Le cout nivelé des produits permanents d’assurance maladies graves s’est engagé dans une spirale à la hausse en 2012. Les actuaires pointent les taux d’intérêt du doigt.Quand Financière Manuvie a haussé le prix du cout nivelé de l’assurance vie universelle à la fin de 2010, elle a déclenché un véritable raz-de-marée en 2011. Le scénario se répète en maladies graves. Après que Manuvie ait haussé une première fois son cout nivelé d’assurance maladies graves en 2011, suivie de ses concurrents cette année… et d’elle-même avec une seconde hausse le 16 juin.

Vulnérables à la faiblesse des taux d’intérêt à long terme comme la vie entière et la vie universelle à cout nivelé, les produits de maladies graves permanents (T100) et à période de paiement limité à 75 ans (T75) écopent.

Manuvie a augmenté le prix de plusieurs produits avec garanties de longue durée, en raison de la faiblesse des taux d’intérêt. Tout y passe : cout nivelé de l’assurance vie universelle, de la vie entière, de la temporaire 100 ans, de l’assurance maladies graves T100 et T75.

Selon les sources contactées par le Journal de l’assurance, la plupart des compagnies d’assurance ont augmenté le prix de ces produits ou le feront sous peu.

Canada-Vie et Great-West ont haussé le prix de ces produits en début d’année. Depuis, les 20 à 50 ans paient en moyenne 8 % plus cher pour la version T100 du produit PrioritéVie (OasisMC pour Great-West). La hausse moyenne atteint 11,5 % pour la version T75 payable à 65 ans, 9 % pour la version T75 et 13,5 % pour la version permanente payable en 15 ans.

En janvier, La Survivance a haussé de près de 25 % le prix de la couverture permanente T100 de son produit Prodige. Mutuelle établie à Saint-Hyacinthe, ce joueur de niche n’avait pas révisé la tarification de ce produit depuis son lancement il y a 6 ans. L’Industrielle Alliance a haussé le prix des produits permanents d’assurance maladies graves le 3 juillet 2012. La hausse s’est limitée à 2 % pour les fumeurs, alors qu’elle atteint 7 % pour les non-fumeurs.

Louis-Charles Leclerc, directeur des produits d’assurance individuels à l’Industrielle Alliance, explique pourquoi être plus sévère pour les non-fumeurs. « Nous avions une marge de manœuvre chez les fumeurs, car ils ont toujours payé une prime plus élevée en maladies graves. Nous les avions tarifé de façon un peu plus rentable que les non-fumeurs, par conservatisme, car l’évolution du taux de morbidité chez les fumeurs est moins connu », a révélé M. Leclerc.

Desjardins Sécurité financière (DSF) a aussi procédé à une hausse, plus tard en juillet. Contactée pour savoir si elle suivrait la cohorte, Financière Sun Life a déclaré ne pas vouloir discuter de ses stratégies de tarification pour le moment.

Le Groupe Financier SSQ n’entend pas le prix de ces produits pour l’instant, a révélé Marc Trépanier, vice-président au développement des affaires, SSQ Vie, investissement et retraite. SSQ a acquis les produits d’assurance vie individuelle d’AXA Assurances en début d’année. Or, la tarification des produits à long terme a été en quelque sorte protégée par l’héritage européen d’AXA. « SSQ n’entend pas hausser le prix de ces produits maintenant, car ils sont davantage positionnés dans le marché à court terme », explique M. Trépanier.

Mais SSQ n’est pas pour autant immunisé contre la situation actuelle des taux d’intérêt. Marc Trépanier a en effet précisé que SSQ entend développer davantage ses produits à plus long terme. « Nous serons sujet à plus de vulnérabilité envers les taux d’intérêt à long terme dans nos prochaines polices », prévoit M. Trépanier.

Le début ou la fin?

D’autres hausses ne sont pas exclues, puisque les taux à la baisse persistent. La Réserve fédérale américaine a récemment annoncé son intention de maintenir les siens jusqu’à la fin de 2014. Les assureurs sont nerveux. « J’ai appris ces dernières années à ne jamais spéculer sur ce qui est le fond du baril », lance Steven Parker, vice-président adjoint aux produits chez Manuvie.

« C’est devenu un jeu du chat et de la souris, dit la chef de produits de prestations du vivant chez DSF, Nathalie Tremblay. Lorsqu’un assureur bouge, les autres se ruent pour savoir de combien », observe-t-elle.

Les distributeurs ressentent aussi l’onde de choc. Vice-président principal du marketing de Conseils PPI pour le Canada, Claude Ménard observe que la hausse des prix a changé les règles du jeu. Les conseillers magasinent moins le prix. « Un contrat permanent ou l’autre, c’est devenu blanc bonnet, bonnet blanc. Tous les assureurs s’alignent aux hausses de Manuvie à plus ou moins 5 %. La guerre des prix que se sont livré les assureurs depuis 25 ans est terminée », croit-il.

L’environnement actuel rappelle à M. Ménard les taux d’intérêt d’avant les années 80. Les assureurs ont chèrement payé la guerre des prix. Cette course les a rendus plus vulnérables aux taux d’intérêt, le tout aggravé par les hypothèses actuarielles d’abandon élevé des polices qui ne se sont pas matérialisées. Ils n’avaient pas le choix de bouger. L’avenir est maintenant aux assureurs qui sauront se distinguer autrement que sur le prix. M. Ménard observe pourtant peu de nouveautés en assurance vie individuelle depuis les 10 dernières années.

Des produits disparaissent, même. PPI a par exemple dû réorienter ses affaires en vie universelle à cout nivelé vers l’Industrielle Alliance, depuis que RBC Assurances a retiré son produit, en juin. L’Industrielle Alliance est à ce jour le seul assureur qui a conservé un produit de vie universelle adapté à sa solution de prêt à l’investissement 10-8, dit M. Ménard.

À l’Industrielle Alliance, Louis-Charles Leclerc observe qu’il n’y a eu aucune nouveauté en assurance maladies graves et vie individuelle depuis 2 ans, et ce dans toute l’industrie. « Au lieu d’innover, beaucoup d’assureurs ont préféré revoir leur tarification. On espère pouvoir renverser la tendance bientôt », a-t-il dit.

Outre la vie universelle à cout nivelé, RBC Assurances a suspendu en juillet la vente de produits. Un geste qui en a surpris plusieurs chez les conseillers et les assureurs.

Avec une approche sévère comme celle de RBC Assurances, l’industrie est à la croisée des chemins, fait observer Mme Tremblay. Cesser de vendre un produit lui semble en revanche un pari risqué, que DSF écarte d’emblée. « Est-ce que les conseillers iront vendre le produit temporaire de RBC en maladies graves ou prendront-ils la poudre d’escampette vers un autre fournisseur qui offre encore le produit permanent », s’interroge Mme Tremblay.

« Les primes garanties pour une longue période exigent d’inscrire ces obligations à long terme dans nos livres, rappelle Steven Parker chez Manuvie. Nous devons nous couvrir contre ces couts mais nous devons investir nos primes d’assurance à de très bas taux d’intérêt. »

Résultat, l’assureur manque de temps pour accumuler les sommes nécessaires pour remplir ses obligations et faire un profit sur ces affaires. « Les produits d’assurance maladies graves permanents et nivelés à 75 ans sont très sensibles aux taux d’intérêt à long terme, ajoute M. Parker. Nous avons haussé une première fois le prix de ces produits il y a un an, mais les taux à long terme ont diminué de 75 points de base (0,75 %) depuis. »

« Plus longtemps la prime est garantie, plus grand en est l’impact [des bas taux d’intérêt] », renchérit pour sa part Saundra Edwards, vice-présidente adjointe, marketing des produits individuels chez Great-West, Canada-Vie et London Life. Cette situation affecte tous les assureurs au même degré, ajoute-t-elle.

Et ce n’est qu’un début, estime Mark Halpern, président fondateur de l’agent général illnessPROTECTION.com. « Le problème est que ces produits ont été tarifés au début des années 90. Maintenant, une obligation à long terme se transige à 2 %. Il devient ainsi très difficile pour des assureurs de protéger leur risques à si long terme », explique M. Halpern.

Les ventes migreront

Mme Edwards croit toutefois que les hausses ne freineront pas la lancée du produit de maladies graves dans le marché canadien. Une lancée qui dure depuis 2007.

Nathalie Tremblay croit aussi que le mouvement des prix aura peu d’impact sur les ventes d’assurance maladies graves à primes garanties à long terme. Elle signale que DSF a le vent dans les voiles. « L’an passé, nous avons surpassé plus que six fois la croissance moyenne de l’industrie. Nous avons été le plus gros souscripteur d’assurance maladies graves individuelle en 2011 », soutient-elle.

Pour le premier trimestre de 2012, DSF a connu une croissance de 33 % en assurance maladies graves. « C’est presque que quatre fois plus que la moyenne de l’industrie », souligne Mme Tremblay. « Lorsqu’un assureur augmente ses primes de façon importante, il y a un impact sur ses affaires à court terme, mais pas sur celles de ses concurrents. Le conseiller place ses affaires ailleurs », ajoute-t-elle. Hausse ou pas, la vie continue et le besoin du client demeure. Cette hausse peut d’ailleurs passer inaperçue à ses yeux. « Une hausse de la prime annuelle de 1 000 $ à 1 100 $ ou à 1 200 $ donnera un coup au conseiller, mais son nouveau client le sait-il que la semaine passée, cette police coutait 1 000 $? »

Le conseiller pourra aussi changer la répartition de ses ventes d’assurance maladies graves au sein du même fournisseur. « Les conseillers pourraient transférer leurs affaires vers le produit temporaire. Leurs clients eux-mêmes considéreront d’autres produits de maladies graves comme les temporaires 10 et 20 ans », pense Steven Parker.

Malgré la hausse marquée de son produit Prodige au début de l’année, La Survivance en vend davantage, révèle Stéphane Rochon, son vice-président, ventes et marketing. « Par cette hausse, nous avons un peu délaissé le marché des adultes, car nous voulions demeurer concurrentiel dans celui des enfants. Malgré tout, les ventes sont en croissance. La hausse du prix du produit pour enfants parait moins grosse, car il s’agit de petits montants de primes », explique M. Rochon.

Il constate aussi une migration vers les produits temporaires. « La hausse n’a pas affecté notre marché des enfants mais pour celui des adultes, nous avons vu les conseiller migrer vers la T10 et la T20 », confirme M. Rochon.

À l’Industrielle Alliance, M. Leclerc remarque cette tendance au sein de son réseau captif. « Le réseau de carrière vise davantage le marché familial. L’achat d’assurance est donc question de budget. Le conseiller vendra une couverture temporaire moins chère avec privilège de transformation. On l’observe dans nos ventes de maladies graves. »

M. Leclerc estime qu’il est encore trop tôt pour observer l’effet des hausses sur le réseau des agents généraux. Les ventes totales en assurance maladies graves individuelle pour l’Industrielle Alliance au premier trimestre de 2012 se sont établies à 3,64 millions de dollars (M$), révèle-t-il. « De ce nombre, 31 % proviennent des ventes du réseau de carrière, soit 1,14 M$, et 69 % des ventes provient du réseau courtage, soit 2,5 M$. »

Miser sur les pl. fin.

Les conseillers en sécurité financière pourront éviter l’impact de ces hausses sur leurs ventes, croit Mark Halpern, de l’agent général illnessPROTECTION.com. Les conseillers qui vendront le produit selon le besoin plutôt que la prime gagneront au change, dit-il. M. Halpern se préoccupe cependant de voir que si peu de conseillers vendent le produit de maladies graves. « Ils manquent une occasion très lucrative pour leurs affaires ou alors ils ne prennent pas assez au sérieux leur responsabilité envers le client », tranche-t-il.

Une situation que confirme Stéphane Rochon. « Il faut sensibiliser les conseillers à l’incroyable part du marché qu’ils négligent. Sur 100 conseillers, je n’en ai pas 15 qui vendront un produit de maladies graves dans l’année. »

Pour tirer parti de ce potentiel, les conseiller doivent élever leur niveau de compétence et d’éducation, croit M. Halpern. Ainsi, il n’hésite pas à mettre de l’avant ses titres de Certified Financial Planner (CFP) du Financial Planning Standards Council et de Trust and Estate Practitioner (TEP) de la Society of Trust and Estate Practitioners. Comme le CFP, le TEP est un titre détenu chez plusieurs catégories de professionnels, allant de l’avocat au conseiller financier. « Si vous accompagnez vos clients dans une perspective de résolution de problèmes plutôt que d’essayer de leur vendre un produit, il y aura une place pour l’assurance maladies graves peu importe son prix. » Mark Halpern considère qu’il n’y a jamais eu de meilleur moment pour acheter, car il n’y a pas de meilleur produit d’assurance maladies graves au monde que le produit canadien, avec ses primes garanties. Il craint en effet un nivèlement par le bas dans le futur, comme cela s’est produit dans ses premiers marchés, notamment en Afrique du Sud, en Australie et au Royaume-Uni.