des fusions et acquisitions se poursuit au Canada, à un rythme cependant un peu plus lent. « Elles auront moins d’envergure, précise Hardeep Manku, analyste chez Standard & Poor's. Ce ne sera rien à côté de ce qu’Intact a fait avec AXA. »

À son avis, les principes de base à retenir pour qu’une acquisition ait de la pertinence demeurent. « Je dirais que la tendance à la consolidation reste présente, dit-il. On ne peut pas dire qu’un grand nombre d’acquisitions transformationnelles pointent à l’horizon. Néanmoins, nous pensons qu’il y aura ou qu’il pourrait y avoir diverses occasions où des compagnies feraient l’acquisition de blocs d’affaires ou d’actifs appartenant à d’autres firmes où elles n’ont pas vraiment de valeur stratégique. Disons qu’il s’agirait d’acquisitions ciblées. »

Tant M. Manku que M. Khan rappellent la dernière conférence téléphonique organisée entre Intact et des investisseurs, au cours de laquelle l’entreprise a abordé diverses possibilités d’acquisitions. « Depuis environ un an, la direction affirme que 20 % du marché devrait changer de mains, au cours des cinq années à venir, rappelle Shubha Khan. Les exigences en matière de fonds propres sont de plus en plus élevées, surtout pour les assureurs de l’étranger. Cela pourrait amener ces derniers à se départir de leur actif au Canada. » Les assureurs automobiles ontariens qui n’atteignent pas la rentabilité sont eux aussi touchés par la question, précise-t-il.

Parallèlement, les observateurs des marchés attendent encore de savoir si le Groupe Economical sera à vendre. À l’instar de l’ensemble du marché, Economical attend patiemment que le gouvernement fédéral approuve un cadre de démutualisation.

MM. Khan et Holden pensent aussi que les petits assureurs spécialisés pourraient être mis en vente, tout comme les compagnies qui occupent le pôle « courtage » du marché. « On y voit davantage de consolidation que du côté de la souscription directe », précise M. Holden.

Perspectives pour 2013

À la lumière ce qui s’est passé jusqu’à présent en 2013, les analystes s’attendent à ce que les résultats finaux soient dans la même veine que ceux de 2012, à condition qu’aucune catastrophe d’envergure ne survienne au Canada pour gâcher la donne. Les revenus de placements continuent de peser sur les chiffres, mais les prix et la souscription poursuivent leur évolution.

« Il faut voir comment se terminera le dossier l’assurance automobile en Ontario, dit Paul Holden. Je dirais que le risque se trouve là. C’est de loin le plus grand marché au Canada. Si la tarification subit une importante modification en peu de temps, la rentabilité peut en souffrir. »

Même si le problème des catastrophes naturelles a amené les assureurs à renégocier le prix de l’assurance habitation (et cette tendance devrait se poursuivre en 2012, afin de maintenir la rentabilité à un niveau acceptable), les compagnies afficheraient probablement de meilleurs bénéfices si l’année s’avérait relativement calme du côté des intempéries, estime M. Khan.

« On le verra bien cet été, conclut-il. Si les conditions climatiques reviennent à la normale, ce serait probablement une agréable surprise. Tous les assureurs essaient d’augmenter leurs taux d’assurance habitation. Mais si les catastrophes naturelles se font beaucoup moins nombreuses que l’an dernier, on aura quelques mois de belle amélioration de la rentabilité. Ça compensera dans le bon sens. »

Finalement, Hardeep Manku signale que S&P s’attend à ce que les exigences des fonds propres augmentent d’ici quelques années, ce qui aura des répercussions dans toute l’industrie. « Le Bureau du surintendant des institutions financières du Canada n’a pas vraiment fait d’annonce, mais nous comprenons que certains changements pourraient entrer en vigueur en cours d’année. Il faut voir quelles seront ces nouvelles exigences et savoir quand et comment elles seront mises en œuvre », dit-il.

« Le reste de l’exercice semble plus ou moins aligné sur les derniers trimestres, ajoute-t-il. La souscription devrait, en gros, maintenir sa rentabilité tout au long de l’exercice si aucune catastrophe naturelle n’engendre de pertes colossales, et à condition que l’assurance automobile en Ontario maintienne ses résultats actuels durant au moins quelques trimestres. »