Même si les bannières ont subi un ralentissement de la progression de leur volume d’affaires depuis deux ans, leurs dirigeants croient qu’elles seront plus fortes dans cinq ans. Elles devront cependant se réinventer, estiment des observateurs du courtage.Bernard Deschamps, nommé vice-président du développement des affaires chez AXA Assurances au moment de fermer la présente édition et ancien président du Groupe Ultima, jette aujourd’hui un regard sur le secteur dans lequel il a œuvré pendant plus de cinq ans. Il a accepté de se confier au Journal de l’assurance alors qu’il était encore vice-président exécutif et directeur général de Willis Canada. Jacques Valotaire, ancien président d’ING au Québec, a accepté de faire de même.

Selon M. Deschamps, les bannières vivent le même problème que le réseau du courtage dans son ensemble. Elles ne réussissent pas à vendre. « Plus de 40 % du marché est passé aux mains des directs. Ce chiffre dépasse même 50 % en assurance personnelle. Ce n’est pas parce qu’elles ne sont pas capables de vendre, c’est parce qu’elles ne le font pas. Les bannières devront permettre aux cabinets de prendre des parts de marché. Elles devront même uniquement travailler dans ce sens-là. On peut allonger la douleur, mais ça ne règlera pas le problème », exprime-il.

M. Deschamps croit que les bannières devront permettre à leurs membres de réaliser de nouvelles ventes. « Les bannières demeurent un outil extraordinaire. Cependant, comme n’importe quel outil, si on ne l’utilise pas pour corriger les vrais problèmes, il ne sera plus utile. Il y a encore beaucoup à faire avec une bannière, mais les raisons pour lesquelles elles ont été créées ne sont plus valables », évalue-t-il.

Jacques Valotaire lie directement le ralentissement de la progression des bannières à celle du réseau de courtage. « Le réseau de courtage a de la difficulté à croître, il est donc difficile pour les bannières d’en faire autant, car leurs clients sont des cabinets de courtage. Leur seul moyen de croissance est de recruter de nouveaux membres », estime-t-il.

Bernard Deschamps ajoute que la consolidation du marché amènera les bannières à se réinventer. « Le phénomène de fusions et d’acquisitions des cabinets s’accentuera. Comme valeur ajoutée, la bannière n’aura peut-être pas sa pertinence. Tout tiendra dans cette pertinence. Les cabinets se demanderont pourquoi payer une bannière s’ils sont capables de faire la même chose à meilleur compte », lance-t-il.

Jacques Valotaire croit aussi que les bannières auront à prouver leur présence sur le marché. « Elles devront non seulement justifier leur place auprès de leurs membres, mais aussi auprès des assureurs », complète-t-il.

Selon M. Deschamps, trois éléments justifient la pertinence des bannières en 2007. « Elles permettent aux cabinets d’avoir accès à des marchés spécialisés. Si un cabinet ne peut avoir accès à un produit spécifique, le pouvoir d’achat de la bannière lui permettra de se le procurer. Deuxièmement, les bannières donnent accès à des outils informatiques. Elles donnent aux cabinets le pouvoir de se regrouper pour acheter un tel outil.

C’est surtout avantageux pour les petits cabinets. Finalement, elles permettent de positionner le courtage dans le marché. Les bannières permettent au courtier de partager avec d’autres cabinets, que ce soit pour des stratégies, des recettes et des plans », fait-il valoir.

La valeur ajoutée d’une bannière dépend aussi du leadership qu’elle amène au cabinet. « Ce leadership est supposé être là pour encadrer les membres dans leur développement. Les bannières sont très proches d’un franchiseur comme McDonald’s par exemple. Les gens qui y investissent achètent une recette. Il y a un tout un brain process pour le développement, les stratégies et l’approche client. Les franchisés ne sont pas seuls à penser. C’est la même chose pour les bannières. Il y a toute une expertise qui se retrouve au siège social. La bannière a une vision plus large, qui n’est pas uniquement locale », spécifie M. Deschamps.

L’ancien président du Groupe Ultima croit qu’une bannière n’a pas sa raison d’être si elle n’amène pas un tel leadership. « La bannière doit permettre au cabinet de se différencier dans le marché. Si elle ne rend pas le cabinet meilleur, à quoi sert-elle? », s’interroge-t-il.

L’accès à de nouvelles technologies, la formation offerte et le support publicitaire sont toutes des raisons qui peuvent pousser un cabinet à s’affilier à une bannière, selon Jacques Valotaire.

« La technologie peut être intéressante parce qu’elle donne accès à de nouveaux marchés, surtout pour les courtiers en province. La formation peut être très valable, à condition que les courtiers y participent. La bannière peut aussi aider le cabinet du côté de la publicité, à condition que le courtier soit prêt à y investir, ce qui n’est pas le cas de beaucoup », remarque-t-il.

La possibilité d’échanger avec d’autres courtiers est une autre raison de faire partie d’une bannière selon l’ancien président d’ING. « Certains cabinets membres font partie d’une bannière strictement pour échanger avec des collègues de leur industrie et ne se servent absolument pas des services de la bannière », reconnaît-il.

Marché dur

La dynamique du marché joue en faveur de l’existence des bannières, ont précisé les dirigeants de bannières interrogés par le Journal de l’assurance.

Plusieurs sont persuadés que l’industrie sera de retour dans un cycle de marché dur sous peu. Or, ils ne voient pas comment les petits cabinets pourront survivre dans un tel contexte sans être « bannièrés ». Ils pensent même que les bannières devront s’approprier de nouveaux rôles et même se rapprocher des assureurs, étant donné qu’il y encore beaucoup de place pour la consolidation dans le marché.

Le nouveau président du Groupe Ultima, René Vocelle, croit que les bannières survivront et même qu’elles joueront encore le rôle qu’elles jouent actuellement. Il ne croit pas que les petits courtiers individuels pourront continuer à vivre seul.

« Le réseau du courtage vivra la même concentration que les assureurs. Aussi, le vieillissement se fait sentir dans le réseau, car beaucoup de courtiers ont 55-60 ans. Au prix actuel du marché, ce n’est pas tout le monde qui pourra acheter. Il y a peu de joueurs au niveau des assureurs en ce moment. Ceux-ci sont assis sur une montagne d’argent pour des achats éventuels et même pour ne pas se faire acheter », explique-t-il.

Claude Chabot, président du Réseau Courtiers Unis, abonde dans le même. « Le réseau des bannières servira à la même chose qu’aujourd’hui, sauf que les gens le réaliseront encore plus », souligne-t-il.

Jean-Pierre Lasalle, président du Groupe Jetté, s’attend à ce qu’il y ait une grosse compétition pour acheter des petits cabinets. À son avis, cette course pourrait avoir un impact sur l’avenir des bannières.

« Nous sommes présentement dans une situation où d’autres assureurs font des offres d’achat à des prix exorbitants par rapport au marché et à ce que peut payer un courtier. On peut remettre le réseau des bannières en question avec la montée des directs comme Promutuel ou La Capitale, voir même AXA, si on se fie à ce qu’a dit Bernard Boiteau lors du congrès du Regroupement des cabinets de courtage en assurance du Québec. Il ne faut pas oublier que ce sont les petits cabinets qui vont vers les bannières. La compétition est assez forte de ce côté. C’est pour cela qu’on travaille à conserver ceux qui sont déjà avec nous », soulève-t-il.

Pierre Boisvert, président d’AssurExperts, croit que tous les courtiers auront adhéré à une bannière dans cinq ans. Il croit cependant qu’on assistera à l’émergence d’un autre modèle de bannière, les assureurs voulant devenir aussi distributeurs. « On verra de l’intégration verticale. Le manufacturier deviendra distributeur. C’est un modèle qui prendra sa place sur le marché », prévoit-t-il. (Note de la rédaction: AXA Assurances possède 20% de AssurExperts.)

Robert Dupont, président d’Inter Groupe Assurances, croit que les bannières devront se faire connaître des consommateurs si elles veulent survivre. Pour cela, les courtiers membres devront être à la fine pointe de la technologie.

« Certaines bannières auront certainement des centres d’appels comme les assureurs directs, pour répartir les appels chez les courtiers. Les bannières qui réussiront le mieux sont celles qui soutiendront les cabinets dans leur croissance des revenus », prédit-il.

M. Dupont croit cependant que le réseau des bannières réussira ce défi et qu’il sera plus fort dans cinq ans qu’il ne l’est actuellement. Il se demande cependant si tous les joueurs qu’on trouve présentement seront encore en place.

« La pénurie de personnel amènera certaines bannières à faire l’émission des polices à 100 % pour certains assureurs. Il faudra éviter le dédoublement des tâches. La bannière apportera donc une économie d’échelle. Le réseau sera aussi fort. Est-ce que toutes les bannières seront là? Je ne sais pas. Les bannières ont passé leur plus gros test. Les cabinets n’avaient pas besoin de produits spécialisés, ils n’avaient donc pas besoin des bannières. Je n’ai pourtant pas vu beaucoup de cabinets sortir. Nous en avons même gagné », fait-il remarquer.

Robert Beauchamp, président d’Invessa, est plus pessimiste. Il ne croit pas que la bannière traditionnelle sera une avenue pertinente pour les cabinets de courtage dans cinq ans.

« Il va y avoir de moins en moins d’organisations de courtage et elles seront de plus en plus des grossistes. Est-ce qu’elles seront en vie? Si oui, quelles seront leurs vocations? », questionne-t-il.
M. Beauchamp croit que les bannières se diviseront en trois créneaux.

« Le premier sera constitué de cabinets qui seront en partie partenaires avec un assureur, qui contrôlera la majorité du chiffre d’affaires. Il y aura aussi les indépendants, qui transigent par plusieurs assureurs. On retrouvera finalement les bannières, qui vont prendre une autre forme. On voit déjà des bannières qui appartiennent à des assureurs, comme AXA qui possède une partie d’AssurExperts. Verra-t-on des bannières devenir assureurs? C’est bien possible », anticipe M. Beauchamp.

Jacques Valotaire abonde dans la même veine. Il cite également l’exemple d’AXA avec AssurExperts. « Est-ce que les bannières vont devenir une chasse gardée d’assureurs? C’est possible et ça pourrait arriver. L’exemple d’AXA pourrait pousser d’autres assureurs à le faire », soupçonne-t-il.

Mieux se faire connaître

Les dirigeants de bannières s’entendent sur le fait qu’elles doivent être mieux connues. Mais est-ce que cette reconnaissance passe par la publicité à la télévision, dans les quotidiens et dans le métro? Les réponses diffèrent.

« C’est une question stratégique qu’on se pose depuis dix ans. Nous avons déjà fait des pubs centralisées, mais les actionnaires ne veulent pas se voir eux-mêmes. En ce qui nous concerne, la réponse est non, mais ça dépend de chaque bannière », affirme René Vocelle.

AssurExperts fêtera son vingtième anniversaire en 2007. L’événement sera publicisé. « On pense qu’on doit renforcer l’image de la bannière. Nous fêterons notre vingtième anniversaire le 29 septembre 2007. On tiendra alors un colloque à Saint-Hyacinthe au cours de cette journée. Nous lancerons un programme qu’on considère très fort et qui fera connaître la bannière de manière intensive au Québec. Notre priorité sera de faire connaître notre renommée et notre nom auprès du public », révèle Pierre Boisvert.

Inter Groupe entend aussi publiciser son nom. « Nous avons consulté nos membres à ce sujet l’automne dernier. Environ 67 % des cabinets ont dit qu’on devrait s’organiser sur cet aspect. Pour commencer, nous entrevoyons de commanditer les clubs de hockey junior où nous avons des activités. Nous sommes d’ailleurs en consultation avec une firme de publicité pour asseoir notre notoriété. Nous ferons donc un projet pilote dans deux régions. Il faut se faire connaître. Les gens achètent un nom provincial, comme on peut le voir avec SSQ en ce moment », illustre Robert Dupont.

Inter Groupe mettra cependant l’accent sur Internet en 2007 et enrichira son site pour la bannière. « Il faut réaliser certains projets indispensables, comme la publicité et la visibilité sur Internet. Les bannières devront combler ces besoins. Monter un site Internet demande des coûts énormes. Nous avons seulement 27 cabinets sur 112 qui ont un site Internet et plus de la moitié ne font rien avec », s’insurge Robert Dupont.

Au Réseau Courtiers Unis, on ne pousse pas dans le dos des cabinets pour faire de la publicité. « Les petits cabinets sont souvent très proches de leurs clients. Ils ne veulent pas de publicité et vont souvent chercher leurs clients par le bouche-à-oreille. Certains cabinets refusent même qu’on leur fasse un site Internet, car ils devraient embaucher des gens pour répondre aux appels suscités par cette publicité », poursuit-il.

Robert Beauchamp croit aussi que les bannières veulent faire de la publicité, mais qu’elles n’ont pas nécessairement les moyens financiers pour le faire. « Un cabinet de courtage n’a pas le même budget qu’un assureur direct. Faire une telle publicité implique des coûts importants et ça prend une énorme masse critique. Le désir est là, mais pas les moyens financiers. Il faut plutôt opter pour d’autres mesures plus originales tout en se différenciant des autres », fait-il remarquer.

Jacques Valotaire croit que les bannières peuvent aider les cabinets à faire de la publicité, mais qu’elles ne peuvent pas rivaliser avec les assureurs directs, faute de moyens financiers.

« Ce qui a été fait en ce sens a été un coup d’épée dans l’eau jusqu’à maintenant. Il vaut mieux exploiter le caractère plus local et communautaire des membres auprès de leurs clients. Les assureurs directs ont d’énormes départements marketing. La bannière peut développer certains éléments, comme le publipostage, mais de tels outils doivent être utilisés par les cabinets en leur nom propre. Faire de la publicité à l’affiche d’AssurExperts ou d’Inter Groupe serait moins profitable », pense-t-il.

Course au volume?

Les cabinets pouvant se regrouper sous une bannière sont moins nombreux qu’auparavant. Les bannières recherchent également à améliorer leurs services avant d’ajouter des membres à leur réseau.

Selon Bernard Deschamps, la course au volume a un sens seulement si elle permet aux cabinets d’avoir accès à de nouveaux services ou produits.

« Le recrutement de nouveaux cabinets donne un meilleur rapport de force. Si la bannière doit négocier un produit spécialisé sur le marché de Londres et qu’elle doit afficher une masse critique de 10 M$ pour ce faire, avoir un plus grand nombre de cabinets augmentera ses chances d’avoir le produit. Dans ce sens, augmenter le nombre de cabinets est utile », allègue-t-il.

M. Deschamps souligne cependant qu’une structure doit soutenir le tout. « La bannière est inutile si elle ne permet pas d’avoir accès à des marchés additionnels ou à de nouvelles technologies. La bannière ne doit pas recruter des nouveaux membres pour être la grenouille qui devient un bœuf. La course au volume ne veut alors rien dire», commente-t-il.

AssurExperts cherche encore à s’adjoindre des cabinets, même si elle a ralenti ses efforts en ce sens. « Depuis les derniers mois, nous évaluons des cabinets. On porte sur eux un jugement plus critique. Nous avons écrémé le marché. Toutefois, nous sommes rendus au stade où nous allons les bâtir nous-mêmes avec les cabinets affiliés », laisse entendre Pierre Boisvert. Il précise que sa bannière veut créer 50 cabinets d’ici cinq ans (Voir encadré ci-contre).

Claude Chabot affirme que le Réseau Courtiers Unis cherche aussi des cabinets à affilier, mais ne cherche pas à le faire à tout prix. « Il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus », observe-t-il. Même son de cloche du côté de Jean-Pierre Lasalle au Groupe Jetté, qui souligne que le recrutement n’est plus aussi agressif. Chez Inter Groupe, on ne refuse personne, sans faire de campagne intensive.

Pour Invessa, tout dépend de la présence du cabinet dans son marché. « Il y a une limite à tout. On peut se permettre d’avoir un bureau à distance à Montréal, mais si le bureau de Sherbrooke vend des polices à Valleyfield, ça peut être problématique. Il y a un extrême à ne pas atteindre dans les deux cas. Le but est d’avoir une bonne masse critique et une présence marquée dans la région où l’on est présent », annonce Robert Beauchamp.