Les agents généraux s’attendent à ce que la récente hausse effectuée par la Financière Manuvie en octobre entraine la même vague qu’en décembre dernier.
Loin de s’en inquiéter, les agents généraux voient plutôt cette hausse comme un passage obligé. Ils s’attendent à d’autres hausses à court terme. Les assureurs n’ont pas le choix. Le seul choix qu’ils ont fait a été de ne pas tout augmenter d’un coup. Ils ont ainsi évité de mécontenter leur réseau de distribution indépendant.

« Il y aura une vague comme celle du 3 décembre 2010. Les assureurs n’ont pas le choix : ils étaient arrivés à un point de non retour. Les taux d’intérêt demeurent bas, il faut se rendre à l’évidence », a dit Patrick Cloutier, vice-président, ventes et développement des affaires au Groupe Cloutier, en entrevue au Journal de l’assurance.

Entretemps, l’agent général note toujours beaucoup d’activités de vente et une croissance soutenue des affaires. La hausse n’y change rien. « Je ne suis pas surpris et cela ne me dérange pas, car cette hausse ne changera pas le flot de production de nos conseillers. Nous avons un contrat de distribution avec 17 assureurs. Sur le lot, ils ne feront pas tous leur hausse en même temps; c’est une question de concurrence », dit M. Cloutier.

Il convient que le cout pourra devenir une préoccupation en ce qui touche les produits garantis à forte valeur ajoutée. Pourtant, les ventes de produits 10, 15 et 20 ans demeurent populaire pour le moment, confie M. Cloutier. Les choix des clients sont souvent motivés par d’autres facteurs que le cout, dont le besoin de protection ou celui de payer sa prime rapidement pour qu’elle ne devienne pas un fardeau à long terme, ajoute-t-il.

Selon lui, la hausse des prix n’a pas encore entrainé une baisse de qualité des produits. Or, elle entraine quelques changements à l’endroit de la rémunération aux conseillers, comme l’a annoncé la Financière Manuvie, note M. Cloutier. « Les consommateurs paient et les conseillers aussi. C’est inévitable. »

Les conseillers réagissent négativement, mais admettent qu’il s’agit d’une réalité incontournable, observe James McMahon, PDG de Force financière Excel. Il comprend les motifs des assureurs : les taux d’intérêts, mais aussi les nouvelles règles de capitalisation frappent les assureurs de plein fouet.

La deuxième vague est déjà lancée, croit-il. Après Empire Vie, il a appris que BMO Assurance-vie procéderait à une deuxième hausse et que RBC Assurances en ferait une aussi, si ce n’est déjà fait dans les deux cas.

Les assureurs n’avaient pas le choix de procéder à des hausses successives, car les projections de rendements à long terme ont été longtemps trop élevées. De projections sur 30 ans à 7 %, ils doivent maintenant passer à des projections qui tournent autour de 3 %.

« Les assureurs ne peuvent compenser cet écart d’un coup. Est-ce la dernière hausse? Je pense que nous en aurons au moins une autre pour que les assureurs parviennent à stabiliser leurs produits », croit M. McMahon. Il prévoit que cette stabilité surviendra dans les douze prochains mois.

Comme M. Cloutier, James McMahon remarque des changements dans la rémunération des conseillers chez certains assureurs. Ils ont remplacé la traditionnelle commission de 65 % de la prime de première année en assurance vie universelle par une commission de 60 %, a-t-il remarqué.

Comme au Groupe Cloutier, ces changements semblent laisser les conseillers de Force financière Excel indifférents. « Nos ventes demeurent à la hausse. Je ne vois pas d’afflux des ventes vers un produit plutôt qu’un autre, outre le fait que nous vendons beaucoup de maladies graves depuis le début des l’année. »

Les choses pourraient toutefois changer chez Excel. « Nous notons beaucoup de production en provenance de BMO et RBC, mais leur hausse de prix pourrait affecter ce flux », note M. McMahon.

Doté à ce jour d’une cinquantaine de conseillers à son service, le bureau du Groupe Financier BBA que dirige Joël Beauvais à Montréal pourrait être qualifié d’émergent. Alors qu’il travaille d’arrache-pied à le développer, la hausse arrive-t-elle à un mauvais moment? « Nous travaillions beaucoup avec des produits de BMO. Ils ont fait une hausse récemment et ils prévoyaient en faire une deuxième. Cela n’aidera pas les ventes », explique-t-il.

Le directeur du bureau de Montréal s’attend à en perdre quelques unes, mais au profit d’un rééquilibrage de l’offre de produits. « Plutôt que d’offrir par exemple une base de 100 000 $ d’assurance vie en produit permanent, le conseiller en offrira une de 60 000 $ à 75 000 $ et le reste en temporaire. C’est ce que j’observe actuellement dans les dossiers qui me sont référés », révèle M. Beauvais.

Aussi, des ventes surviennent qui ne sont pas nécessairement de nouvelles affaires, mais plutôt des ventes « en suspens ». Dans ces dossiers, la hausse des prix a hâté la décision d’achat du client.

Ailleurs au Canada

Les agents généraux hors-Québec se sont montrés plus inquiets quant aux hausses. À Vancouver, Paul Brown, président et directeur-général de Worldsource Financial Management et IDC Worldsource Insurance Network, croit que la hausse affectera les ventes et même la viabilité des produits touchés.

Selon lui, les conseillers seront peut-être moins affectés dans les dossiers de protection pure. Le choc sera toutefois plus prononcé dans les dossiers où le client utilise l’assurance comme alternative à d’autres véhicules financiers. Celui-ci en scrutera le rendement sous l’angle des nouveaux prix. Cette alternative pourra alors lui paraitre moins intéressante qu’avant, craint M. Brown.

Le PDG de Worldsource prédit à long terme une baisse des ventes en assurance vie universelle, un produit qui compte pour le tiers de ses ventes. « Il sera plus difficile de faire la promotion des produits garantis, car ils deviendront moins attrayants », a-t-il déclaré.

Il croit que si la pression se maintient sur les produits garantis, les agents généraux en souffriront aussi. « Les agents généraux se sont développés en un réseau où les produits dotés de garanties à long terme sont notre principal centre de profits. Si ces produits sont compromis, nous seront aussi affectés. Un agent général ne survivra pas en vendant seulement de l’assurance temporaire », lance M. Brown.

Jim Virtue, PDG de PPI Solutions, ne croit pas que les hausses actuelles affecteront les ventes à court terme. L’assurance vie universelle à cout nivelé compte pour 30 % à 40 % de ses ventes en termes de primes.

Comme Paul Brown, M. Virtue croit que la viabilité des produits dotés de garanties à long terme se trouve toutefois remise en question. « Je crois que nous verrons certaines compagnies se retirer du marché et certains produits disparaitre », dit-il.

D’un autre côté, il croit que cette tendance poussera les assureurs à plus de créativité. « Si la vie universelle à cout nivelé devait disparaitre du paysage canadien, ce ne sera pas la fin de l’assurance au Canada », lance-t-il. Il en veut pour preuve le produit Synergie de Manuvie. Ce produit combine trois protections en une seule (vie, invalidité et maladies graves) à un prix inférieur à ce que couteraient trois produits vendus séparément.

*Avec la collaboration de Donna Glasgow