Les assureurs de dommages du Canada ont un joyeux problème sur les bras. Leur volume d’affaires est arrivé à maturité. La croissance est donc plus difficile à aller chercher. Cette difficulté est aussi amplifiée par le fait que les assureurs n’augmentent pas leur prix.La souscription est au cœur de leurs affaires. Toutefois, les assureurs demeurent encore trop dépendants de leurs portefeuilles d’investissement relativement conservateurs. C’est ce qu’a affirmé Julie Dickson, surintendante des institutions financières, dans une allocution prononcée le 1er juin dernier à Cambridge, en Ontario, au 2011 Property and Casualty Insurance Industry Forum

Le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) a rapporté que le bénéfice net de l’industrie s’était chiffré à 2,4 milliards de dollars (G$) en 2010. Il s’agit d’un montant similaire à ceux de 2008 et 2009. De plus, les assureurs de dommages n’ont pas dégagé de profit technique en présentant un ratio combiné de 101?%. Ce sont les revenus d’investissement qui leur ont permis de généré des bénéfices, avec un total de 3,6 G$ provenant de leurs placements.

Le rendement de l’avoir des actionnaires de l’industrie a chuté de 7,6?% en 2009 à 6,8?% en 2010. Le BSIF fait d’ailleurs remarqué qu’on est loin du rendement de 1,4?% de 2002, mais aussi de celui de 2006, qui était de 20,3?%. Le rendement de 2010 n’est pas non plus comparable au rendement sur dix ans de 10,5?%.
La surintendante a ainsi lancé un avertissement. Si les taux d’intérêt demeurent bas comme ils le sont actuellement pour les prochaines années, les assureurs pourront moins compter sur leurs revenus d’investissement pour générer des bénéfices. Si les assureurs ne rehaussent pas la barre en souscription, le tout pourrait avoir un impact «assez négatif» sur l’industrie, dit-elle.

«Les assureurs de dommages peuvent être touchés par les mêmes vieux problèmes – tarification inadéquate, croissance rapide, capital insuffisant et sous-provisionnement, de même que par de nouvelles menaces, confiance démesurée dans les modèles, évolution des tendances climatiques et relatives aux catastrophes, dit Mme Dickson. Ces deux types de menaces sont toujours bien présents. Il est important de s’attaquer à ces risques compte tenu du rôle important que jouent les assureurs de dommages au sein de l’économie.»
Quant à eux, des analystes qui suivent de près l’industrie affirment que le segment de l’assurance automobile en Ontario n’a pas fait de faveurs aux résultats des assureurs. «Les souscripteurs automobiles en Ontario ont atteint le fond du baril avec des résultats terribles, dit Joel Baker, PDG de la firme de recherche MSA Research, qui compile les résultats des assureurs au Canada. Les résultats vont s’améliorer en 2011, mais la rentabilité demeurera évasive.»

Du côté de l’assurance des entreprises, M. Baker affirme que les résultats ont été forts, sauf pour ceux qui souscrivaient des risques en biens, compte tenu du nombre élevé de catastrophes enregistrées en 2010. Pour avoir un bon retour sur équité, il affirme que les assureurs doivent y présenter un ratio qui avoisine 90?%. Pour l’année de survenance, le ratio a été de 98?%, ce qu’il juge mauvais dans un environnement de bas taux d’intérêts.

Choix d’investissements

Bien que les préférences d’investissement changent par compagnie (quelques assureurs investissent dans des actions), beaucoup placent leur argent dans des investissements peu risqués, comme les obligations gouvernementales. Les compagnies qui choisissent des investissements plus risqués doivent maintenir plus de capital. Une version plus raffinée du Test de capital minimum (TCM) entrera en vigueur en 2012, ce qui aura encore plus d’impacts sur les choix que font les assureurs avec leur capital. Le BSIF espère dévoiler ses nouvelles exigences en la matière plus tard cet été.

M. Baker souligne que les compagnies préfèrent détenir des investissements de courte durée dans le moment, en espérant et en anticipant que les taux d’intérêt vont se relever un jour. Neil Stein, directeur chez la firme de notation Standard and Poor’s, abonde dans le même sens.

«Ils n’ont pas les pressions de liquidité que d’autres secteurs peuvent avoir, parce que ces compagnies maintiennent généralement de fortes réserves de capital pour traiter la nature imprévisible de leurs réclamations. Ils ont vraiment des portefeuilles de placement qui sont de qualité et de courte durée. De bas taux d’intérêt font toutefois en sorte que leurs revenus d’investissement sont moindres, tout comme les rendements de ceux-ci. Cette situation crée un plancher artificiel sur la tarification parce que les assureurs ayant de bons retours sur leurs investissements peuvent s’y fier comme amortisseur aux marges de souscription qui se détériorent», dit-il.

En plus de la pression que les taux d’intérêts exercent sur les résultats des assureurs, 2010 a été une année difficile pour les assureurs de dommages en général. Toutefois, leur penchant pour des investissements plus sécuritaires a joué en leur faveur. Les exigences de capitalisation qu’ils doivent respecter ont fait en sorte que la crise financière ne les pas affectés de manière excessive.

La souscription en assurance des entreprises a toutefois ralenti avec l’économie. «Moins de couvertures ont été achetées par les entreprises, qui avaient d’ailleurs moins de marge pour acheter de l’assurance. C’était donc impossible pour les assureurs d’y augmenter la tarification», dit M. Baker.

Consolidation

À travers ces conditions, le marché s’est aussi amenuisé au cours des deux dernières années. ING s’est retiré du Canada et ING Canada est devenu Intact Corporation financière en 2009.

Au début de 2010, Co-operators Vie et Central 1 Credit Union ont fait l’acquisition de GCAN. Plus récemment, Intact a annoncé avoir conclu une entente avec le Groupe AXA pour acquérir AXA Canada, le sixième plus gros joueur au pays. Intact planifie de l’acheter pour un montant de 2,6 G$.

Bien que la consolidation de l’industrie se fasse plus lentement que rapidement, la perte d’AXA se fera sentir dans le marché, particulièrement au Québec, où c’est le premier et le troisième plus gros joueur de la province qui fusionne dans un marché dominé par les assureurs directs tels que Desjardins Groupe d’assurances générales.

Cette transaction pourrait en générer d’autres, même s’il y a une pénurie relative de vendeurs désireux de se faire acheter.

«Les assureurs cherchent plutôt à faire croitre leurs principaux segments et à prendre de l’expansion. Consolider est certainement une façon de le faire, dit Jeff Mango, vice-président adjoint à la notation en assurance de dommages chez A.M. Best. Les compagnies qui ont les moyens financiers de le faire sont certainement sur le qui-vive, surtout celles qui ont de la pression pour croitre.»

M. Baker ajoute que la transaction entre Intact et AXA pourrait inciter d’autres joueurs à faire de même et à payer plus cher qu’ils ne l’auraient fait dans le passé. «Ils pourraient débourser plus pour éviter d’être laissés derrière. C’est un incitatif de plus à faire croitre son volume», dit-il.

Tarification

Quant à la tarification, sa variation dépend bien souvent de deux choses. Soit il s’agit d’une lente réponse à une rentabilité qui se détériore, soit il s’agit d’un geste rapide pour contenir les couts d’une catastrophe. Aussi, le cycle d’affaire en assurance change après une période de rentabilité qui motive les assureurs à offrir des taux plus compétitifs. «On peut voir quelques compagnies faire certains gestes agressifs dans le marché. Ça peut avoir un impact sur l’environnement d’affaires», dit M. Mango.

Pour sa part, M. Stein dit que de tels mouvements ne sont pas nécessairement définis. «Si un assureur est victime d’une catastrophe, tout dépendant de l’importance de cet événement, ça peut être un catalyseur pour un durcissement des primes», dit-il.

M. Baker dit d’ailleurs s’attendre à ce que le marché de la réassurance des catastrophes se durcisse à travers le monde à la fin de l’année, vu les événements subis par la Nouvelle-Zélande et le Japon, ainsi que les tornades aux États-Unis. «Ce sera encore plus vrai si la saison des ouragans est active», dit-il.

Chaque segment d’affaires a aussi son propre cycle, disent les analystes interrogés par le Journal de l’assurance. Bien que le marché se soit durci dans la plupart des segments, celui des grands risques commerciaux demeure un marché très mou et très compétitif.
«Il y a beaucoup de latitude du côté de l’assurance aux entreprises en matière de tarification et sur ce que les assureurs peuvent faire avec les termes et les conditions», dit M. Mango. Il précise que ce n’est pas la même situation qui prévaut pour les segments de l’assurance habitation et de l’assurance automobile des particuliers.

Quant aux petits risques en assurance des entreprises, communément appelés «petit commercial», les analystes affirment que les tarifs ne se durcissent pas, mais qu’on y voit des hausses modestes, mais fermes.

En assurance habitation, pour les propriétaires et l’assurance des biens, les analystes s’entendent pour dire qu’ils s’attendent à une activité de tarification plus agressive. Le marché ne s’y durcit pas non plus, mais on y voit des hausses modestes et soutenues, comme dans le «petit commercial». «Les prix augmentent dans toutes les régions. Les assureurs tiennent la laisse plus serrée dans leurs critères de souscription», dit M. Mango.

Pour tout ce qui est assurance automobile hors Ontario, il ajoute que les tarifs augmentent un peu plus agressivement qu’en assurance des biens. Le marché demeure tout de même sain pour les assureurs. C’est toutefois une toute autre paire de manches pour l’Ontario.
«Les tarifs dans cette province se durcissent probablement plus vite que dans les autres régimes automobiles, dit M. Mango. Il n’y a pas de crise dans les autres provinces.»

Les changements au régime règlementaire ontarien pour les assureurs automobiles se font à tous les cinq ans. Une révision vient d’avoir lieu. Cette fois-ci, deux des changements les plus substantiels inclut des maximums sur le montant que doivent payer les assureurs pour des blessures mineures, ainsi que des limites sur le montant d’assurance que les compagnies peuvent dépenser pour des évaluations.

« La nouvelle réforme amène de nouveaux problèmes, dit M. Baker. Il y a des défis. Les compagnies ne peuvent pas dépasser un certain montant pour évaluer des cas, mais les avocats peuvent trouver des fonds supplémentaires pour leurs clients. C’est un problème.» Certains experts ont aussi suggéré que des avocats auront peu de difficultés à contourner la règle pour les blessures mineures.

Les analystes interrogés par le Journal de l’assurance s’entendent pour dire qu’il s’agit d’un pas dans la bonne direction. Il reste à voir si les nouvelles mesures auront des effets durables ou pas. La réforme améliorera les résultats et le cout des évaluations sera diminué, dit M. Baker, «mais il ne baissera pas suffisamment pour amener une rentabilité soutenue dans ce marché».

Comparé aux périodes post-réformes passées où les assureurs jouissaient d’un petit sursaut de leurs bénéfices, le président de MSA Research dit s’attendre à ce que la hausse soit plus longue à venir cette fois-ci. «Le régime ontarien en automobile est si peu profitable, que même avec une amélioration de 20 ou 30 points, il demeura non rentable», dit-il.

Si ces changements entrainent des impacts positifs, Hardeep Manku, associé à la notation chez Standard and Poor’s, affirme qu’il faudra au moins deux ans pour bien en comprendre les effets. «C’est le temps que ça prendra pour redresser la situation avec les nouveaux termes et conditions, ainsi que la nouvelle tarification, dit-il. Si la réforme fonctionne, on pourrait voir une certaine amélioration à court terme. Il faudra ensuite voir si cette amélioration, s’il y en a une, peut durer dans le temps.»

Le futur

Au BSIF, en plus des changements prévus au Test de capital minimum prévus plus tard cette année, la surintendant Julie Dickson affirme que son organisme surveille la pression exercée dans certains segments qui commencent à l’inquiéter. À titre d’exemple, elle donne le ratio de sinistres en hausse en erreurs et omissions. Elle a aussi averti les assureurs de dommages qu’ils devront faire face à plus de tests sur leur capacité financière (stress tests). Ceux-ci se feront sur une base annuelle, prévient-elle.

Entre temps, les événements catastrophiques sont une inconnue que les assureurs planifient au quotidien. Malgré tout, cela est inévitable que certaines années soient pires que d’autres. En 2010, la firme PCS-Canada en a dénombré cinq au pays, avec des pertes totales avoisinant près d’un milliard de dollars pour l’industrie. 2011 s’annonce pire avec déjà quatre catastrophes, avant même la saison des feux de forêt et la saison des ouragans.

Pour faire face à tous ces changements, plusieurs assureurs disent améliorer ou regarder comment améliorer leurs pratiques de segmentation pour développer une tarification plus sophistiquée. «On voit beaucoup d’assureurs travailler là-dessus, dit M. Mango. Ça peut vouloir dire de mieux tarifer certains risques, ce qui veut dire que les meilleurs risques auront une tarification moins élevée. Les risques plus hasardeux et plus volatils pourraient subir une hausse de prix. Bien que ça ne fasse pas beaucoup de différence dans les principaux segments des assureurs, ils auront au moins de meilleurs ratios de pertes», dit-il.