Si les banques se sont emparées de la meilleure part des activités relatives aux comptes d'épargne libre d'impôt (CELI) lancés il y a un an, certains conseillers en sécurité financière commencent à prendre leur revanche.Mike Rickaby, un conseiller au service de Paragon Financial Services, à Vancouver, explique que ses quatre partenaires et lui connaissent une croissance dans l'ouverture de CELI pour leurs clients. Il estime que 20 % d'entre eux ont investi dans des CELI par son intermédiaire et il aimerait bien que ce pourcentage grimpe à 50 %.

Il offre des CELI depuis l'an dernier et constate que certains de ses clients en avaient déjà ouvert un à la banque. Souvent, ils avaient la fausse perception que seules les banques peuvent les offrir, a-t-il expliqué. M. Rickaby ajoute que cette année, ses partenaires et lui ont obtenu une partie de cette activité au détriment des banques.

Certains de ses clients n'étaient pas satisfaits du rendement de 1 % que rapportait leur CELI à la banque et ils recherchaient de meilleurs rendements en investissant par l'intermédiaire d'un conseiller financier. M. Rickaby est d'avis qu'une tendance émergente se dessine dans l'industrie à mesure que les Canadiens prennent conscience du fait qu'il existe d'autres options au CELI que celles proposées par les banques. « Les banques ont eu une longueur d'avance. Toutefois, lorsque les clients réalisent qu'elles font très peu pour eux, ils cherchent d'autres endroits où investir. »

Tendance

M. Rickaby a observé une autre tendance parmi sa clientèle : certains clients qui n'avaient pas investi dans un CELI l'an dernier y versent maintenant 10 000 $. Ils utilisent en fait leur droit de cotiser 5 000 $ l'an dernier et le combine à celui de cette année.

Selon M. Rickaby, de nombreux conseillers n'accordent aucune attention au marché des CELI. Ils croient qu'un investissement de 5 000 $ n'offre pas une rémunération suffisante, et ils ne veulent pas perdre de temps à en vendre. M. Rickaby considère qu'il s'agit d'une erreur de jugement de la part des conseillers, qui donne l'occasion aux banques de s'immiscer dans la relation du conseiller avec ses clients, en matière d'investissement. « C'est un manque de perspicacité du conseiller et il pourrait bien se faire damer le pion par une banque. » Généralement, M. Rickaby vend un CELI à chacun des conjoints, faisant ainsi grimper la valeur moyenne par client. Au cours des années, l'actif atteindra un niveau substantiel.

Michel Kirouac, vice-président et directeur général du Groupe Cloutier révèle que l'agent général a fait la promotion du CELI au sein de ses conseillers tout au long de l'an dernier. En 2009, les conseillers ont ouvert 1 254 comptes CELI pour des dépôts totaux de 4,1 million de dollars (M $). Les ventes ont commencé lentement, mais croissent maintenant de 50 % par mois, note-t-il. « Nous prévoyons ouvrir au moins 3 000 nouveaux comptes en 2010 », ajoute-t-il.

Encouragé par cette croissance des ventes, M. Kirouac la souhaiterait encore plus prononcée. Il recommande fortement aux conseillers d'ouvrir des CELI pour leurs clients avant que les banques ne le fassent à leur place. Il pense que les investisseurs auront la même attitude face au CELI qu'ils ont envers le régime enregistré d'épargne-études (REEE). « Une fois qu'ils ont ouvert le compte, ils ne transfèrent pas. »

Les dépôts relativement modestes que permet le CELI expliquent le peu d'intérêt qu'ont porté les conseillers à l'égard de ce produit en 2009. Ces dépôts qui oscillent entre 3 000 $ et 4 000 $ sont souvent investis dans des véhicules de placement sécuritaires, ce qui signifie des commissions peu élevées pour les conseillers, dit M. Kirouac.

Dans une présentation faite devant 150 conseillers, M. Kirouac a expliqué que le montant moyen des dépôts pourrait ne pas être aussi faible que le croient les conseillers. En contactant son client, un conseiller peut potentiellement ouvrir trois comptes : lui, son conjoint et un enfant adulte. Ainsi, un client peut avoir 900 prospects sur une base de 300 clients. De plus, les clients qui n'ont pas cotisé à un CELI l'an passé peuvent y déposer jusqu'à 10 000 $ cette année. « Neuf cents clients, c'est donc un marché potentiel de 9 M $. Seulement un dixième de ce marché, c'est déjà 1M $ de nouvel argent », ajoute-t-il.

L'agent général continuera d'inciter les conseillers à ouvrir des CELI parce que le potentiel est énorme, tant pour eux que pour le cabinet. « Si 1 000 conseillers ouvre chacun seulement 50 comptes, ce sera tout de même 50 000 nouveaux comptes pour nous. »

Réticence

John Lutrin, vice-président à la direction et directeur du marketing de l'agent général Financière Hub et Hub Capital, dit qu'il n'a pas vu les conseillers en assurance vie se jeter sur ce marché. « De notre point de vue, les CELI sont relativement nouveaux et n'ont pas encore pénétré dans le marché de l'assurance vie ». Il pense que la taille de la vente est le principal facteur expliquant la réticence des conseillers à y entrer.

La plupart des conseillers s'occupent de la planification de la retraite de leurs clients et un placement de 5 000 $ s'avère une occasion moins attrayante que les REER ou d'autres idées de planification pour la retraite, explique-t-il. Le petit montant du placement limite les conseillers dans leur capacité d'agir du point de vue de la planification financière, ajoute-t-il. M. Lutrin pense qu'à mesure que le droit de cotisation du client au CELI s'accumulera, par exemple lorsqu'il passera dans la plage des 15 000 $ à 25 000 $, ces véhicules deviendront plus populaires chez les conseillers.

Concurrence

Une autre bonne raison du manque d'intérêt des conseillers pour ce marché est que les CELI livrent directement concurrence au REER, surtout pour les clients limités dans les montants qu'ils peuvent investir, explique M. Lutrin. La plupart des Canadiens n'excèdent pas leur plafond de cotisation au REER et si un client doit choisir entre les deux types de comptes, le conseiller préférera généralement le voir investir ses fonds de retraite dans un REER.

D'où vient cette préférence ? L'avantage pour le client de se prévaloir immédiatement d'une déduction fiscale après avoir effectué sa cotisation au REER, et la « mentalité » selon laquelle un REER est placé à plus long terme qu'un CELI. Selon lui le CELI, surtout celui offert par les banques, est plutôt perçu par les conseillers comme un compte d'opérations.

Les retraits dans un compte REER sont assujettis à l'impôt, contrairement à ceux dans les CELI, où l'on peut puiser sans aucune pénalité. « On y dépose et on y retire facilement », dit M. Lutrin. Malgré cet avantage, il décrit les activités actuelles liées au CELI chez Hub comme « anémiques », comparées aux REER.

Ce n'est pas par ignorance ou par apathie que les conseillers en sécurité financière n'ont pas vendu beaucoup de CELI. Toutefois, même si les REER dominent encore, ceci peut changer avec le temps, ajoute-t-il. « Dans cinq ou dix ans, le CELI ne sera peut-être pas l'égal du REER, mais ils se livreront une concurrence beaucoup plus serrée. »

Tony Ryan, vice-président à la direction de l'agent général Groupe Financier Horizons, pense aussi que les ventes de CELI vont s'améliorer chez les conseillers. « C'est comme n'importe quel produit. Il gagnera en popularité avec le temps. »

Son cabinet a vendu un certain nombre de CELI, mais M. Ryan ne le considère pas comme un produit que les conseillers vendront en solo. « Il est difficile d'imaginer un courtier parcourir 65 kilomètres pour aller chercher 5 000 $ pour un CELI. » Ils en vendront plutôt au moment de la révision annuelle du dossier du client, avec d'autres produits, explique-t-il.

Succès

M. Ryan suggère que l'usage engendrera le succès. « Généralement, les Canadiens mettent un bout de temps avant de s'enthousiasmer pour des nouveaux produits. Nous sommes sceptiques par nature. »

Il y a environ 15 ans, ajoute-t-il, les banques dominaient le marché des REER, mais les conseillers ont progressivement gagné du terrain. La même tendance se répétera vraisemblablement avec les CELI, prédit M. Ryan.

Lorsqu'un choix doit être effectué entre l'investissement dans un CELI ou dans un REER, Mike Rickaby de Paragon Financial dit que l'âge du client et sa situation financière sont les facteurs clés. Jusqu'à maintenant, ses ventes de CELI ont été faites auprès des clients plus âgés dont la situation financière est stable. « Ceci fonctionne très bien pour les gens qui sont déjà à la retraite. » Mais, pour les clients dont les revenus gagnés sont à leur maximum, investir dans un REER est plus logique en raison de la déduction fiscale, ajoute-t-il.

Clientèle idéale

La clientèle idéale pour les CELI est celle des gens qui ont pris leur retraite tôt et qui n'ont pas encore atteint l'âge de 65 ans, estime M. Rickaby. Ces clients peuvent se prévaloir actuellement d'un faible taux d'imposition marginal, mais cette situation pourrait changer lorsqu'ils atteindront 65 ans et que le Programme de la sécurité de la vieillesse (SV) ainsi que le Régime de pension du Canada (RPC) leur seront versés. Il suggère à ces clients de retirer des fonds de leur REER chaque année et de les réinvestir dans un CELI parce que les revenus de ces comptes n'auront pas d'incidence sur leur taux d'imposition ultérieurement. De plus, avoir moins d'argent dans leur REER ou leur Fonds enregistré de revenu de retraite (FERR) à l'âge de 65 ans réduira peut-être la récupération de la SV qui peut se produire lorsque le revenu du FERR atteint un certain niveau.

Il voit aussi le REER comme un véhicule de placement idéal pour les gens plus jeunes se situant dans des fourchettes d'imposition inférieures et qui ne profitent pas beaucoup de la déduction fiscale d'un REER. Mettre 5 000 $ par année entre 18 et 25 ans se traduirait par une mise de fonds appréciable pour une première maison. Mais jusqu'à maintenant, il n'a pas eu de jeunes clients pour investir dans un CELI. « Le fait est que beaucoup de ménages avec des enfants à l'école, même s'ils touchent deux revenus, n'ont pas assez d'argent pour le CELI. Plusieurs vivent d'un chèque de paie à l'autre. »

Par ailleurs, pour M. Ryan de Financial Horizons, la beauté du CELI réside dans sa souplesse. Il peut servir à long terme pour atteindre les objectifs de financement pour la retraite ou pour d'autres buts comme un fonds d'urgence. Il vaut mieux utiliser les fonds d'un CELI, en cas d'urgence, que de drainer un REER et encourir les pénalités, conclut-il.

M. Ryan dit que la souplesse du CELI permet aux conseillers financiers de les intégrer au plan financier d'un client et de la façon qui convient le mieux à ce client. « Ce n'est pas une panacée, mais un autre outil pour les conseillers. »