Dès ce printemps, le gouvernement de l’Ontario pourrait donner le feu vert aux caisses populaires et aux caisses d’économie de la province de prendre d’assaut le marché ontarien de l’assurance. L’ouverture se ferait toutefois au grand dam des institutions financières concurrentes.Une décision finale pourrait être rendue à ce sujet dès ce printemps, au moment du dépôt du budget 2006 par le gouvernement de Dalton McGuinty, en avril ou en mai prochains.

C’est ce qu’a révélé au Journal de l’assurance un porte-parole du ministère des Finances de l’Ontario. Celui-ci a toutefois demandé à ne pas être cité. Il a aussi refusé de préciser la date exacte du dépôt du budget, alléguant que celle-ci est tenue confidentielle, en toute circonstance.

Il a également refusé de dire si le gouvernement avait clairement pris position dans ce dossier, qui a provoqué une levée de bouclier de la part de l’industrie de l’assurance ontarienne.

Queen’s Park a lancé à la mi-décembre une consultation sur la réforme de sa loi régissant les caisses populaires et d’économie.

La Coalition des caisses populaires et d’économie de l’Ontario, qui représente les intérêts des caisses dans ce dossier, affirme toutefois s’attendre à une réponse dans les prochaines semaines.

Contrairement à la pratique en vigueur au Québec dans les caisses populaires du Mouvement Desjardins, les employés des caisses ontariennes n’ont en effet nullement le droit de distribuer directement ou indirectement des produits d’assurance aux consommateurs.

La législation interdit aussi aux caisses de posséder leurs propres filiales d’assurance.

Il s’agit d’une situation que la Coalition souhaite voir changer. Les caisses perçoivent, notamment, la distribution de produits d’assurance comme une manière de diversifier leurs sources de revenus.

En novembre dernier, le gouvernement a émis un document de consultation publique sur le sujet. Un bras de fer s’est alors engagé entre les caisses et l’industrie ontarienne de l’assurance.

En guise de réponse à Queen’s Park, la Coalition a produit son propre document où elle fait état des demandes de ses membres, ainsi que de suggestions sur la possible manière de distribuer les produits d’assurance.

Divers intervenants du milieu de l’assurance, dont Advocis, une association de conseillers financiers au Canada, ont aussi déposé des mémoires au gouvernement. L’industrie allègue que l’accès des caisses au marché de l’assurance va directement à l’encontre de l’intérêt des consommateurs.

Les revendications des caisses ontariennes viennent exacerber les pressions subies par l’industrie de l’assurance à l’échelle canadienne par les cinq grandes banques du pays. Depuis plusieurs années, les banques réclament, toujours sans succès, ce même droit à Ottawa.

Les caisses veulent plus de pouvoir

Si Queen’s Park accède à la demande des caisses, celles-ci prévoient s’attaquer de front au marché de l’assurance de dommages mais aussi à celui de l’assurance de personne.

« Nous voulons obtenir le droit de distribuer tous les produits d’assurance. C’est-à-dire tout ce qui concerne la gestion du patrimoine, la planification financière ainsi que le droit à offrir une couverture pour tous les risques en assurance de dommages », lance Lucie Moncion, présidente du groupe de travail de la Coalition des caisses populaires et d’économie de l’Ontario.

La Coalition regroupe quatre associations qui représentent les intérêts des caisses ontariennes dans ce dossier, notamment la Credit Union Central of Ontario, la Fédération des caisses populaires de l’Ontario, The Association of Credit Unions of Ontario et l’Alliance des caisses populaires de l’Ontario, dont Mme Moncion assume la direction générale.

Mme Moncion fait valoir que les assureurs sont désormais autorisés à distribuer les mêmes produits que les caisses. Cette situation place les caisses en désavantage concurrentiel vis-à-vis des assureurs, juge Mme Moncion.

« À l’heure actuelle, les compagnies d’assurance accordent des prêts et prennent des dépôts. Nous demandons au gouvernement de nous accorder les mêmes pouvoirs que le quatrième pilier de l’industrie financière, poursuit Mme Moncion. Nous voulons pouvoir évoluer dans un marché qui offre les mêmes possibilités de développement à toutes les institutions financières. »

« Lorsque nous faisons l’analyse des besoins de nos sociétaires, inévitablement nous discutons de leurs besoins d’assurance, explique Mme Moncion. Nous devons alors leur dire de consulter des courtiers d’assurance », explique-t-elle.

Le problème, explique Mme Moncion, c’est que les caisses risquent ainsi de perdre certains de leurs sociétaires aux mains des assureurs. « Les courtiers analysent à leur tour les besoins de nos sociétaires, reprend Mme Moncion. Mais les courtiers sont en mesure d’offrir aussi des produits bancaires. Il n’est donc pas rare que nos sociétaires acceptent de transférer la totalité de leur portefeuille chez un assureur pour regrouper tous leurs besoins financiers sous un même toit. Nous voulons obtenir nous aussi le droit de devenir un guichet unique. »

« Nous pourrons aussi être en mesure de mieux répondre aux besoins de 40 municipalités, situées dans des régions éloignées, où il n’y pas d’autres fournisseurs que les caisses, affirme-t-elle. Nous pourrons ainsi leur donner accès à des produits d’assurance. Autrement, nos sociétaires doivent faire appel aux services des courtiers et des assureurs présents dans les grandes villes. »

Vive le modèle québécois en Ontario!

Le document présenté au gouvernement ontarien par la Coalition fait état de trois possibilités pour la distribution de produits d’assurance. Au premier chef, les caisses souhaitent pouvoir distribuer directement des produits aux consommateurs.

Une autre possibilité consiste à référer les consommateurs des caisses vers des courtiers d’assurance, ce qui suppose un partenariat avec des joueurs de l’industrie de l’assurance.

Enfin, les caisses demandent aussi de pouvoir distribuer leurs produits d’assurance par l’intermédiaire de filiales.

C’est toutefois le modèle québécois de caissassurance qui retient particulièrement l’attention. Cette avenue permet aux employés des caisses de promouvoir eux-mêmes des produits d’assurance.

« Idéalement, nous voulons implanter en Ontario le modèle en vigueur au Québec avec le Mouvement Desjardins », affirme Art Chamberlain, porte-parole de Credit Union Central of Ontario, un membre de la Coalition.

« Si le gouvernement ne nous laisse pas aller aussi loin que cela, alors nous lui avons suggéré de nous laisser adopter le modèle de la Colombie-Britannique », poursuit M. Chamberlain.

Cette province permet aux caisses de posséder leurs propres filiales, mais leur interdit la distribution directe aux consommateurs, explique-t-il.

Au Québec, les employés des caisses populaires du Mouvement Desjardins peuvent en effet diriger les consommateurs, par voie de référence, à l’une ou l’autre des filiales d’assurance de dommages et d’assurance de personnes du Mouvement, Desjardins assurances générales (DAG) et Desjardins Sécurité financière (DSF).

Quelque 300 agents d’assurance de personnes de DSF et 425 agents d’assurance de dommages de DAG desservent les membres.

De plus, la filiale d’assurance de dommages du Mouvement compte sur un centre d’appels de 200 agents vers lesquels sont aussi dirigés les membres des caisses.

« Nous sommes d’avis que l’adoption du model québécois aura pour effet de hausser la qualité du service à la clientèle pour les consommateurs, qui pourront ainsi se procurer des produits auxquels ils n’ont pas accès en ce moment, poursuit Art Chamberlain. Notre compréhension c’est que la situation au Québec a eu pour effet de rehausser la concurrence au profit des consommateurs. »

Lucie Moncion se dit aussi réceptive au modèle québécois, mais affirme vouloir attendre la décision du gouvernement avant de se prononcer sur le sujet. « Si la réponse est positive, il nous faudra ensuite déterminer quel modèle conviendra le plus au marché ontarien », dit-elle.

Le Québec prêterait main-forte

Si le gouvernement ontarien accorde le feu vert aux caisses, le Mouvement Desjardins, qui assume déjà une présence en Ontario par l’entremise de Desjardins Credit Union, pourrait alors leur prêter main forte pour constituer leur réseau de distribution.

« C’est clair que nous pourrions les aider! Nous sommes déjà présents sur place. Et de plus, en tant que compagnie qui possède une vaste expérience en caissassurance, nous pouvons certainement exporter le modèle en vigueur au Québec qui, cinq ans après son implantation, donne de très bons résultats ici », affirme Jean-Claude Arbour, vice-président des ventes, caissassurance chez Desjardins Sécurité financière.

« Évidemment, il reste à voir si les lois ontariennes vont le permettre », renchérit pour sa part Jean Vaillancourt, directeur général des opérations chez Desjardins assurances générales. « Il faudra aussi regarder si le potentiel est similaire dans le marché Ontarien, ajoute M. Vaillancourt. Au Québec, Desjardins compte sur quelque cinq millions de membres sur une population de sept millions. Le ratio n’est pas aussi important en Ontario où les 24 caisses de la Fédération ont 187 000 membres. Il faudra nous pencher là-dessus avec nos confrères de l’Ontario. »

La formule de caissassurance roule en effet à fond de train au Québec, comme le démontre le dernier rapport annuel de 2004 du Mouvement Desjardins. Une partie importante des primes d’assurance générées par les deux filiales proviennent en effet des références faites par les caisses populaires.

Desjardins Credit Union a été constituée en 2002 par des citoyens de l’Ontario avec l’appui du Mouvement Desjardins. Cette coopérative a été formée pour rendre possible l’acquisition de la Caisse d’épargne de l’Ontario, auparavant propriété du gouvernement.

L’Alliance des caisses populaires de l’Ontario et le Mouvement des caisses Desjardins ont aussi conclu une entente de service en vertu de laquelle Desjardins offre aux 13 caisses de L’Alliance des services technologiques, ainsi qu’une gamme complète de produits et services financiers.