Selon son ancien président Jean-Denis Talon, AXA Canada a su éviter le pire en quittant le marché canadien. Il va même jusqu'à dire que l'assureur français a fait une bonne affaire en vendant ses activités canadiennes à Intact Corporation financière, en 2011.« Ils avaient besoin de cet argent, car les tests de solvabilité en Europe sont en train de changer. Les 2,6 milliards de dollars (G$) étaient les bienvenus. La filiale canadienne représentait peut-être 4 % des revenus mondiaux du groupe en assurance de dommages, au moment de la transaction. Le prix payé par Intact a peut-être été élevé, mais les résultats ont vite été notables, à la suite de l’acquisition. Cela a été possible grâce à la discipline que nous avons montrée sur une longue période », a-t-il dit non sans fierté, en entrevue au Journal de l’assurance.

Les leçons de 8 acquisitions

Durant son séjour à la présidence d’AXA Canada, M. Talon a mené huit acquisitions. « Chacune des compagnies achetées était en difficulté. On ne payait pas cher, mais on souffrait longtemps. » Son meilleur coup : l’acquisition du portefeuille de La Laurentienne, qui souscrivait alors pour 1 G$ de primes. « C’est ce qui nous a lancés au Canada. » Selon lui, sans ces acquisitions, l’assureur français aurait abandonné le marché canadien plus tôt. « Les sociétés québécoises qui ont voulu prendre de l’expansion en Ontario ont échoué, car les courtiers hors Québec préféraient traiter avec des assureurs ontariens. »

Il affirme qu’il est important pour un assureur de dominer le marché dans certains segments et territoires. « Quand on a 20 % des parts de marché, ça permet de passer au travers des périodes plus difficiles. Quand tu domines, ou que tu es le numéro un, tu peux dicter la ligne de conduite à l’égard de la saine gestion des risques et en conservant la tarification adéquate. »

AssurNat : « le projet qui a le mieux fonctionné »

M. Talon a aussi accepté de revenir sur le lancement d’Assurnat, en partenariat avec la Banque Nationale, qui avait dérangé plusieurs courtiers à la fin des années 1990. Cet assureur direct opère désormais sous le nom d’Innovassur et distribue ses produits par l’entremise du cabinet Assurances générales Banque Nationale.

Selon M. Talon, cette entente a été profitable pour les deux partenaires, même si le démarrage a été lent. « C’est normal quand tu lances quelque chose à partir de rien. Mais tant pour AXA que la banque, ça a peut-être été le projet d’affaires qui a le mieux fonctionné. Le chiffre d’affaires qu’on pensait avoir après cinq ans a été atteint bien avant cela, tout comme les profits. » Le volume de primes d’Innovassur atteignait près de 90 M$ au 31 décembre 2011.

Desjardins chanceux

Même s’il dit que le marché a changé en faveur des assureurs directs, il considère que Desjardins Groupe d’assurances générales a été chanceux de profiter de sa situation particulière pour devenir un joueur dominant au Québec. « D’autres assureurs directs ont pris de l’expansion, mais aucun n’a été aussi actif que l’institution financière. Pendant longtemps, le numéro un en dommages au Canada venait du Québec. C’était le Groupe Commerce, devenu ING Canada, puis Intact. Son siège social est maintenant à Toronto, mais cet assureur a d’abord brillé au Québec. »

Il trouve d’ailleurs important que les assureurs soient établis au Québec pour mieux tirer profit du potentiel du marché. « Chez AXA, nous étions très présents à Toronto et Vancouver. Ça prend une présence forte dans les marchés où on est présent. Il faut être décentralisé si on veut réussir. Les assureurs établis au Québec ont toujours montré de meilleurs résultats que ceux de l’Ontario. »

« Les meilleurs courtiers vont survivre »

M. Talon fait remarquer que les courtiers ont dû adapter leurs méthodes à l’évolution de la clientèle, au fil du temps. Un mal qui était nécessaire, selon lui.

« Quand le courtier fait du bon travail, même les enfants de ses clients le suivront. On le sait tous que bon nombre de clients ne voyaient jamais leur courtier pendant cinq ans, ils recevaient des enveloppes avec leur renouvèlement, merci beaucoup, avec la prime indexée à l’inflation. Ils ne peuvent plus faire cela, et ils le savent. Les meilleurs courtiers vont survivre. »

Expansion et efficacité

Il note que plusieurs courtiers ont pris de l’expansion et ont justement gagné en efficacité. « Il y en a qui font 100 millions de dollars (M$) de chiffre d’affaires. Les courtiers ont dû s’adapter, faire plus de sollicitation, de télémarketing. Le monde évolue, les courtiers sont plus jeunes. Ils ont ciblé l’assurance des entreprises, où la concurrence des directs est moins forte. Ils ont dû parfois imiter ce que font bien les assureurs directs. »

Quant aux assureurs, la concurrence plus vive les force à être plus disciplinés, selon lui.

« Il n’y a rien de péché à offrir une tarification plus basse si tu peux le faire, tout en donnant du rendement à tes actionnaires, dit-il. La prime est reliée à l’expérience des clients. Si tu fais de bonnes affaires, ça suscite la convoitise des autres, qui veulent t’enlever des parts de marché. Les compagnies qui ont fait des folies abandonnent le marché. »