Avec la venue dès le premier janvier 2009 du compte d’épargne libre d’impôt, l’assurance vie universelle aura fort à faire pour conserver sa part habituelle de l’épargne des clients. Seule une analyse des besoins permettra de départager ces deux abris fiscaux.

Dans son dernier budget, le gouvernement fédéral a annoncé la création d'un compte d'épargne libre d'impôt dès le 1er janvier 2009. À partir de cette date, les contribuables de 18 ans et plus pourront épargner 5 000 $ par an dans ce véhicule, sous forme d'actions, d'obligations, de fonds de placement, de certificats de placement garantis et de parts de petites entreprises qui se qualifient.

Les contributions au CELI ne donnent pas droit à une déduction fiscale, mais les retraits ne seront pas imposés et ne diminueront pas les autres droits du contribuable à des déductions ou des crédits d'impôts. La limite annuelle de contribution sera indexée au coût de la vie et l'épargnant pourra reporter indéfiniment toute contribution non utilisée.

Devant tant d'attraits, les assureurs se préparent déjà à convertir plusieurs de leurs produits d'épargne en CELI. Or, quel sort sera-t-il réservé à leur vie universelle avec ce nouveau concurrent au statut d'abri fiscal? Ceux qui maximisent leurs cotisations au REÉR passeront-ils désormais l'excédent au CELI plutôt qu'à la vie universelle?

Selon le vice-président principal, assurance et investissement individuels de Sun Life, Kevin Strain, il ne fait aucun doute que le CELI prendra sa part de la gestion de patrimoine. Le nouveau venu ne changera toutefois rien au fait que la vie universelle comble avant tout un besoin d'assurance, rappelle-t-il. « C'est un outil privilégié de planification successorale et de protection du patrimoine. »

Dans son réseau des comptes nationaux, le marché cible est d'ailleurs constitué des clients fortunés de 50 ans et plus. Leur prime excédentaire annuelle moyenne atteint 20 000 $. M. Strain compte plusieurs clients dans ce réseau dont les dépôts excédentaires atteignent 100 000 $ annuellement.

De son côté, le réseau de carrière de Sun Life vend des polices universelles destinées essentiellement à combler un besoin d'assurance, et dont la prime annuelle totale tourne autour de 2 000 $. M. Strain croit donc que le CELI n'affectera pas les ventes de vie universelle à ces deux bouts du spectre des besoins.

Marty Mommersteeg, chef des produits de vie universelle chez Manuvie, croit que le CELI arrachera bien quelques dépôts à la vie universelle. Mais les clients plus fortunés se tourneront vers la vie universelle lorsqu'ils auront atteint le maximum de 5 000 $ de contribution au sein du CELI.

Il ne croit pas cependant que le statut d'abri fiscal du CELI fera si mal à la vie universelle, qui a longtemps tablé sur cet avantage pour attirer les clients potentiels. Selon M. Mommersteeg, moins de la moitié des vies universelles dans le marché sont utilisées comme abri fiscal en premier lieu. Dans le marché familial, la plupart des polices sont à prime minimum. C'est le besoin d'assurance qui domine dans ce cas, croit-il.

Manuvie recommande habituellement à la plupart de ses clients de maximiser leurs contributions au REÉR et d'utiliser l'espace de cotisation inutilisée avant de verser des primes excédentaires dans une vie universelle. Dès le premier janvier, elle recommandera donc à ses clients de maximiser à la fois REÉR et CELI avant de maximiser la vie universelle.

D'autres débouchés demeureront toutefois exclusifs à la vie universelle. Comme le CELI n'est accessible qu'aux personnes de 18 ans et plus, des parents ou grands-parents pourraient établir une vie universelle pour des enfants de moins de 18 ans, suggère pour sa part Peter Wouters, directeur fiscalité, planification successorale et marketing des produits de gestion du risque chez Empire Vie.

Aucun gain imposable ne sera attribué à l'enfant si le transfert de la police survient après que l'enfant ait atteint l'âge adulte, explique M. Wouters. Le report de l'impôt se perpétue donc et devient un abri fiscal au décès, rappelle-t-il.

M. Wouters observe également que le CELI peut poser un problème à ceux qui prévoient quitter le pays. « Jusqu'à ce qu'ils deviennent des Canadiens non résidents, ils peuvent maintenir leur CELI, mais ne peuvent pas y contribuer. Cette restriction n'affecte pas la vie universelle où l'assuré peut continuer d'effectuer des dépôts et profiter du report d'impôt », explique-t-il.

Avec une vie universelle qui vise le marché de la classe moyenne, La Capitale craint davantage l'effet du CELI sur les ventes de primes excédentaires au sein de ses vies universelles. « Le CELI peut arracher des dépôts à l'assurance vie universelle destinée à l'accumulation modeste. Si j'ai 5 000 $ disponibles chaque année, vais-je le placer dans une vie universelle avec une taxe sur les primes de 2,35 % ou dans un CELI sans taxe », s'interroge Steven Ross, vice-président exécutif en assurance de personnes à La Capitale.

Selon lui, si un client recherche la vie universelle pour besoin d'investissement seulement, le conseiller doit aussi lui proposer le CELI.

L'assureur se prépare d'ailleurs à lancer des produits de type CELI très bientôt. « Tous nos produits d'épargne seront lancés en CELI à partir du 1er janvier. Nous lancerons aussi des produits spécifiques au CELI.

Quant à Lea Koiv, conseillère principale en fiscalité et retraite chez Standard Life pour le marché au détail, elle croit que la décision à prendre ne sera pas nécessairement tout ou rien. En effet, elle n'écarte pas la possibilité de voir apparaître des produits de vie universelle enregistrés comme CELI. « Ni Revenu Canada ni le ministre des Finances ont explicitement exclu cette possibilité », fait-elle remarquer.

Or, si le marché va de l'avant en ce sens, cela pourrait soulever certains problèmes, croit Mme Koiv. Par exemple, comment évaluer la juste valeur marchande d'une police vie universelle au moment de la transférer hors d'un CELI? Elle signale que si la vie universelle pouvait être enregistrée en CELI, il faudrait que ce soit un produit détenu par un individu. « Il ne pourrait y avoir de propriété partagée (structure courante dans l'assurance aux entreprises ou une partie des primes est payée par la compagnie), puisque cela crée une situation ou la moitié de la police serait dans le CELI et l'autre à l'extérieur. »

Avocat-fiscaliste chez Ékitas avocats & fiscalistes, Pascal Thibodeau estime qu'il est trop tôt pour juger de l'impact réel qu'aura le CELI sur la vie universelle. Chose certaine, dit-il, le choix d'un CELI, d'une vie universelle, et même d'un REÉR doit avant tout se décider entre le conseiller et son client, après une analyse de besoins complète.

Avec la venue du CELI, on vit un peu un phénomène de pyramide des besoins financiers, illustre-t-il. Il y voit le REÉR à la base. Quant à savoir la place qu'y occupent la vie universelle et le CELI, cela dépend du besoin, estime M. Thibodeau.

« Si j'ai des associés actionnaires et que je veux financer une convention de rachat de parts, je recommande la vie universelle. Si je désire plutôt remplacer mon revenu au décès pour le conjoint survivant, je penche aussi pour la vie universelle. Le CELI s'appliquera à une minorité des clients d'un conseiller. Le seul moyen de recommander le bon produit, c'est de faire une analyse complète des besoins. » M. Thibodeau considère pour sa part que le CELI est plutôt un complément au REÉR.
Curtis Findlay, un conseiller de Canmore, en Alberta, note que la plupart des institutions financières en sont seulement au stade de développement de leur offre de produits CELI. Tant que les conseillers n'auront pas vu l'offre finale, ils ne pourront décider si cela vaut la peine d'entrer dans ce marché ou non.

Ces comptes permettent aux épargnants de retirer des sommes sans pénalité et de les renflouer plus tard à leur guise, observe M. Findlay. Cela augmente l'intensité des activités au compte-client, tant à l'endroit des transactions que du service et des renseignements à fournir à la clientèle, ajoute-t-il. Par exemple, les institutions devront tenir des registres additionnels.
« Plusieurs conseillers pourraient choisir d'ignorer ces nouveaux produits qui seront peu rentables pour eux en regard du temps qu'il faut leur consacrer », allègue le conseiller.

Selon lui, les banques envahiront le marché avec des produits offrant des taux d'intérêts élevés, et que le client peut se procurer lui-même par voie électronique.