Trois ans après le passage de l’ouragan Sandy sur le nord-est des États-Unis, Adam Sobel, professeur à l’Université Columbia de New York, publie un livre dans lequel il fait le point sur la manière dont les autorités américaines ont répondu à ce défi majeur. Il souligne par ailleurs le manque de préparation des autorités et de l’industrie de l’assurance au Canada.

Le 29 octobre 2012, l’ouragan Sandy s’approche de la côte du New Jersey avant de continuer sa route vers le nord-ouest et de toucher la ville de New York quelques heures après. Devenue simple dépression extratropicale, Sandy poursuit alors sa route vers les Grands Lacs tout en faiblissant. Elle se fond ensuite graduellement dans la circulation générale, continuant d’affecter le nord-est de l’Amérique du Nord durant plusieurs jours.

Au total, Sandy laisse derrière elle 117 victimes aux États-Unis, et entre 50 et 60 milliards de dollars en dégâts, incluant les pertes économiques directes et indirectes.

Trois ans après, le docteur Adam Sobel, professeur à l’Université Columbia de New York et directeur du groupe de recherche Initiative on Extreme Weather and Climate, fait le bilan du passage de Sandy sur le sol américain. Dans un ouvrage intitulé Hurricane Sandy, our Changing Climate, and Extreme Weathern of the Past and Future, il livre une nouvelle lecture de ce phénomène météorologique et met en avant l’efficacité de la réponse des autorités américaines, dans une Amérique encore marquée par le désastre qui avait suivi le passage de l’ouragan Katrina en 2005.

Selon M. Sobel, qui s’est confié en exclusivité au Journal de l’assurance, le premier enseignement que l’on peut tirer du passage de Sandy, c’est que les prédictions météorologiques, comme les décisions de l’administration, ont été largement meilleures que pour Katrina.

« Les forces de l’ordre ont très bien réagi, car elles savaient à quoi s’attendre. Elles s’étaient renseignées auprès des scientifiques pour savoir ce qu’il fallait faire, explique-t-il. La ville de New York étant située près de l’eau, les experts savaient depuis toujours ce qui était susceptible de se produire en cas de catastrophe majeure. Ils savaient que les infrastructures de transport allaient être impactées, que les tunnels et les métros allaient être inondés. La principale conclusion c’est que si le risque est compris, tu peux préparer les infrastructures. »

Des investissements nécessaires

L’autre point positif, c’est justement que les scientifiques ont travaillé avec le gouvernement pour prévenir le risque. « Il y a eu 117 morts, ce qui est un nombre relativement bas, ça aurait pu être des milliers! », affirme M. Sobel.

Toutefois, certains petits points noirs subsistent concernant la manière dont les autorités américaines ont alerté les populations. En effet, le maire de New York d’alors, Michael Bloomberg, n’a pas cru bon lancer l’alerte d’évacuation dès le 27 octobre, car les autorités ne qualifiaient pas encore Sandy de « tempête extratropicale ». Le lendemain, soit deux jours avant l’arrivée du phénomène, il changea finalement d’avis et ordonna la fermeture des métros et l’évacuation, évitant certainement des victimes et dégâts supplémentaires.

Une fois Sandy en route vers le Lac Érié où la tempête allait perdre de son intensité, il a quand même fallu attendre une semaine avant que le réseau de métro puisse être rouvert dans la ville de New York.

« C’est le deuxième enseignement du passage de Sandy : des investissements doivent être entrepris pour se préparer à long terme, poursuit le docteur Sobel. La préparation a été bonne à court terme, mais mauvaise à plus long terme. D’autant plus que, désormais, les prévisions à long terme sont bonnes, et qu’en raison du réchauffement climatique, les catastrophes naturelles de grande ampleur risquent de se multiplier. Il faut donc entreprendre des investissements pour réduire notre empreinte carbone et pour préparer nos infrastructures. »

Selon Adam Sobel, on ne peut pas faire de liens directs entre l’action de l’homme et la multiplication des ouragans. Toutefois, on peut simplement constater que la fréquence de ce genre de phénomène est en baisse, alors que leur intensité (notamment les chutes d’eau et la force des vents) est plus importante. « Sandy, au niveau de sa taille, de sa trajectoire, et de sa nature extratropicale, répond aux critères du changement climatique », souligne-t-il.

L’industrie n’est pas préparée

Quant au Canada, quelles observations majeures pourraient être faites alors que le pays reste vulnérable aux fortes tempêtes? Tout dépend de l’endroit où l’on vit, répond sans détour le docteur Sobel.

« Dans les Maritimes, il y a une bonne compréhension, une bonne expérience des autorités. Toutefois, ces dernières doivent s’attendre et se préparer à des catastrophes de plus grande ampleur que celles qu’elles ont connues par le passé. De plus, le Nouveau-Brunswick possède la plus grande raffinerie du Canada (à Saint-Jean) et de nombreuses personnes vivent près de l’eau ou sur des îles. Le pont de la Confédération peut aussi rendre plus vulnérable la province », affirme Adam Sobel

« Dans le reste du Canada, le réchauffement climatique pourrait entrainer une multiplication des tempêtes de neige et des chutes de pluie. Toutefois, le Canada n’est pas le pays le plus vulnérable. »

Néanmoins, un élément suscite l’étonnement du docteur Sobel au moment de s’aventurer à une comparaison entre le Canada et son voisin américain.

« Au Canada, l’industrie de l’assurance est moins bien préparée qu’aux États-Unis. Par exemple, elle doit encore apprendre à répondre rapidement, à faire en sorte que les différents agences et services travaillent ensemble efficacement. Il est surtout incroyable de voir qu’il n’existe pas ou peu d’assurance inondation au Canada... Aux États-Unis, l’assurance inondation, qui dépend du fédéral, existe depuis longtemps, même si les primes et la tarification sont encore mal calibrées. »

Si Sandy a apporté son lot de réponses satisfaisantes dans la manière dont un pays peut se préparer au passage d’une tempête de grande ampleur, il faut désormais s’attendre à des dommages toujours plus lourds dans les années à venir.

« De plus en plus de gens construisent dans des régions à risques. Les dommages risquent donc d’être de plus en plus importants. Et qui dit réchauffement climatique dit plus d’eau dans l’atmosphère donc plus de précipitations sous la forme de neige ou de pluie », prévient M. Sobel.

« Je ne pense pas que la vague de froid de ces deux dernières années dans le Nord-est américain soit liée au réchauffement climatique comme certains l’affirment. Je crois pour ma part qu’il s’agit d’un phénomène ponctuel. D’autant plus que 2015 a été l’année la plus chaude partout dans le monde, sauf entre New York et Montréal. Il faut aussi prendre en compte le fait que l’ouest du continent américain (Colombie-Britannique, états de Washington et de l’Oregon) connait des étés de plus en plus chauds, de plus en plus secs, même si les précipitations restent abondantes durant l’hiver », conclut le professeur qui insiste sur le fait que le défi majeur du changement climatique consiste à notre capacité à se préparer à des choses hors de nos expériences, à se préparer à l’inconnu.