Les investisseurs reviennent aux actions avec prudence, ce qui s’est traduit par de fortes ventes de fonds équilibrés, particulièrement ceux dotés d’une répartition d’actif prudente.
Le rapport statistique de l'Institut des fonds d'investissement du Canada (IFIC) indique que les ventes nettes de fonds équilibrés des sociétés membres ont totalisé 24,6 milliards de dollars (G$) au cours de la période de douze mois terminée le 30 octobre 2010, comparativement à seulement 6,83  G$ pendant la même période, l'année précédente. La catégorie équilibrée comprend des fonds indépendants ainsi que des fonds de fonds, un produit populaire.

Le mois d'octobre a été particulièrement fort pour cette catégorie, note le rapport de l'IFIC. «Les fonds équilibrés ont enregistré des ventes nettes de 1,98 G$ en octobre, en hausse par rapport à septembre (1,02 G$) et par rapport à octobre 2009 (1,73 G$).»

Dennis Yanchus, directeur, statistiques et recherche à l'IFIC, le confirme. « Les gens participent à la reprise du marché par l'intermédiaire des fonds équilibrés », dit-il. Pour les investisseurs qui pourraient avoir connu de nombreuses nuits blanches durant le repli du marché, le choix d'un fonds équilibré équivaut à couvrir leur pari puisque ces types de fonds sont composés d'une combinaison de catégories d'actifs dont des titres à revenu fixe et des titres de participation.

M. Yanchus explique que pendant la crise, les investisseurs demeuraient en marge dans les fonds du marché monétaire. La chute des taux ayant affecté les rendements des fonds du marché monétaire, beaucoup de cet argent a ensuite été placé dans des fonds à revenu fixe (obligataires) et dans des comptes d'épargne à taux élevé.

Il y a présentement un mouvement important vers la catégorie des fonds équilibrés, bien que les ventes des fonds obligataires demeurent considérables. Au cours des douze derniers mois, les ventes de fonds obligataires ont totalisé 11,4 G$, une augmentation importante comparativement aux 8,8 G$ au cours de la même période, l'année précédente.

M. Yanchus ajoute que la popularité des fonds équilibrés indique que les investisseurs adoptent une approche prudente envers les marchés boursiers, mais la vigueur des ventes fait aussi partie d'un changement démographique plus important - le vieillissement de la population favorise des placements plus prudents comme ceux des fonds équilibrés. Cette tendance était forte avant la crise des marchés.

Brent Smith, chef des placements mondiaux pour le Fonds de stratégie mixte de Franklin Templeton et cogestionnaire du Programme Quotentiel, explique qu'il a remarqué un mouvement intéressant dans les ventes de fonds équilibrés. « Nous remarquons le volume de rentrées de capitaux dans les fonds équilibrés les plus prudents. Les ventes vont à ceux dont la composante en titres à revenu fixe est de l'ordre de 60 % à 80 %. Historiquement, les capitaux affluaient davantage vers les fonds équilibrés audacieux comportant plus de 60 % d'actions », dit-il.

Au 30 septembre 2010, le Portefeuille de revenu diversifié Quotentiel, un portefeuille équilibré prudent, était composé à 77 % de titres à revenu fixe, à 16,2 % d'actions canadiennes, à 3 % de titres aurifères et à 3 % en liquidité. L'actif sous gestion était de 1,15 G$. « Nous avons constaté un afflux magistral dans ce portefeuille de fonds », précise M. Smith.

Retour avec précaution

Pour M. Smith, cette tendance prudente dans les ventes indique que les investisseurs reviennent au marché boursier avec précaution. Divers sondages récents ont montré une recrudescence de l'optimisme chez l'investisseur, mais M. Smith ne le remarque pas encore.

« À la suite de la reprise colossale après le creux des marchés en 2009, nous avions espéré que les investisseurs seraient plus audacieux. Je pense qu'ils demeurent inquiets. C'est ce que nous décelons dans ces apports de capitaux - beaucoup d'inquiétude. »

Il se demande si l'éclatement de la bulle des technologies, il y a dix ans, ainsi que la crise des marchés en 2008 n'ont pas laissé une marque indélébile sur les jeunes investisseurs, particulièrement sur ceux dans la trentaine qui avaient peut-être commencé à investir, il y a à peine dix ans. Ces investisseurs ont peu tiré du marché et ont connu les montages russes de l'incertitude et de la volatilité.

« Ils pourraient former une génération complète d'investisseurs qui considèrent les marchés boursiers comme étant extrêmement risqués. Une mauvaise décennie pour les actions se traduira-t-elle par une génération d'investisseurs plus prudents? Je n'ai pas de réponse », dit M. Smith.

Si l'on peut tirer quelque chose de positif de l'année 2008, ajoute-t-il, c'est que les investisseurs ont été forcés de réévaluer leur réelle tolérance au risque. Durant la crise, nombreux sont ceux qui ont constaté que leur niveau de tolérance au risque était largement inférieur à ce qu'ils avaient pensé.

« Certains disent qu'ils veulent obtenir 10 % sans risque... mais on ne peut obtenir des rendements intéressants sans courir de risque », rappelle M. Smith.

Pareil pour les fonds distincts

Nessim Mansoor, gestionnaire de portefeuille, actions chez Empire Vie, assure la cogestion avec Gaelen Morphet d'un fonds distinct équilibré, le Fonds de répartition de l'actif, et il est gestionnaire principal du Fonds d'actions Premier, un fonds distinct d'accent canadien. Il dit que le profil des ventes de fonds distincts est une réplique de celui des ventes de fonds communs de placement. Pour les fonds distincts, le mouvement est parti des fonds du marché monétaire pendant le recul du marché, vers les fonds à revenu fixe et ensuite vers les fonds équilibrés.

Malgré les garanties de capital offertes par les fonds distincts, les investisseurs demeurent « très inquiets » face à leur choix de placement. Le maintien de l'incertitude économique et les manchettes négatives alimentent cette inquiétude, selon lui.

M. Mansoor a commencé la cogestion du Fonds de répartition de l'actif en février, cette année. C'est un fonds de placement géré de façon tactique composé à 66 % d'actions, à 28 % d'obligations et à 6 % de liquidité.

Il dit que généralement, les investisseurs ont tendance à fonder leurs décisions sur le rendement passé et selon les récents rendements. Septembre s'est avéré un excellent mois pour les actions. Est-ce que ce rendement encourage les investisseurs à être plus agressifs?

La tendance de septembre s'est poursuivie. «Toutefois, les ventes nettes de fonds équilibrés ont augmenté sensiblement en octobre et étaient les plus fortes depuis six mois. Ça peut être un signe que les investisseurs augmentent leur exposition aux actions prudemment en investissant dans les fonds équilibrés», dit-il.

Les Grober, directeur gestionnaire de Gestion de placement TD, dit que depuis l'an dernier, la principale tendance qu'il a observée est que les capitaux fuient les actions et qu'ils affluent vers les fonds obligataires. Toutefois, dans la catégorie des actions, les fonds équilibrés sont le choix le plus populaire.

Il croit que la confiance de l'investisseur s'est améliorée au cours de la dernière année, mais qu'elle demeure fragile. « Il y a assurément une tendance pour les revenus courants plutôt que pour l'appréciation du capital à long terme. Ceci illustre la fragilité. »

M. Grober est cogestionnaire avec John Smolinski du Fonds de croissance équilibré de TD. La répartition de l'actif du Fonds de croissance équilibré est approximativement à 60 % en actions (majoritairement des actions canadiennes, ainsi que quelques actions américaines et internationales) et à 40 % en obligations (avec une tendance sur les obligations de sociétés de grande qualité). Un autre fonds de TD offrant une combinaison équilibrée est le Fonds de revenu de dividendes TD qui se compose d'environ 70 % d'actions (actions canadiennes donnant droit à des dividendes) et de 30 % d'obligations avec une tendance sur les obligations de sociétés de grande qualité. Le gestionnaire principal de ce fonds est Doug Warwick.

M. Grober suggère aux investisseurs disposant d'un horizon de placement à long terme qu'il serait maintenant opportun d'adopter une stratégie de réduction des obligations et d'augmentation des actions. « Les actions semblent plus abordables qu'elles l'ont été depuis plusieurs décennies comparés aux obligations », commente-t-il.

Aux investisseurs disposant d'un horizon de placement plus court, il recommande de maintenir leur position dans les obligations.

Qui devrait acheter des fonds équilibrés? M. Grober suggère qu'ils conviennent bien à deux types d'investisseurs. Le premier est l'acheteur au détail qui a un petit montant d'actifs et qui cherche à faire fructifier ses avoirs au fil du temps. « Les portefeuilles équilibrés représentent une bonne assise dans un portefeuille. »

Intéressant pour les boumeurs

Le deuxième type d'investisseur est représenté par les boumeurs. « Avec le vieillissement des boumeurs, il devient logique pour eux d'équilibrer la préservation et l'appréciation du capital. »

Dan Hallett, directeur, gestion d'actifs chez HighView Financial Group, explique que pendant plusieurs années il était « vraiment contre les fonds équilibrés ». Le mauvais côté des fonds équilibrés est qu'ils sont assortis de frais plus élevés que ceux qui découleraient de la simple répartition du portefeuille du client entre des actions et des obligations.

Ce qu'il a découvert, toutefois, c'est que les investisseurs qui achètent des fonds équilibrés les détiennent plus longtemps. La raison est que la répartition de l'actif entre les actions et les obligations amoindrit les mouvements dans le fonds. Un fonds équilibré qui accuse un recul de 20 % au cours d'un repli du marché ne provoque pas le même niveau de peur ou de panique qu'un qui recule de 40 %, par exemple.

Les investisseurs dont les fonds d'actions sont distincts de leurs fonds obligataires ont tendance à prendre peur même si, globalement, la valeur totale de leur portefeuille a décliné au même niveau qu'un fonds équilibré. Les investisseurs ont de la difficulté à voir une partie de leur portefeuille se dévaluer abruptement et sont plus enclins à vendre au mauvais moment. Avec le temps, les investisseurs en fonds équilibrés obtiennent de meilleurs rendements malgré les frais plus élevés, simplement parce qu'ils conservent leur placement à plus long terme.

« En général, la majorité des investisseurs peuvent profiter des fonds équilibrés, dit M. Hallett. Ce serait bien si les gens étaient moins émotifs par rapport à leurs placements, mais ce n'est pas le cas... c'est la réalité du comportement de l'investisseur. »

Un autre avantage clé des fonds équilibrés, ajoute M. Hallett, est que la répartition de l'actif est rééquilibrée par les gestionnaires du fonds. Par exemple, lorsque le marché boursier plonge, le niveau d'actions du portefeuille fait de même. Le gestionnaire du fonds équilibré repositionne alors le portefeuille en ajoutant plus d'actions. Il est très difficile d'amener les gens à rééquilibrer leurs propres fonds dans une telle situation.

« Après la dernière crise, la reprise a été rapide et significative », commente M. Hallett. La plupart des fonds équilibrés ou des fonds de fonds ont bien récupéré grâce aux gestes de repositionnement posés par les gestionnaires de fonds.