La santé financière des compagnies d’assurance vie suit souvent la courbe de l’économie, mais ce n’est pas systématique. D’autres éléments extérieurs entrent en jeu. Le principal est la grande nécessité pour les assureurs de recourir aux nouvelles technologies, ainsi qu'à l'analyse des données sur leurs clients, ce que les gourous du markéting et appellent les mégadonnées ou le Big Data.Les mesures mises en place pour répondre à ces besoins se voient déjà du côté des produits, des segments dans lesquels les assureurs mettent l’emphase, mais aussi dans le choix des employés. Les analystes spécialisés commencent aussi à dire qu’un apport de capitaux est nécessaire, surtout pour s’attaquer à la difficulté qu’a l’industrie à abandonner son attachement aux systèmes patrimoniaux (legacy systems).

Malgré tout, les assureurs ont affiché des résultats financiers très « respectables » en 2013, selon les analystes financiers interrogés par le Journal de l’assurance, après les années difficiles de 2011 et 2012. « L’année 2013 aura été une année de transition, dit l’analyste Robert Sedran, de Marchés mondiaux CIBC. Les assureurs ont apporté des modifications à la tarification de nombreux produits, en plus de faire une grande restructuration de leurs livres et de leur offre de produits, sans compter leurs importantes opérations de couverture. En 2013, tout cela avait encore certains effets négatifs sur les résultats, ce qui a quelque peu nui à la croissance, mais l’exercice reste respectable et teinté de l’espoir que les choses iront mieux. »

Priorités, produits et perspectives d’avenir

Ce qui intéresse les assureurs a considérablement changé depuis quelques années, non seulement du côté des produits, mais aussi de l’orientation des affaires. La quasi-totalité des gammes de produits a été revue pour éliminer les produits présentant un risque élevé et une faible marge bénéficiaire. Sinon, du moins, leur prix a été revu à la hausse.

Dans son document intitulé Perspectives 2014 dans le secteur de l’assurance vie, Doug McPhie, leadeur de la pratique d’assurance de la firme de consultation EY, dit que « l’accroissement de la volatilité des marchés des actions et du crédit au cours des dernières années est un enjeu prioritaire. Il est maintenant clair que les risques liés à ces marchés n’étaient pas bien compris ou adéquatement tarifés avant la crise financière ».

Même dans les secteurs où on a commencé à facturer des frais de gestion en fonction de l’actif, les revenus de produits ont été plutôt instables, fait-il remarquer. Les assureurs ont toutefois procédé à une augmentation des frais associés aux produits à revenu variable pour refléter le cout de couverture.

Les assureurs reviennent tranquillement sur le marché du risque. Il s’agit toutefois plus d’une mesure de sécurité devant un avenir règlementaire plutôt incertain, par exemple les changements apportés aux méthodes comptables et au calcul dorénavant plus complexe des réserves de capital. « À court terme, souligne Robert Sedran, on reste plus prudents, question de pouvoir gérer efficacement les changements à venir. »

Tom MacKinnon, directeur général de la recherche sur les marchés boursiers de BMO Marchés des capitaux, pense de même. Il ajoute que la prochaine étape, une fois les coffres des compagnies bien remplis, consistera pour elles à explorer les façons de réinvestir le capital, par exemple avec des acquisitions et des investissements en distribution, peut-être même en Asie, comme l’ont fait la Financière Manuvie et la Financière Sun Life.

Il ne faut pas croire pour autant qu’investir en Asie ne comporte pas son propre lot de difficultés. Les données démographiques sont favorables, et les produits offerts y sont moins complexes; or, il a fallu plus de temps que la plupart ne l’auraient cru pour que la croissance soit au rendez-vous.

« On parle de l’Asie comme s’il s’agissait d’un pays, fait remarquer Robert Sedran. Ce n’est pas le cas. C’est une région très vaste, où on peut investir beaucoup avant que se manifeste une croissance, laquelle ne se traduit pas nécessairement à court terme en augmentation des bénéfices. »

Selon M. Sedran, l’astuce consiste à y investir de façon stratégique, de façon à obtenir quand même quelques gains à court terme au lieu de seulement préparer l’avenir. « Il faut donner quelque chose de concret aux actionnaires pendant qu’on amorce une croissance en Asie. Il faut équilibrer le court et le long terme. On doit s’en sortir assez bien à court terme pour que les investisseurs restent intéressés par la croissance, mais aussi placer quelques billes qui permettront de récolter des gains dans 15, 20 ou 30 ans », dit-il.

Technologie et règlementation

Dans leurs bilans, les entreprises devront aussi faire place aux investissements en innovation technologique, un secteur traditionnellement quelque peu négligé. Dans certains cas, il a carrément été mis de côté, tout simplement à cause de l’envergure de la tâche et de la complexité liée à la mise à niveau d’un système destiné à traiter des contrats rédigés au fil de plusieurs décennies.

Les autorités règlementaires semblent finalement être en train de forcer la main à l’industrie, puisque divers intervenants, du Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) au fisc américain, font maintenant le nécessaire pour exiger de meilleurs mécanismes d’information de la part des institutions financières canadiennes.

Une capacité formidable

Les promesses de la technologie ont de quoi séduire. « La technologie numérique offre aux assureurs la formidable capacité d’améliorer leur souscription, de réduire les couts de manière durable, d’enrichir l’expérience client, de créer des stratégies markéting originales et d’analyser le comportement des consommateurs, écrit Doug McPhie. Bien que bon nombre d’assureurs améliorent la gestion de leurs charges au moyen de l’impartition pour pouvoir mieux se concentrer sur leurs activités essentielles, ils ne se sont pas encore attaqués au plus difficile. En d’autres mots, ils continuent d’utiliser d’anciens systèmes dont le fonctionnement exige d’importantes ressources plutôt que de mettre en œuvre des technologies numériques dans toute l’entreprise. »

En plus d’être incapables de générer les données commerciales et règlementaires dont les assureurs ont besoin pour assumer leurs responsabilités en matière d’exploitation et de conformité, les systèmes vétustes des assureurs sont un obstacle à la croissance, selon Doug McPhie et quelques autres rares intervenants à l’affirmer carrément.

Selon un sondage effectué par EY en 2013, 68 % des assureurs croient que la culture interne de leur entreprise constitue le principal obstacle à la réalisation de leur stratégie numérique. Au moment de produire les rapports demandés, les récalcitrants risquent toutefois de se retrouver devant des problèmes insurmontables s’ils ne peuvent pas compter sur la technologie.

Doug McPhie fait aussi remarquer qu’un certain nombre de règlements amèneront les assureurs à tirer davantage parti de la modélisation prédictive. Même les changements touchant les méthodes comptables obligeront les assureurs à mieux suivre leurs obligations contractuelles. Enfin, les jeunes consommateurs pourraient bien contribuer à faire avancer les choses