L’économie américaine vit actuellement un ralentissement de croissance. À première vue protégée par de bons indicateurs fondamentaux, l’économie du Canada pourrait toutefois pâtir du ralentissement américain en raison d’une forte concentration dans les secteurs de l’énergie et des ressources. Des spécialistes invitent les conseillers financiers à jouer de prudence avec les actifs de leurs clients.« L’argent facile a déjà été gagné dans les marchés boursiers canadiens et les bonnes nouvelles y sont toutes escomptées. Les décisions à prendre pour un gestionnaire ne sont donc plus aussi claires qu’il y a deux ans. Nous devons nous montrer prudents. »

C’est le message qu’a livré Marc St-Pierre, vice-président du conseil Québec de Valeurs mobilières Dundee, lors d’une entrevue accordée au Journal de l’assurance en janvier dernier.

C’est que M. St-Pierre croit que l’économie canadienne est vulnérable au ralentissement américain mêmes si ses indicateurs économiques fondamentaux sont solides. Son économie est fortement concentrée dans des secteurs cycliques, comme l’énergie et les ressources, « qui comptent pour 49% de l’indice TSX », rappelle l’économiste qui cumule 35 années d’expérience dans l’industrie.

Au cœur du ralentissement américain : les problèmes du secteur de l’automobile entraînés par la concurrence asiatique et une correction du marché de l’immobilier aux États-Unis.

En ce qui touche le secteur de l’automobile, les répercussions sur l’économie canadienne sont déjà notables.

Le 4 janvier dernier, par exemple, Good Year fermait son usine de Valleyfield, entraînant la perte de 800 emplois. Mais les problèmes de Good Year sont internationaux. Des quotidiens ont rapporté la décision du géant prise en 2005 de couper 1 milliard(G)$ en dépenses et de se repositionner dans les pneus haut de gamme. La multinationale se trouve en effet affectée par les importations chinoises de pneus économiques. C’est sans compter la concurrence japonaise à l’endroit des GM, Chrysler et Ford…

Le secteur immobilier américain préoccupe également M. St-Pierre. Entre autres, le prix moyen des maisons existantes a baissé de 3,1% entre novembre 2005 et novembre 2006. « Il y avait longtemps que l’on avait vu des prix plus bas sur les maisons aux États-Unis, note-t-il en précisant que les nouvelles constructions sont les plus touchées par la baisse. C’est la pire performance dans ce secteur en 36 ans. Les économistes se demandent maintenant si le pire est passé ou s’il reste encore de la faiblesse dans ce secteur. »

De plus, le taux d’épargne des ménages est négatif chez nos voisins du sud, observe M. St-Pierre. Si cela a moins paru ces dernières années, c’est que les consommateurs américains ont profité de l’« effet de richesse » qu’a engendré la hausse du prix des maisons. « Ils s’en sont servi comme d’un guichet automatique », lance-t-il.

Malgré tout, Marc St-Pierre n’épouse pas la thèse d’une récession aux États-Unis. Malgré les déboires des secteurs immobilier et auto, les autres secteurs font bien, estime-t-il. « En décembre dernier, les États-Unis ont connu un taux de chômage de 4,5% seulement. En général, les plus récentes données économiques montrent une économie américaine plus forte que prévu. »

Marc St-Pierre voit par contre l’économie canadienne ralentir plus rapidement que sa contrepartie américaine. « La croissance du PIB (produit intérieur brut) a été de 1,7% au Canada au troisième trimestre 2006 alors qu’elle a été de 2,2% aux États-Unis pour la même période. »

Le marché boursier canadien, qui a été très fort depuis quelques années, a aussi reculé en 2006 avec la correction du mois de juin. « Les investisseurs pensent qu’ils devraient rester au Canada en raison de fondamentaux positifs, mais c’est comme conduire en regardant en arrière. Cette année, conclut-il, nous risquons d’être surpris par plus de faiblesse que de force. »

De son côté, Mark Jackson, président et chef de la direction de Aegon Capital Management (où il œuvre également comme directeur des investissements), demeure positif envers les marchés canadiens et américains. « Nous observons des titres qui se transigent à 15 ou 16 fois les bénéfices. C’est selon moi raisonnable », lance d’emblée M. Jackson. Il prévoit donc une croissance de ces deux marchés dans une fourchette de 8 à 10% d’ici l’an prochain.

Le ralentissement ne l’émeut pas beaucoup. « Nous sommes passés d’une croissance rapide à une croissance plus lente; ce n’est pas très inquiétant. » Si M. Jackson admet l’idée d’une correction à court terme, il estime que celle-ci ne fera que stimuler le marché. « À court terme, une correction de 5% dans les marchés sera plus excitante puisque ceux-ci recouvreront rapidement. » Selon lui, le marché réagit plus rapidement à l’ère de l’information et avec les fonds de couverture qui transigent vite et gros.

Ce qui soutient les vues enthousiastes de Mark Jackson? Des fondamentaux solides, tant dans l’économie canadienne que l’économie américaine. Il observe par ailleurs une solide croissance des bénéfices dans les deux pays.

Au Canada, M. Jackson s’attend à long terme au retour du dollar à 90 cents. Il ne croit pas que ce retour freine les exportations. « La plupart de nos entreprises sont déjà habituées à un dollar fort », croit-il.

Ces exportations seront principalement soutenues par la demande asiatique pour nos matières premières, dont le prix s’est apprécié (cuivre, aluminium, nickel, etc.). À son avis, la demande est là pour rester chez ces pays qui n’ont que des réserves limitées de ces matériaux.

La technologie, les pharmaceutiques et les télécommunications lui apparaissent également comme des secteurs prometteurs.

Ces trois secteurs seront aussi le moteur de la croissance aux États-Unis, croit M. Jackson. Il ajoute que ce pays connaît de forts résultats en vente au détail. De plus, l’inflation ne pose pas de problème et les taux à court terme ne monteront pas.

Ted Ransby joue aussi le marché canadien à la hausse (bullish) en 2007, ainsi que les autres marchés. Dans une lettre financière du 5 janvier dernier (The Ransby Report, vol. 11-1), le président du conseil et chef des stratégies financières de placement de Société de gestion d’investissements GWL pressent même un potentiel de croissance pour 2008. « Les économies devraient continuer d’aller de l’avant et les bénéfices des sociétés, même s’ils ralentissent, devraient être positifs. »

Il prévoit que les taux d’intérêts demeureront bas. Lui non plus n’écarte pas la possibilité d’une correction boursière dans la première moitié de l’année en cours. Il demeure tout de même optimiste. « Bien qu’une telle phase serait inconfortable pour les investisseurs, écrit-il, elle créerait probablement une excellente situation où [des titres] sont survendus (oversold conditions), qui soutiendrait une forte avance [des marchés], ce à quoi nous nous attendons plus tard cette année et en 2008. »

Le rapport Ransby, de GWL, écrit par ailleurs que si les bonnes nouvelles sont escomptées, l’arrivée d’une mauvaise nouvelle aurait un impact d’autant plus grand sur les marchés boursiers.

Une autre ombre au tableau de nature à amener de l’incertitude dans les marchés, constate M. Ransby, réside dans la faiblesse d’un indicateur important : le Dow Jones Transportation Average. Cet indice qui reflète la vigueur des échanges commerciaux en mesurant les activités de transport est, selon le rapport Ransby, un bon baromètre de l’économie et des marchés boursiers. « Dans les récents mois, sa performance s’est montrée relativement faible, à l’opposé de sa force relative des années précédentes. »

Peu importe le scénario économique retenu, les conseillers doivent proposer dès maintenant des stratégies « défensives » à leurs clients pour l’année en cours. Bien qu’il y ait autant de prévisions qu’il y a d’économistes, il en existe toutefois une sur laquelle on a peu de chances de se tromper : les fiducies de revenu ne seront pas la coqueluche des investisseurs cette année.

Une modification surprise apportée le 31 octobre dernier à la loi fédérale de l’impôt réduira en effet l’avantage fiscal de ces véhicules dès 2011, ce qui a entraîné une chute de leurs rendements dès novembre 2006.

En dehors de ce scénario déjà connu, les conditions en cours en janvier 2007 ont incité Ted Ransby à pressentir une tendance haussière à long terme envers les marchés boursiers malgré sa crainte d’une correction à court terme. Il met ainsi l’accent sur les fonds d’actions et les fonds immobiliers afin de tirer parti de toute volatilité à court terme.

Pour sa part, Marc St-Pierre s’attend à tout le moins à une pause des marchés boursiers canadiens qui connaîtront une croissance inférieure à 10%. Il opte donc pour des blue chips, à croissance contrôlée qui versent des dividendes. On parle alors des services publics, banques et compagnies d’assurance présentes sur l’échiquier mondial.

Il exhorte également les investisseurs à maintenir des obligations de qualité (faible risque de défaut) en portefeuille en guise de protection. « En ce qui touche la pondération en obligation, cela dépend de chacun. Si votre ligne habituelle est de 40% du portefeuille en obligations, je vous dirais de vous en tenir à celle-ci alors que dans le passé j’aurais suggéré une pondération à 30%. »

Autre conseil du stratège de Dundee : profiter de la vigueur du dollar canadien pour réduire la pondération du client en actions canadiennes en faveur des titres de marchés étrangers, plus particulièrement ceux de grandes capitalisations américains.

Ces conseils et bien d’autres devraient éventuellement passer de la théorie à la pratique, alors que les conseillers les appliqueront dans une mesure variable aux portefeuilles de fonds de leurs clients.

Pour sa part, Geraldo Ferreira rappelle l’importance de tenir compte du profil de chaque client avant de lui recommander une répartition d’actif en particulier. « Nous croyons que les investisseurs sont mieux servis avec un portefeuille diversifié », pense le vice-président, investissement, développement de produit et marketing à la fois chez Aegon Gestion de fonds et Transamerica Vie Canada.

M. Ferreira croit également que les fonds canadiens demeurent une bonne option et que le contenu étranger ne devrait pas dépasser 30%, même si cela est permis.

Il estime par ailleurs que les fonds de répartition de l’actif seront la coqueluche des investisseurs en 2007. Selon lui, l’investisseur a besoin de véhicules qui diversifient les placements entre le Canada, les États-Unis, le reste du monde et les titres à revenus fixe. « Toutes ces mesures enlèvent le risque de volatilité. »

M. Ferreira prône également des solutions d’investissement qui rééquilibrent la répartition de l’actif du client au gré de son l’âge et de l’évolution de son style de vie. Parmi les autres produits vedettes en 2007, M. Ferreira prévoit une année faste pour les fonds de revenus et de dividendes et les fonds de fonds mondiaux.