Contexte difficile en assurance automobile en Ontario. Tarification déficiente en assurance des particuliers. Concurrence accrue en assurance des entreprises. Les problèmes auxquels ont fait face les assureurs de dommages canadiens en 2009 ne se résorberont pas en 2010. Ces derniers doivent donc s'attendre à vivre une autre année mitigée.Lors d'une allocution prononcée le 13 mai dernier en Ontario, Mark White, surintendant auxiliaire du secteur de la règlementation au Bureau du surintendant des institutions financières Canada (BSIF), a mis en parallèle les résultats de l'industrie en 2009 et en 2008. Peu de changements ont eu lieu d'une année à l'autre : le bénéfice net est resté stationnaire à 2,5 milliards de dollars ( G$), le rendement des capitaux propres a été stable, mais non exceptionnel, à 7,5 %, et le ratio combiné est demeuré inchangé à 100 %.
La situation changera peu en 2010, selon les commentaires d'intervenants recueillis par le Journal de l'assurance. Ainsi, Mark White dit avoir plusieurs soucis en vue de 2010 et qui concernent les assureurs de dommages canadiens.
Son premier touche les taux d'intérêt. Même si la Banque du Canada décide de hausser ses taux d'intérêt, le BSIF signale que les taux resteront à un plancher historique. « Cette situation pourrait exposer les assureurs qui dépendent trop des profits d'investissements plutôt que des bénéfices de souscription », dit M. White.
Son second souci a trait au train de 41 réformes adoptées récemment en Ontario en assurance automobile, dont une mesure qui plafonne à 50 000 $ les frais médicaux et de réadaptation. Selon M. White, ces changements, qui doivent entrer en vigueur le 1er septembre pour les affaires nouvelles et les contrats renouvelés, suscitent au BSIF « un optimisme prudent ». Il ose croire que cette réforme va freiner la hausse des couts d'indemnisation. Il espère aussi qu'elle va permettre au consommateur d'avoir accès à une grande variété de choix.
Outre les changements à venir en Ontario, M. White a souligné les discussions amorcées en Alberta et en Nouvelle-Écosse sur le même sujet. Tout dépendant de leurs conclusions, elles pourraient avoir un impact sur les résultats des assureurs de dommages canadiens. Au cours des derniers mois, les assureurs ont obtenu des jugements les avantageant sur la question des plafonds des blessures corporelles mineures. Ces décisions ont été mal perçues par l'opinion publique dans ces provinces. Les assureurs se sont fait accuser de mettre la main sur une importante manne.
M. White a aussi mentionné deux autres problèmes potentiels : l'évaluation de l'assurance aux particuliers et la concurrence en assurance des entreprises. L'assurance des particuliers fait l'objet d'une nouvelle tarification et d'une nouvelle sélection des risques afin de corriger l'assurance à la valeur de reconstruction lors de la souscription.
Mark White souligne que si les bonnes conditions météo persistent, cela pourrait signifier que les assureurs verront une amélioration de leurs ratios de sinistres, au même moment où l'assurance habitation devient moins abordable. Il avance ainsi que l'assurance aux particuliers pourrait devenir un « paratonnerre » pour de futurs changements règlementaires. Quant aux segments de l'assurance des entreprises, la concurrence dans ce domaine est selon lui si serrée que la « marge de manœuvre pour éponger de lourdes pertes » est étroite.
Bonne performance
Le Journal de l'assurance a demandé aux analystes Charles Huber et Jackie Catrino de la firme de notation A.M. Best, leur évaluation de la performance des assureurs de dommages en 2009 et de leurs attentes pour 2010.
Ils estiment qu'ils ont connu une bonne année en 2009. « Si nombre de compagnies ne se sont pas redressées tout à fait, elles ont vu leur évaluation à la valeur de marché rebondir par rapport au creux de 2008. » Par ailleurs, A.M. Best considère que la plupart des compagnies ont amélioré leur capitalisation en 2009.
Si les modèles de prédiction des tempêtes restent inchangés, les analystes d'A.M. Best considèrent que 2010 sera probablement assez semblable à 2009. « Les compagnies devront revoir leur tarification pour tenir compte des conditions météorologiques actuelles et de l'augmentation des dégâts causés par l'eau. »
Ils font aussi remarquer que depuis le règlement en Alberta de la question du plafond des blessures mineures, l'organisme provincial de règlementation a indiqué que les tarifs doivent diminuer en moyenne de 5 %.
En juin 2009, la Cour d'appel de l'Alberta a tranché en faveur des assureurs dans l'affaire Morrow v. Zhang et statué que le plafond de 4 000 $ pour les blessures mineures ne violait pas la Charte canadienne des droits et libertés. Les compagnies ont donc débloqué des provisions techniques excédentaires qu'elles avaient constituées pour couvrir des frais potentiels.
D'après Charles Huber et Jackie Catrino, les assureurs ont revu la tarification de leurs produits en assurance des particuliers. « C'est surtout en réaction aux sinistres plus fréquents liés aux tempêtes, à la hausse des couts de construction et à une meilleure estimation des risques assurés. »
En ce qui a trait aux réformes concernant l'automobile en Ontario, les analystes sont d'avis que l'agence de notation se préoccupe des incidences de ces changements sur la tarification, les provisions à constituer et les résultats de souscription en général. Toutefois, compte tenu du choix du moment de ces réformes, les effets sur le ratio de sinistres du segment automobile au quatrième trimestre de 2010 pourraient, selon eux, ne pas être trop négatifs.
Les analystes relèvent que nombre de compagnies ont rajusté leurs portefeuilles d'investissement à la fin de 2008 et au début de 2009 afin de diminuer leur exposition aux actions. « A.M. Best n'a pas constaté beaucoup de changement dans la répartition des investissements des assureurs au cours du 1er trimestre de 2010 par rapport à la fin de l'exercice 2009, mais certaines compagnies ont indiqué qu'elles recommenceraient à accroitre leurs portefeuilles d'actions. »

A.M. Best n’évaluera plus seulement à partir de données publiques au Canada
A.M. Best a annoncé qu’elle retirera ses affectations de notation établies à partir de données publiques canadiennes en aout. La qualité de l’information publiquement accessible était-elle source de préoccupation? Invités à expliquer la décision plus en détail, les analystes Charles Huber et Jackie Catrino ont précisé qu’il ne s’agissait pas forcément d’une question de fiabilité.
« En termes simples, de nos jours, les données publiques ne fournissent pas des détails complets étant donné les défis que l’industrie doit relever. Ces défis englobent notamment les changements en cours aux normes comptables, un cadre règlementaire actif et une analyse du sinistre maximum probable », disent les analystes.
« A.M. Best a besoin de très bien comprendre les défis que doivent relever les assureurs dans le marché présent en communiquant avec les gestionnaires d’une compagnie et en analysant des aspects non publics d’un assureur comme les contrats de réassurance, la structure de société de portefeuille et le soutien de la société mère. Compte tenu du contexte actuel des affaires toujours en évolution, le traitement des données publiques ne répondait pas à ces besoins. »

Retombées
Enfin, les analystes constatent que l'introduction de la taxe de vente harmonisée (TVH) en Ontario et en Colombie-Britannique aura des retombées sur les assureurs de dommages. En prévision de son entrée en vigueur, maintes compagnies ont procédé à un redressement ponctuel pour provisions en 2009, mais A.M. Best laisse entendre que les couts futurs pourraient être répercutés sur les consommateurs en 2010.
Le 19 mai, lors de la tenue du Canadian Insurance Financial Forum à Toronto, Joel Baker, PDG de MSA Research, une firme qui compile et analyse les résultats financiers des assureurs, a indiqué que le fléchissement des résultats techniques semble avoir cessé. Cet état de fait implique selon lui que l'industrie a atteint le creux du cycle en assurance. Les niveaux de capitaux propres se sont aussi redressés, dit-il.
« La croissance des primes acquises a devancé celle des dépenses de souscription, mais à peine. De plus, les portefeuilles d'investissement des assureurs ont récupéré de la dévastation de 2008. »
M. Baker fait toutefois une mise en garde : si les assureurs semblent atteindre un seuil de rentabilité en fonction de l'année civile, ces résultats combinés peuvent être trompeurs. Lorsque les résultats de l'industrie sont calculés en fonction des tarifs annualisés de l'année de survenance, M. Baker avance que les compagnies subissent en fait des pertes techniques.
« Les segments de l'assurance aux particuliers n'étaient vraiment pas le secteur idéal en 2009 », ajoute le PDG de MSA Research. Les sinistres effrénés en assurance automobile en Ontario et les affaires peu rentables de l'assurance aux particuliers dans de nombreuses régions du pays ont contribué à créer des pertes techniques combinées de plus d'un milliard de dollars. « Si les tarifs se sont affermis en 2009, la hausse des réclamations a dépassé les hausses des tarifs. »
M. Baker précise par ailleurs que les résultats en assurance automobile en Ontario ont été singulièrement désastreux en 2009. Les résultats globaux de ce segment équivalent aux pertes de l'industrie en 2001 et 2002. Toutefois, selon M. Baker, les pertes liées aux indemnités versées pour les accidents n'ont jamais été aussi lourdes. En 2009, ces pertes se chiffraient à 4,5 G$ en Ontario, alors que les primes acquises totalisaient 3 G$.
« Au terme de 2009, le ratio combiné de l'industrie en Ontario pour l'assurance auto atteignait presque 120, et près de 175 pour les pertes liées aux indemnités versées pour les accidents », souligne-t-il, en ajoutant que seules deux compagnies affichaient à ce poste un ratio inférieur à 100.
Quant aux réformes qui doivent entrer en vigueur en septembre en Ontario, M. Baker signale que, d'après la société internationale de conseil en gestion Oliver Wyman, les changements réduiront les indemnités versées pour les accidents de 31 % seulement. Comme il faudrait une réduction de 33 % des réclamations simplement pour ramener le ratio de sinistres de l'industrie à 100, il est peu probable, selon lui, que les réformes en Ontario seront si bénéfiques pour les assureurs automobiles.
« Cela ne signifie pas que les compagnies les plus performantes n'arriveront pas à tirer un bénéfice de l'assurance auto en Ontario, mais ce ne sera pas facile », dit M. Baker.
Selon le PDG de MSA Research, les résultats de l'assurance automobile ailleurs au pays ont été satisfaisants. « En Nouvelle-Écosse, les effets de la hausse du plafond des souffrances et douleurs au titre des blessures mineures, qui entre en vigueur le 1er juillet, sont encore indéterminés. Toutefois, si l'on pense que tripler le plafond et recatégoriser les types de blessures n'aura pas d'incidences sur les tarifs, ce sont là des vœux pieux. » Reste à voir si d'autres provinces imiteront la Nouvelle-Écosse et hausseront leur plafond des souffrances et douleurs, ajoute-t-il.

Amélioration à venir
L'industrie a été malmenée par des conditions météorologiques particulièrement mauvaises et plusieurs catastrophes naturelles en 2009. L'eau ressort encore comme le péril le plus important, supplantant toujours l'incendie. D'après M. Baker, le ratio de sinistres moyen de l'assurance aux particuliers au Canada était de 74 % en 2009. L'Alberta a été la province la plus durement touchée, avec un ratio de sinistres de 85 %. Les biens commerciaux ont obtenu de meilleurs résultats, avec un ratio de 62 %, qui est proche de la moyenne à long terme.
Au dire de M. Baker, l'industrie peut s'attendre à une amélioration des résultats au premier trimestre de 2010, en raison de conditions météorologiques plus clémentes. « Nous le constatons déjà dans les soumissions que nous recevons des compagnies. »
Le marché des segments aux entreprises au Canada et ailleurs dans le monde est mou depuis environ sept ans. Selon les analystes Charles Huber et Jackie Catrino d'A.M. Best, la fixation des tarifs pour les biens commerciaux demeure très compétitive et les compagnies n'augmentent généralement pas les tarifs dans ce segment.
Joel Baker estime qu'à moins d'un fléau majeur, aucun facteur déclenchant prévisible ne sortira le segment de cet état de stagnation. Il ajoute toutefois que l'érosion de la rentabilité finira par un certain affermissement des segments commerciaux.
Pour le moment, le secteur de l'assurance aux entreprises n'enregistre pratiquement aucune croissance du chiffre d'affaires, mais on y voit une légère croissance des réclamations et un bond notable des frais d'acquisition. « Nous ne prévoyons pas de croissance des primes acquises en 2010 avec un chiffre d'affaires stable », souligne M. Baker, qui compare les assureurs d'entreprises qui persistent dans ce marché peu rentable à des grenouilles dans une marmite d'eau bouillante, amenées à rester dans l'eau chaude jusqu'à ce qu'il soit top tard.
Il rappelle aussi que les ratios nets et bruts de levier de sélection des risques sont très bas. « On peut parler de surcapitalisation, de sous-utilisation ou de sous-endettement. Peu importe la désignation, les résultats sont un affaiblissement des rendements des capitaux propres et une hausse des pressions concurrentielles. »