Les banques à charte fédérale devront divulguer leurs frais de conversion des devises sur carte de crédit dans les provinces qui l’exigent, a statué la Cour suprême du Canada. Cette décision pourrait avoir un impact sur la rédaction de contrats d’assurance et de relevés d’investissement, estiment deux avocats de Lavery.photo_web_1172C’est le 19 septembre 2014 que la Cour suprême du Canada a rendu ses décisions face aux banques dans le cadre de recours collectifs accueillis devant la Cour supérieure. Elles ont ensuite été portées devant la Cour d’appel du Québec. Des consommateurs voulaient obtenir le remboursement des frais de conversion imposés sur les opérations par carte de crédit en devises étrangères par plusieurs institutions émettrices.

Ils invoquaient que ces frais contrevenaient à la Loi sur la protection du consommateur du Québec. Les articles 12 et 272 de la loi stipulent que les commerçants sont tenus de porter à l’attention des consommateurs les frais qu’ils imposent, faute de quoi ils ne peuvent les réclamer.

Obligation de divulguer les frais


Le plus haut tribunal du pays a donné préséance à la réglementation provinciale en ce qui touche l’obligation de divulguer ces frais. Parmi les décisions rendues par la juge en chef Beverley McLachlin figurent Banque de Montréal contre Réal Marcotte (référence 2014 CSC 55), Banque Amex du Canada contre Sylvan Adams (2014 CSC 56), et Réal Marcotte contre Fédération des caisses Desjardins du Québec (2014 CSC 57).

 

Dans ses arrêts, la Cour Suprême a montré un souci particulier envers la transparence. Toutes les institutions ont dû rembourser les frais de conversion imposés à leurs clients des cartes de crédit, pendant la période où elles ne les avaient pas indiqués conformément à la loi québécoise. La période s’étale souvent sur plusieurs années. Des banques ont en outre écopé de dommages et intérêts punitifs, car elles n’avaient divulgué ces frais nulle part et qu’elles n’ont su expliquer cette infraction à la satisfaction de la Cour. La juge en chef a qualifié leur attitude de laxiste, passive ou ignorante.

Les caisses Desjardins ont évité cette sanction puisqu’elles les avaient indiqués dans les relevés mensuels, même si elles ne l’avaient pas fait dans leurs contrats. « Les titulaires de cartes qui sont des consommateurs auront reçu leur premier relevé peu après avoir conclu le contrat et n’auront pas engagé des frais de conversion importants, si tant est qu’ils en aient engagé », écrit la Cour.

Si le plus haut tribunal du pays s’est rendu aux prétentions des banques selon lesquelles les frais de conversion de devise ne sont pas des frais de crédit, elle les a toutefois tenues de respecter une réglementation provinciale qui stipule de divulguer ces frais à leurs relevés et contrats de crédit.

Impacts en assurance


La décision a fait les manchettes, mais pas ses effets sur l’industrie de l’assurance et des services financiers. Or, il y pourrait y en avoir indirectement. Les rédacteurs de contrats d’assurance et de relevés d’investissement devront en prendre acte, estiment deux avocats de la firme Lavery.

 

« La décision de la Cour suprême a un impact pour les assureurs, surtout au niveau de la rédaction des contrats en ce qui touche la divulgation des frais », ont commenté les associés de Lavery, Luc Thibaudeau et Marc Beauchemin, en entrevue au Journal de l’assurance.

Luc Thibaudeau est connu pour son ouvrage Guide pratique de la société de consommation - Nouvelle référence pour les juristes, nouvelle ressource pour les consommateurs, publié aux Éditions Yvon Blais en 2013. Il prépare actuellement le 2e tome, dont la sortie est prévue sous peu et qui traitera des garanties. Marc Beauchemin se spécialise dans le droit de l’assurance et a conseillé l’industrie dans plusieurs projets légaux, notamment celui de la loi d’intérêt privé qui a permis à Humania Assurance de se scinder en une compagnie et une mutuelle de gestion.

Marc Beauchemin commente que l’issue d’un tel jugement aurait été plus prévisible en droit de l’assurance. « Au Québec, il est reconnu au niveau constitutionnel que c’est la Loi sur les assurances du Code civil du Québec qui prévaut », a expliqué M. Beauchemin. L’assurance est aussi de compétence provinciale ailleurs au Canada, a-t-il précisé.

Les assureurs sont ainsi moins touchés au niveau corporatif par cette décision que le sont les banques. « Pour les banques, le cas était particulier, car elles sont considérées comme des institutions à charte fédérale d’après la constitution, explique M. Beauchemin.

« Il y a eu une suite de jugements dans le passé où les banques ont contesté l’application d’une règle provinciale parce qu’il existait une règle fédérale similaire. Dans le cas présent, la Cour suprême du Canada a confirmé que si une règle provinciale ne contredit pas la règle fédérale, c’est la règle provinciale qui s’applique. »

Marc Beauchemin estime que la décision Marcotte revêt un grand intérêt en regard du droit constitutionnel, surtout dans les champs dans lesquels les compétences fédérales et provinciales se chevauchent.

La table semble mise pour une plus grande transparence envers les consommateurs de crédit comme Réal Marcotte. « En matière de droits des consommateurs, la Cour a toujours dit que les institutions financières font face à un consommateur crédule et inexpérimenté. Elles doivent donc lui donner le plus d’information possible et le plus exactement possible, explique Luc Thibaudeau. Dans le dossier Marcotte, non seulement le consommateur manquait d’information, mais on ne savait pas dans quelle catégorie celle-ci entrait : frais de crédit ou capital? »

La distinction est cruciale pour les banques, car l’information ne sera pas divulguée de la même manière dans les deux cas. « Si c’est du capital, tu peux divulguer en dollars seulement, par exemple en inscrivant 10 $. Si c’est du crédit, il faudra l’inscrire en pourcentage », précise-t-il. Exemples de frais de crédits : les frais d’une agence de courtage ou les pénalités. Ces frais doivent être calculés selon un taux. Ce taux doit tenir compte de tous les frais de crédits.

Finalement, la Cour a considéré que les frais de conversion de devises sont des frais de capital. « Son jugement est donc moins sévère que celui du juge de première instance, qui les avait considérés comme des frais de crédit », explique M. Thibaudeau. Cela rend l’environnement commercial plus viable qu’autrement pour les banques, ajoute-t-il.

Approche nouvelle et libérale


L’approche de la Cour suprême a été nouvelle et libérale, estime M. Thibaudeau. Les frais de conversion ne constituent pas une somme que le consommateur « doit payer » pour avoir accès au crédit, ont par ailleurs écrit les juges de la Cour suprême dans leur décision. Les avoir considérés autrement que du capital en serait venu à faire payer tous les utilisateurs pour ceux qui recourent aux services de conversion en devises étrangères, explique M. Thibaudeau. « Peu de ceux qui ont écrit sur cette décision ont traité de cet aspect. »