Pour mieux contrer la machine bien huilée des assureurs directs, le tandem assureurs à courtage et courtiers doivent améliorer leur efficacité à tous les niveaux. Et les courtiers doivent solliciter de nouveaux clients et leur offrir des produits qui correspondent davantage à leurs besoins actuels.

C’est le grand constat qui est ressorti de la table ronde sur le courtage organisée conjointement par le Journal de l’assurance et l’assureur RSA Assurance, au début du mois de janvier.

Glen Bates, vice-président, Québec, de RSA, tire des distinctions entre le courtage en vigueur au Québec avec ce qui se passe ailleurs. « Il y a plus de bannières au Québec, et plus de courtiers émetteurs de polices. Les courtiers du Québec sont aussi plus nombreux à faire de la souscription qu’ailleurs au Canada. Ça ajoute surement à l’efficacité », dit-il.

Selon Robert Beauchamp, président du Groupe Invessa, il n’y a pas de recette miracle pour améliorer l’efficacité. « Le succès du courtier passe désormais par la réussite d’une multitude de tâches. Pour rester concurrentiel et libérer des capitaux qu’il doit utiliser pour favoriser la croissance de ses affaires, le courtier doit penser la réingénierie de ses processus d’affaires. Ce ne sont pas tous les clients qui sont bons pour le courtier ou qui trouveront ce qu’ils cherchent dans un cabinet de courtage. Nous devons mieux cibler les clients », dit-il.

Pendant des années, ajoute Yannick Jetté, PDG du Groupe Jetté, les courtiers se fiaient au bouche-à-oreille pour obtenir de nouvelles affaires. Depuis cinq ans, les cabinets sont plus nombreux à solliciter eux-mêmes de nouveaux clients. L’efficacité passe aussi par une meilleure maitrise des outils technologiques qui permettent d’accélérer et de faciliter le travail, poursuit-il. Les courtiers doivent améliorer leur gestion des relations avec la clientèle. « La hausse des frais postaux annoncée récemment ajoute de la pression sur ce plan. »

Jean Bilodeau, PDG de BC Assur, déplore le manque général de planification chez les assureurs à courtage. « Ça devrait être une obligation. On doit avoir un plan stratégique sur trois ans, avec les valeurs respectives des courtiers et de l’assureur, de leurs objectifs, ainsi que de leurs marchés ciblés », dit-il en précisant que son cabinet a un tel plan stratégique. Souvent, ce sont les moyens requis pour appliquer le plan dans la réalité qui sont insuffisants, dit-il.

Yves Brassard, président du Groupe Viau, constate le même problème. « On a tous eu des discussions stratégiques avec les assureurs, mais on n’est pas très bons dans le suivi. » L’assureur veut plus de polices, dit-il, mais il refuse de nombreux clients que lui apportent les courtiers sous diverses raisons, notamment en assurance habitation.

MM. Bilodeau et Jetté collaborent à un comité où l’on tente d’appliquer les ratios nord-américains au contexte québécois. « Ça va plus loin que l’aspect financier; on se préoccupe aussi des opérations. » Le Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec (RCCAQ) participe aussi depuis deux ans avec les assureurs à un comité où il est question des processus d’affaires entre les courtiers et les fournisseurs de produits.

M. Bilodeau affirme que chaque assureur soumet ses ratios financiers et propose des outils aux cabinets de courtage, mais sur le plan des opérations, il y en a peu. Les cabinets doivent donc développer ces outils. « Des assureurs nous disent : «Tu devrais faire telle chose». On ne sait pas toujours l’origine de ce ratio et quel est son objectif », dit-il.

M. Jetté souligne que bon nombre de cabinets sont de petite taille et qu’ils sont en outre dirigés par des « vendeurs dans l’âme » d’abord. « Ce ne sont pas tous les propriétaires de cabinets qui peuvent faire des rapports financiers et des statistiques complexes », dit-il.

Denis Allard, vice-président des ventes, Québec, chez RSA, confirme qu’il est nécessaire d’établir des outils d’évaluation de la performance des cabinets. « Pendant longtemps, les revenus des cabinets augmentaient. Quand les affaires vont bien, on n’est pas portés à se poser trop de questions. »

Il y a dix ou quinze ans, note M. Brassard, le volume augmentait grâce aux augmentations de primes et au succès élevé du renouvèlement. « Le contexte a changé; la rentabilité n’est plus là. Il faut couper ici et là. »

Il déplore le temps mis par les assureurs à réagir lorsque les courtiers suggèrent des méthodes pour améliorer l’efficacité du réseau. M. Brassard cite en exemple l’absence de formulaire unique en assurance automobile. « Chaque assureur a sa raison précise de faire les affaires d’une telle manière. Ce n’est pas du tout efficace. Ça fait longtemps qu’on en parle, et on en fait, des réunions. Tout cela pour réaliser des tâches complexes, afin de vendre un produit dont les marges de profit sont de plus en plus faibles. »

M. Jetté ajoute de son côté que l’objectif qu’il ne faut jamais perdre de vue est l’efficacité du système retenu. En assurance habitation, un autre secteur où les marges sont de plus en plus minces, cette complexité est un frein, dit-il.

M. Beauchamp constate que les cabinets sont de plus en plus nombreux à se retirer du marché de l’assurance de personnes pour se concentrer sur leurs clients commerciaux.

S'adapter à son réseau

M. Allard a tenu à rassurer tous les courtiers. « L’assureur a tout intérêt à ce que son réseau de distribution soit efficace. Il n’a pas le choix. On n’impose pas un modèle de transaction : on s’adapte. »

Marie-Josée Fiset, directrice générale du Groupe Soly, Chabot, Ranger, confirme cette nécessité d’établir de bonnes relations avec les assureurs. « Si tu as un beau plan d’affaires, que tu es plein de volonté, mais que tu n’as pas de fournisseurs, ça ne va pas loin. Les assureurs sont de moins en moins nombreux », rappelle-t-elle.

M Brassard constate que la concurrence féroce oblige les courtiers à concentrer leurs affaires auprès d’un plus petit nombre de fournisseurs. « Avant, tu donnais tel volume à tel assureur et tu n’en entendais plus parler pendant dix ans, raconte M. Brassard. Ce n’est plus comme ça. En retour, le courtier s’attend à obtenir plus de services de l’assureur s’il concentre chez lui un bon volume d’affaires. Et c’est correct. Tant qu’à y être, il me semble qu’on pourrait arrêter de couper ici et là, et se concentrer plutôt à être plus efficaces. »

Collaboration plus étroite

MM. Jetté et Bilodeau confirment que la rapidité de la prestation de service de l’assureur est aussi primordiale que le cout de la prime. M. Jetté ajoute que cette rapidité est encore plus nécessaire pour les nouveaux clients. « Comme cabinet, solliciter de nouveaux clients représente des investissements importants. Tu veux décrocher le compte, tu as des attentes. »

M. Beauchamp dit que pendant longtemps, les assureurs comptaient sur les courtiers pour obtenir la croissance de leurs affaires. Ils ont désormais compris que cela devait être une responsabilité partagée. La collaboration entre les fournisseurs et les distributeurs est meilleure.

M. Allard note d’ailleurs la transition d’une certaine attitude des courtiers, qui étaient auparavant très réticents à partager les renseignements sur leur clientèle à leur fournisseur. « Le client appartient au cabinet. On nous le disait clairement. Nous comprenons maintenant que nous devons faire front commun pour mieux comprendre les besoins de nos clients. Les assureurs sont souvent présents pour accompagner les courtiers lorsqu’ils rencontrent de gros clients en assurance commerciale, une situation moins fréquente auparavant », ajoute-t-il.

M. Bilodeau ajoute que le courtier doit se distinguer par la qualité de son service, son approche client et ses produits. « Et l’assureur fait partie du produit. Le prix ne doit pas être le seul facteur. Beaucoup d’assureurs ont graduellement dénaturé leurs produits en offrant d’abord une prime. Le client veut certes payer la juste prime, mais ce qu’il veut au départ, c’est être en sécurité. Quand le client est rassuré, la prime est toujours secondaire. »

M. Beauchamp n’est pas du même avis. Il aimerait que les autorités règlementaires surveillent plus étroitement certains segments de marché où les concurrents se croient à l’époque du « Far West ». Il cite l’exemple la garantie de remplacement (« valeur à neuf ») vendue par les concessionnaires automobiles. « Les concessionnaires font fi de toutes les règles, si je me fie à ce que mes clients racontent. Ils font n’importe quoi. Ils ont pleine liberté d’action parce qu’ils ne sont pas surveillés. »

M. Jetté rappelle que 90 % des polices de ce type sont vendues par les concessionnaires, alors que la prime qu’ils demandent est plus élevée que celle que les clients peuvent obtenir sur le marché. L’écart serait de 30 % à 40 %, voire de 60 %, disent les courtiers présents. Ils entendent aussi que des clients se font dire ouvertement par des concessionnaires que leur taux de financement sera modifié à la baisse s’ils acceptent cette garantie de remplacement.

Produits méconnus

M. Beauchamp ajoute que si les cabinets de courtage veulent mieux concurrencer les assureurs directs, ils doivent faire preuve de plus de rigueur dans leur démarchage, et sortir des créneaux classiques qu’ils occupent déjà. « Les directs ont beaucoup de rigueur. Ce sont des machines bien huilées. Ils ont des scénarios de vente, des méthodes à suivre. Dans le courtage, ça fonctionne plus en fonction de la volonté personnelle des gens de promouvoir ce produit ou tel autre. »

M. Jetté souligne justement qu’il est important d’améliorer l’efficacité de ses opérations, afin de libérer du temps consacré à la promotion de nouveaux produits. Différentes idées ont été lancées, notamment l’assurance juridique et l’assurance voyage en avenant à la police du propriétaire occupant.

M. Beauchamp ne croit pas que l’innovation de produits suffira à ralentir l’évolution du marché. « Le courtage doit récupérer des clients. C’est bien d’ajouter des accessoires aux polices, mais il est pressant de trouver des clients. Augmenter la prime moyenne par client, c’est un bon objectif. En dollars, on augmente notre part de marché. Mais ça ne durera que le temps que les directs nous imitent et offrent le même produit pour moins cher. »

Le cabinet dirigé par Jean Bilodeau est multidisciplinaire et offre aussi de l’assurance vie collective aux entrepreneurs, en plus de l’assurance de dommages. Pour mieux concurrencer les directs, il aimerait pouvoir s’associer à une institution financière en vue d’offrir des services bancaires.

Le cabinet dirigé par Yves Brassard s’est aussi lancé dans les produits d’assurance vie, mais il constate que les expertises requises pour leur vente sont très distinctes de celles demandées en assurance de dommages. « Nous l’avons fait, mais ça a été très laborieux, au départ. Ça nous a pris dix ans d’efforts. Maintenant, nous avons une vraie division de services financiers, où travaillent six personnes. Ça fonctionne très bien, mais ça prend du temps avant que les efforts rapportent. C’est bon pour la rétention de la clientèle aussi, car si tes clients sont déjà chez toi en assurance vie ou pour un prêt, ils vont y penser davantage avant de te retirer une police en dommages. »