Le conseiller peut composer avec les nouvelles exigences règlementaires et même prospérer avec elles parce qu’elles entrainent le développement de meilleures pratiques, ont expliqué trois conférenciers au Congrès de l’assurance et de l’investissement.Si certains accrocs à la conformité témoignent d’intentions frauduleuses, la plupart prennent leur source dans l’ignorance et la tentation de tourner les coins ronds. Signer en l’absence du client à sa place, falsifier un document ou bâcler une analyse de besoins financiers tentent en effet plusieurs conseillers d’autre part bien intentionnés.

Une vidéo de la Chambre de la sécurité financière présentée au Congrès lors de ce panel sur la conformité montre un cas fictif éloquent à ce sujet. On y voit le conseiller-comédien accepter sous la pression de son client de faire entorse au profil de risque de celui-ci. Il concentrera les investissements de son client « satisfait » dans un fonds agressif. Dans cette vidéo, le conseiller transgresse les règles pour ne pas perdre son client.

La vice-présidente aux affaires juridiques et corporatives de la Chambre, Marie-Élaine Farley, a expliqué pourquoi on observait encore de tels manquements en cette ère de conformité. « Hormis les cas de malversations et de fraudes, je crois que les fautes ne sont pas commises avec de mauvaises intentions. Les gens pensent : «Ah! ce n’est pas grave, c’est pour rendre service à mon client ou un collègue». Les conséquences leur semblent anodines. »

Les conseillers échaudés pour avoir « rendu service » ne récolteront pas seulement amendes et décisions disciplinaires. « Ils peuvent ensuite avoir de la difficulté à se dénicher une bonne assurance responsabilité, a-t-elle précisé. Elle pourrait aussi leur couter plus cher. »

Envisager la conformité comme un partenaires d’affaires

Mme Farley a plutôt suggéré aux conseillers de travailler dans le sens de la conformité. « Pour connaitre du succès, le conseiller doit envisager la conformité comme un partenaire d’affaires et non comme un adversaire, a-t-elle dit aux congressistes. Aujourd’hui, ça prend plus qu’un bel habit et une grosse voiture. Pour gagner la confiance du client, il faut être bien organisé et démontrer du sérieux. »

Les chiffres donnent à penser que ce message ne passe pas encore tout à fait. Au 30 septembre 2013, la Chambre comptait 32 004 assujettis, dont 23 492 en épargne collective et 12 139 en assurance de personnes. Les totaux divergent, car plusieurs sont à la fois inscrits dans les deux disciplines. En 2012, 671 demandes d’enquête ont débouché sur l’ouverture de 485 d’entre elles, touchant environ 1,5 % des assujettis. De ces enquêtes, 70 % ont visé un professionnel du secteur de l’assurance.

Au bout du compte, 0,2 % des assujettis ont fait l’objet d’une plainte auprès du comité de discipline de la Chambre. De ces 67 plaintes, les conflits d’intérêts et la falsification de documents ou de signatures sont les manquements les plus fréquemment allégués. Suivent l’analyse des besoins ou profil d’investisseur absente ou mal exécutée, la signature en blanc et celle à titre de témoin sans la présence du client et, enfin, les explications ou les renseignements faux, trompeurs ou incomplets.

Plus de la moitié des plaintes (52 %) ont été déposées à l’endroit d’un professionnel du secteur de l’assurance, 30 % envers un professionnel du secteur des valeurs mobilières et 18 % envers les deux secteurs à la fois.

Fait marquant : 82 % des plaintes ont visé des infractions commises par des hommes et seulement 18 % par des femmes. Or, les professionnels assujettis à la Chambre se répartissent à peu près également entre hommes et femmes (48,9 % contre 51,1 %).

Une bonne analyse de besoins financiers va au-delà du document papier, a rappelé l’avocate Evelyne Verrier, associée au cabinet Lavery. « Elle doit être soutenue par des notes, un dossier bien documenté et des rencontres avec le client », a-t-elle ajouté.

Les gens ne lisent pas

Les représentations incomplètes ou erronées lors d’une planification financière ou d’une projection de produit suivent la même logique. Le plan peut être très détaillé et documenté, mais des détails demeurent inexpliqués. « En bout de ligne, le client n’a pas retenu grand-chose au niveau de l’objectif et des recommandations contenues dans le document, a-t-elle expliqué. Gardez à l’esprit que, souvent, les gens ne le lisent pas. »

Elle invite les conseillers à prendre garde aux bonnes intentions et rappelle que la signature en blanc ou forgée est à honnir, « que ce soit pour sauver du temps, dépanner ou parce que l’autre signataire n’est pas disponible ». L’avocate dit entendre fréquemment ces excuses, mais aucune d’entre elles n’atténuera la tache au dossier du conseiller.

D’autres trébuchent en faisant passer leur intérêt avant celui de leur client. Ils succombent entre autres à la tentation de leur vendre un produit qui ne leur convient pas. « L’assurance vie universelle qui ne convient pas aux besoins du client ou qui ne produit pas les rendements espérés est un cas qui revient souvent devant les tribunaux », dit-elle.

De même, les conseillers doivent-ils craindre de payer une prime au nom du client ou de mal remplir sa proposition d’assurance? Livrer une police en dehors du délai prescrit n’est pas une meilleure option. « Vous sentez-vous concernés par un de ces accrocs?, a-t-elle demandé à l’auditoire. Il y a des risques qui y sont liés, mais plusieurs tendent à les minimiser en pensant que se faire prendre, ça n’arrive qu’aux autres. »

Le conseiller qui se fait prendre pour de tels accrocs s’expose à des risques judiciaires, explique Mme Verrier. « Les dossiers peuvent prendre tant le chemin des tribunaux civils que disciplinaires. L’un n’exclut pas l’autre. » Il y a le risque de sanction et d’amende. Il y a aussi le caractère public du recours et l’atteinte à la réputation du conseiller. « Cela pourrait nuire à la croissance de vos affaires. » Les inconvénients de l’engrenage judiciaire peuvent aussi causer du stress et des soucis. Il faut répondre aux questions de l’enquêteur et témoigner au tribunal. « Il y a quelques nuits blanches rattachées à cela. »

Les conseillers peuvent éviter ces tracas pour peu qu’ils en finissent avec tous ces dossiers bâclés. « Vos notes devraient être contemporaines, donc prises au fur et à mesure, car il est difficile de se souvenir des faits après trois ans. Elles devraient être claires, concises et lisibles. Elles doivent aussi être neutres et factuelles. Souvent, on voit des notes qui sont basées sur des perceptions et des ouï-dire. Faites attention aux commentaires gratuits. Allez-y avec des faits. Pensez que d’autres peuvent être appelés à lire vos notes. L’enquêteur, le juge, le client… »

Mme Verrier a insisté sur l’importance de prendre le temps nécessaire pour bien classer et organiser ces notes dans le dossier. « Faites preuve de rigueur. Résumez les éléments importants. Vous devez être capable de repérer facilement où et quand a eu lieu une rencontre. Avec qui, comment et pourquoi? Quels étaient le mode de communication, la durée des échanges et le suivi convenu? »

La mémoire est une faculté qui oublie. Ainsi, Mme Verrier suggère de valider les perceptions des clients après un échange et de noter leurs réponses. Demandez au client : « Est-ce clair pour vous? Avez-vous des questions? » Soyez à l’écoute. Confirmez la compréhension par courriel, lorsque nécessaire.

Ces précautions sont un gage de professionnalisme, ajoute Mme Verrier. « La conformité n’est pas un frein, même si elle semble alourdir la tâche des conseillers. Elle peut souvent être transformée en occasion d’affaires. Elle forcera finalement bien des gens à être à jour, à faire des suivis et à aller au-devant de leurs clients », dit-elle. « La conformité, selon moi, c’est : rien à perdre et tout à gagner », a ajouté Mme Verrier.

Se construire un guide des bonnes pratiques

Le conseiller en affaires depuis l’époque à laquelle la conformité n’était qu’une vague préoccupation pourra trouver la barre élevée. Certains pourraient devoir revoir tous les dossiers de leurs 500, 1 000, 2 000 clients pour en vérifier la conformité. Après 32 ans de carrière, le vice-président et directeur général du Groupe Cloutier, Michel Kirouac, peut les comprendre. « Je suis entré dans la profession sur les traces de mon père, et s’il m’avait dit à l’époque que je donnerais une conférence sur la conformité, je ne suis pas sûr que je l’aurais cru. »

Aujourd’hui, il dit s’adresser à son auditoire pour lui proposer de se bâtir un guide des bonnes pratiques. « Vous devez en premier lieu reconnaitre l’importance d’une conformité adéquate. Si vous croyez avoir le choix de vous préoccuper ou non de conformité, vous devez dès maintenant remplacer le mot «choix» par le mot «obligation»! »

Autrement, le conseiller se place dans une zone à grand risque, dit-il. En cas d’inspection ou de plainte, il est déjà trop tard pour s’en préoccuper. « Avec de bonnes pratiques, vous n’atteindrez peut-être pas le risque zéro, mais vous serez dans la zone verte plutôt que rouge », a précisé M. Kirouac.

Avant d’appliquer de bonnes pratiques commerciales, le conseiller doit toutefois « se doter d’une trousse, se construire un guide de bonnes pratiques, bâtir ses outils et définir ses politiques », a-t-il insisté.

Parmi les politiques que devrait contenir une bonne trousse de conformité, M. Kirouac énumère celles sur le blanchiment d’argent, la protection des renseignements personnels, le traitement des plaintes, l’avis de divulgation du représentant, l’analyse des besoins financiers et la consignation des renseignements recueillis.

Des politiques claires entraineront de bonnes pratiques qui ne sont pas toujours évidentes, ajoute M. Kirouac. « Remettre l’avis de divulgation? Ça a l’air drôle, mais certains ne le font pas. Aussi, consignez les renseignements recueillis. Avez-vous pris bonne note que, depuis le 22 octobre 2013, vous devez remettre au client les renseignements recueillis sur eux dans l’analyse des besoins financiers? Je serais curieux de voir si tous les conseillers le font. »

Pourquoi ça tourne bien ou mal? Appelé à défendre des conseillers, M. Kirouac réitère qu’il faut bien documenter ses dossiers. Il croit par exemple que le conseiller doit pouvoir justifier pourquoi son client a décidé d’acheter tel produit plutôt qu’un autre, et pourquoi il a choisi telle ou telle caractéristique.

« Par exemple, pourquoi a-t-il choisi un délai de 90 jours plutôt que de 30 jours dans son contrat d’assurance invalidité? Ne vous fiez pas uniquement au contenu de la proposition. Privilégiez les notes, entre autres une qui indiquerait : «Mon client m’a dit qu’il n’avait pas besoin d’un délai de carence de 90 jours, car il a un bon compte en banque». Il n’est jamais trop tard pour documenter vos dossiers », ajoute-t-il.

Un conseiller bien préparé a 95 % de chances de résoudre la plainte à la satisfaction du client, croit M. Kirouac. « En cas de plainte, faites-vous aider, a-t-il expliqué. Contactez votre agent général, votre assureur ou la Chambre. Connaissez bien la nature de la plainte et déterminez dans quel délai vous devez y répondre. »