Le réputé actuaire Robert Mallette pense que les assureurs vie ont tout avantage à simplifier les produits, revoir les garanties et changer la manière de distribuer l’assurance. S’ils ne le font pas, il pense qu’ils perdront des ventes chez les jeunes générations, dont les besoins de produits financiers sont très différents. « Le cadre utilisé depuis 120 ans par les assureurs en Amérique du Nord n’est plus vraiment adapté à leur réalité. »Au lieu de déplorer le prix élevé des produits, les courtiers auraient selon lui avantage à demander aux assureurs de manufacturer des produits plus simples et dotés de garanties réduites, vendus à cout plus raisonnable. Les assureurs canadiens devraient s’inspirer du marché australien, où les produits d’assurance vie offerts sont plus diversifiés qu’ici. Les régulateurs auraient avantage à permettre aux assureurs de créer des produits de placement dont le niveau de risque est plus élevé et pour des termes plus courts.

Les assureurs devraient simplifier le processus d’émission des polices d’assurance, souvent un peu fastidieux. « En Amérique du Nord, on demande beaucoup d’information au client, parfois trop. Mais c’est un peu normal, les marges sont réduites et l’assureur en demande le plus possible afin de bien évaluer le risque. »

Cet exode des assureurs aurait dû entrainer une certaine inflation des produits d’assurance vie, mais ça n’a pas été le cas. La concurrence demeure tout de même assez vive pour que le prix des produits demeure bas, ce qui est à l’avantage des consommateurs, ajoute-t-il. Cela est attribuable au réseau des conseillers, dit-il.

« Les conseillers demandent ces garanties aux assureurs, sinon ils ne vendront pas leurs produits. » Si les assureurs décidaient seuls de la tarification des produits, les primes augmenteraient plus rapidement en assurance vie, pense M. Mallette. « Le premier assureur qui décide d’augmenter le prix ou de réduire les garanties perdra sa force de vente. » Cela démontre selon lui que les courtiers et les agents généraux sont encore capables d’influencer les assureurs au profit des consommateurs.

Et les actuaires?

M. Mallette, qui travaille maintenant pour NMG Consulting, roule sa bosse dans l’industrie de l’assurance depuis 1989, comme consultant ou cadre chez des assureurs et des réassureurs. Quand on l’interroge sur la valeur du travail de l’actuaire au sein d’un assureur, il rétorque en souriant : « Quand les résultats ne sont pas bons, qui pointe-t-on du doigt? Les actuaires, c’est clair. »

Le marché des produits financiers a connu des fortunes diverses depuis 20 ans, avec des crises qui ont ébranlé les investisseurs. Pour les actuaires, la situation n’est pas facile : alors qu’ils réclament d’augmenter la tarification des produits de rentes, la concurrence très vive empêche les assureurs de s’y résoudre. « Si vous posez la question aux actuaires, ils vous le diront : les produits sont mal tarifés. C’était déjà le cas à mon arrivée dans l’industrie. »

Cette tarification inadéquate explique les mauvais résultats qui ont fait fuir les assureurs étrangers du marché canadien. « Cet exode des assureurs étrangers illustre bien le phénomène. Le marché canadien n’a pas non plus les mêmes perspectives de croissance que d’autres marchés ailleurs dans le monde. En plus, le coût de capital est élevé au Canada. Tout cela rend le marché canadien moins reluisant pour les assureurs étrangers. »

M. Mallette affirme qu’il existe un large spectre idéologique chez les actuaires, en passant des optimistes très dynamiques aux conservateurs alarmistes. « En fait, il vaut mieux avoir les différentes caractéristiques parmi les membres de l’équipe. Ils peuvent débattre les idées et laisser les gestionnaires décider en fonction de l’éclairage qui leur offert par ces idées diverses. La liste des assureurs qui ont été victimes des prévisions de leurs actuaires est très longue », dit-il.

Depuis 25 ans au Canada dans le marché de l’assurance vie universelle à cout nivelé, cite-t-il en exemple, « on a vu les ventes se déplacer d’un assureur à l’autre selon le degré de compétitivité du produit. L’assureur le plus compétitif prenait les plus grosses parts du marché, et après quatre ou cinq ans, c’était fini. Il devait lever des capitaux pour refaire ses réserves et soutenir les ventes qu’il venait de faire ». La tendance ayant fait long feu, les assureurs doivent se résigner à hausser les primes de ce produit.

Le marché canadien retrouvera graduellement l’équilibre entre les prix des polices et les garanties offertes, estime-t-il. « Les assureurs n’ont pas le choix, les portefeuilles ne vont pas bien. » Les consommateurs qui ont acheté une police d’assurance vie universelle à cout nivelé dans les années 1990 et l’ont gardée longtemps ont fait une bonne affaire, dit-il.

Avec les changements apportés aux règles comptables et les exigences de capitalisation, les assureurs n’ont pas le choix de revoir la tarification, surtout pour les produits associés à des garanties à long terme, explique M. Mallette. « Il risque d’y avoir encore des ajustements avant que les produits ne redeviennent plus attrayants du point de vue des conseillers. »