La notion d’invalidité totale a été contestée devant les tribunaux dans une affaire qui opposait SSQ Assurance à une assurée en collectif atteinte d’une maladie chronique lui empêchant de travailler à temps plein.

L’assureur a cessé de verser ses prestations d’assurance salaire, puisqu’il considérait que son état de santé lié à sa diverticulite chronique stagnait depuis quelque temps. SSQ considérait donc que la demanderesse était apte à retourner au travail, ce qu’elle a contesté devant la Cour du Québec.

Le point en litige : la notion d’invalidité totale. Ce qui a fait en sorte que le juge Steve Guénard a clarifié des notions liées à cet état.

Dans son jugement, il a ainsi statué que : « Les définitions d’invalidité totale sont multiples en jurisprudence, mais […] les tribunaux ont reconnu […] que la notion d’invalidité totale ne représente plus celle d’un malheureux individu étant, littéralement, cloué au lit 365 jours par année ».

C’est Maurice Charbonneau, président et avocat chez Charbonneau, avocats conseils, qui a relevé l’existence de ce jugement au Journal de l’assurance.

La décision sous la loupe

Suite aux recommandations de son médecin, la charge de travail de la demanderesse a été limitée à l’enseignement des matières de base, soit le français et les mathématiques. Elle a doit également s’absenter une journée par semaine pour se reposer.

La commission scolaire pour laquelle la demanderesse travaillait, dont le nom n’a pas été révélé, a reconnu son diagnostic de diverticulite chronique et a accepté la décision de réduire son nombre de jours de travail hebdomadaire. Les prestations d’invalidité ont été versées par la commission scolaire pendant une période de 104 semaines, jusqu’au 29 septembre 2009. C’est à ce moment que SSQ a commencé à gérer le dossier.

L’assureur a payé l’équivalent du salaire de la demanderesse pour une ou deux journées chaque semaine depuis 2009. Par contre, en automne 2016, SSQ cesse de verser les prestations en disant que le stress ne serait pas responsable des crises liées à la diverticulite chronique. Le tout fait suite à l’analyse médicale réalisée en décembre 2016 par le directeur médical de SSQ, le Dr René Hendricks.

Ainsi, d’après SSQ, « la demanderesse ne [répondait] pas – ou ne [répondait] plus – à la définition d’invalidité totale prévue au contrat d’assurance collective ».

Débat de médecins

Rasmy Loungnarath, chirurgien colorectal de profession était appelé à témoigner du côté de la défense. « Je ne crois pas qu’une surcharge de stress ou de travail provoque une diverticulite aigüe. Je crois que madame C peut très bien retourner au travail à raison de 5 jours par semaine. Il est à noter que tout au cours de sa vie [la demanderesse] est à risque de récidive de diverticulite s’il n’y a aucune sanction chirurgicale considérée », a-t-il affirmé.

Ce dernier ne peut affirmer, « à la lumière de l’ensemble de la littérature médicale », que le stress peut directement causer les crises de diverticulite aigües. Ainsi, la demanderesse « ne souffrirait d’aucune limitation particulière », sauf lorsque celle-ci est en période de crise.

Le médecin de famille de la demanderesse, Dre Sylvie Charbonneau, « rappelle que la diverticulite vécue par sa patiente est une maladie dite chronique, causée, en particulier, par une forte pression au niveau du colon. Le stress, selon elle, est relié au transit intestinal. La paroi intestinale de sa patiente est manifestement fragile — le tout entraine (ou à tout le moins contribue) de l’inflammation, ce qui entraine de douloureuses crises diverticulaires », résume le juge Guénard dans son jugement.

Entre novembre 2002 et octobre 2014, la demanderesse a été victime de six crises majeures, ce qui a mené son médecin à affirmer que le stress lié au travail pourrait être l’une des causes de celles-ci. Le tout justifiait l’état d’invalidité totale. Le fait de réduire le nombre de jours de travail viendrait ainsi réduire le stress vécu par la demanderesse, a-t-elle affirmé.

 « La Dre Charbonneau explique que le stress est un facteur pertinent, en l’espèce, comme “dans bien des pathologies” », peut-on lire dans le jugement.

Le retour progressif souhaité

D’après France Goulet, directrice, litige et enquête pour SSQ, le dossier a toujours été géré en considérant un « retour progressif » au travail.

Ainsi, maintenant que sa situation médicale est considérée comme étant stable, l’assureur affirme que la demanderesse est apte à retourner au travail à temps plein. Le tout ferait ainsi en sorte qu’elle ne serait plus en situation d’invalidité totale.

Toutefois, « le contrat d’assurance, de l’admission de tous, ne contient aucune disposition prévoyant un tel mécanisme de retour progressif », note le juge Guénard dans son jugement.

Cette considération serait incluse dans une fiche d’interprétation conclue entre SSQ et la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), qui était le syndicat des employés de la commission scolaire.

Notons que la compagnie d’assurance était liée à la CSQ en ce qui a trait à l’assurance salaire de longue durée dont bénéficiait la demanderesse. Toutefois, la CSQ s’est désaffiliée de SSQ en 2007.

L’invalidité est maintenue

Le Tribunal considère que malgré les preuves soumises par SSQ, l’assurée demeure dans un état d’invalidité totale. « Par voie de conséquence, et vu la conclusion du Tribunal quant à la question principale soumise, le Tribunal condamnera SSQ à payer [la somme de 17 280,03 $], à jour au 30 avril 2019 », a déclaré le juge Guénard.

Ce montant comprend les versements prévus entre le 26 aout 2016 et le 30 avril 2019.

La demanderesse avait également déposé une demande pour des dommages punitifs et moraux, que le Tribunal a refusé d’accorder.

« Le Tribunal n’a aucun doute que les parties respecteront [le contrat d’assurance], le tout à la lumière des conclusions du présent Jugement. Ceci dit, le Tribunal ne peut présumer qu’aucun “changement” ne surviendra, dans le futur, quant à l’état de la demanderesse. Cela semble, cependant, hautement improbable », peut-on lire dans le jugement.