Président et chef de la direction d’Empire Vie, Les Herr aimerait bien pouvoir pleinement se concentrer sur son plan de croissance, sur l’augmentation de sa rentabilité et sur les façons de se rapprocher de ses clients. Toutefois, il se voit plutôt forcé de naviguer au cœur d’une « tempête parfaite » marquée par des changements règlementaires et comptables complexes sans cesse accrus, ainsi que des conditions de marché difficiles et constamment bouleversées. « Le plus grand obstacle que nous avons rencontré ces quatre dernières années, ce sont les pressions issue de notre environnement d’affaires. C’est très clair. Tous le ressentent », a dit Les Herr dans une entrevue exclusive qu’il a accordée au Journal de l’assurance, dans ses bureaux de Montréal, à la fin juin.

À l’avant-scène, M. Herr pointe les changements des règles comptables auxquels les assureurs font face depuis la première phase des normes internationales d’information financière (IFRS). À son point de vue, ces IFRS sont incohérentes avec une industrie canadienne fondée sur des produits d’assurance à long terme. Pour eux, il s’agit d’un véritable défi, alors que les marchés sont volatils et les taux d’intérêt, historiquement bas.

Ces règles provoquent une volatilité extrême des résultats des assureurs canadiens puisqu’ils doivent rapporter à chaque trimestre leurs obligations contractuelles futures à leur valeur marchande d’aujourd’hui.

Au second plan, les assureurs doivent conjuguer avec une réglementation toujours plus exigeante en matière de réserves de capitaux, à la fois au Canada et dans le monde.

« Vous avez en quelque sorte la tempête parfaite, et c’est pourquoi des assureurs suspendent la vente de produits, les retirent, les changent dramatiquement ou haussent leur prix… » M. Herr déplore de devoir passer beaucoup trop de son temps à se battre contre cette tempête. « Il y a des jours où j’ai l’impression que nous ne sommes pas dans l’industrie des services financiers, mais dans l’industrie de la règlementation. C’est rendu à ce point. C’est ainsi que je me sens », confie-t-il.

Il s’inquiète particulièrement des nouvelles règles que préparent les régulateurs internationaux. « Demandez à n’importe quel PDG en Amérique du Nord quel est le premier risque qu’il affronte? Il vous répondra : la règlementation. Alors, au lieu de consacrer mon temps à me concentrer sur nos objectifs stratégiques et répondre aux besoins de nos clients et nos distributeurs, nous sommes distraits par des choses comme des tests quantitatifs ou de résistance à la crise… C’est lourd. »

En dépit de ces distractions, les objectifs d’Empire se doivent d’être atteints, insiste M. Herr. « Nos actionnaires veulent que nous poursuivions notre agenda et c’est ce que nous faisons. »

En 2011, Empire Vie a réalisé un bénéfice net de 32,3 millions de dollars (M$), en hausse de 63 % par rapport à celui de 19,8 M$ réalisé un an plus tôt. Mais ce bénéfice demeure sensiblement en-dessous des 53,8 M$ réalisés en 2009. La compagnie peut-elle améliorer ses résultats dans les conditions de marché actuelles?

M. Herr souligne que les résultats globaux d’Empire Vie sont à la baisse en raison de ses affaires en assurance vie. Les produits collectifs ont connu une solide année 2011 avec un bénéfice net de 15,1 M$ par rapport à 12,8 M$ en 2010. Ses activités de gestion de patrimoine ont dégagé un bénéfice net de 16,2 M$ en 2011, contre 9,6 M$ en 2010. Toutefois, les bas taux d’intérêt à long terme ont affecté la rentabilité du secteur de l’assurance vie sans participations, qui a encaissé une perte de 33,8 M$.

Le secteur de l’assurance vie est contre-cyclique, explique M Herr. Si les taux d’intérêt devaient revenir à leur moyenne historique, la compagnie recommencerait à connaitre des années exceptionnelles, dit-il.

« Les activités d’assurance vie coulent le bateau pour la plupart d’entre nous en raison de l’environnement d’affaires actuel, les bas taux d’intérêt et la façon dont nous les comptabilisons maintenant. Et nous ne savons toujours pas quelles seront les normes IFRS pour déterminer les obligations futures ni les nouvelles règles de capital de Solvabilité II (décisions internationales prises au Comité de Bâle en Suisse). Il y a beaucoup d’incertitude. »

M. Herr considère que ce qui draine la majeure partie du capital provient du cout nivelé temporaire 100 ans (T100). « Les autres produits ne posent pas de problème. Tout vient des solutions d’assurance garanties à long terme et, à un certain degré, des exigences de capital accrues en regard des fonds distincts et des produits à garanties de retraits. Mais celles-ci ne sont qu’un pâle reflet du problème que cause l’assurance vie. »

C’est pourquoi des assureurs abandonnent ou modifient certains produits et migrent vers des solutions moins gourmandes en capital. Il ne reproche à aucun assureur de prendre de telles décisions. Il s’agit de l’approche logique en fonction de la situation actuelle, dit-il.

« Si votre produit requiert des réserves excessives et que vous ne pouvez le rentabiliser, il est alors absolument normal d’en sortir », explique M. Herr.

C’est aussi pourquoi des assureurs canadiens mettent l’accent sur d’autres marchés, telle l’Asie, ou sur d’autres gammes de produits, comme les fonds communs ou les assurances et régimes collectifs. « Les règles comptables y seront plus cohérentes, car ces affaires sont à plus court terme. On peut les retarifer », précise le PDG d’Empire Vie.

Ce dont les assureurs ont besoin, c’est d’un meilleur environnement d’affaires, voire un environnement « normal », ajoute M. Herr. « Nous pouvons encaisser des hauts et des bas… mais nous sommes dans un environnement très difficile. » Selon lui, l’industrie doit se demander si les règles comptables et de capital ainsi que toutes ces suspensions de produits sont appropriées.

Il aimerait voir les législateurs clarifier leur position afin de savoir s’ils veulent que les assureurs vendent des solutions garanties à long terme ou non. C’est une question que doivent se poser les régulateurs et les législateurs, croit M. Herr.Si les règles comptables et de capital actuelles sont maintenues, des produits à long terme avec une tarification ajustable, plutôt que des produits pleinement garantis, seraient une solution pour les assureurs, suggère-t-il.

La tarification ajustable permettrait aux assureurs de revoir leur prix après une période déterminée. Les primes d’une police seraient alors ajustées à la hausse ou à la baisse, selon les taux d’intérêt en vigueur au moment de la révision, par exemple après une période de 5 ans. Les assureurs pourraient ainsi partager le risque de taux d’intérêt avec les assurés. Si les taux d’intérêt augmentaient, les primes pourraient descendre, s’ils baissaient davantage, les primes pourraient monter.

Ce scénario serait meilleur qu’augmenter continuellement les prix, croit M. Herr, qui envisage d’ailleurs cette avenue. « Je crois que tous les assureurs envisagent probablement des produits ajustables », ajoute-t-il.

Un PDG, rappelle M. Herr, se doit de trouver des solutions qui fonctionnent à la fois pour le consommateur et la compagnie. Il doit appréhender le futur et prendre des décisions pour la personne qui occupera sa place dans 20 ans. « Je ne veux pas les placer dans la position dans laquelle je me trouve aujourd’hui, obligé de réagir sur mes affaires en vigueur sans avoir des alternatives suffisantes. Nous devons agir de façon à ce que l’organisation continue d’être solide à l’avenir, et protège non seulement ses assurés mais aussi elle-même. Nous devons traverser les bonnes et les mauvaises situations avec les règles que nous avons. »

Il aimerait d’ailleurs savoir si les législateurs veulent que l’industrie emprunte la voie des produits ajustables. « Mais si vous le leur demandez, ils diront : ”Nous concentrer là-dessus n’est pas notre travail. Notre travail est de nous concentrer sur la solvabilité des compagnies. De mon côté, je dis : Oui, mais maintenant, vos règles comptables et de capital modifient nos modèles d’affaires… et nous devrons tous nous y ajuster, car nous devons tous livrer des solutions à nos clients.” »

En dépit d’un environnement difficile, M. Herr demeure optimiste. Il est confiant que les joueurs de l’industrie cherchent des solutions. « Je crois que les régulateurs doivent considérer l’interaction des règles de capital, des règles comptables et de ce qu’elles signifient pour l’industrie… »

Depuis juin, M. Herr porte le chapeau de président du conseil de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP). Il refuse de préciser ce que l’ACCAP compte faire au sujet de ces préoccupations ,mais maintient qu’elle travaille de concert avec les régulateurs et que le dialogue est positif. « Ils ont un travail à faire comme régulateurs et le nôtre est de nous assurer que nous travaillons ensemble pour obtenir une bonne règlementation. Nous en avons toujours eu une bonne au Canada et nous voulons que cela continue. »

Il ajoute que l’environnement actuel est exceptionnellement difficile pour tout le monde. « On ne peut pas mettre tout sur le dos des régulateurs et des comptables. C’est un environnement très dur et la plupart des gens n’auraient pu prédire que cela irait aussi loin. On ne  peux pas pointer les autres. »