Dès 2011, les compagnies cotées en bourse au Canada devront se plier à de nouvelles normes comptables internationales. De nombreux assureurs sont inquiets. Selon eux, ces nouvelles normes affecteront la présentation de leurs états financiers et aggraveront encore les effets du ralentissement économique.Le passage des « principes comptables généralement reconnus » (PCGR) aux « normes internationales d'information financière » (NIIF) sème la controverse chez les assureurs. Fondées sur des principes plutôt que des règles, les nouvelles normes proposées par l'International Accounting Standards Board (IASB) prévoient entre autres qu'une compagnie doit évaluer ses actifs à leur juste valeur marchande (mark to market) au moment de présenter ses états financiers.

Cette norme comptable obligera les assureurs à tenir compte, dans leurs états financiers, de la valeur à court terme de leurs actifs, alors que leurs engagements financiers envers les assurés s'étalent souvent sur des décennies. Une telle obligation fera fluctuer les résultats financiers et masquera la véritable capacité des assureurs à produire des bénéfices, surtout quand les marchés financiers sont défavorables.

Aux États-Unis, le plan de la Securities and Exchange Commission (SEC) sur l'implantation des NIIF chez les entreprises américaines a rencontré de l'opposition. Reste à voir si la nouvelle présidente de la SEC, Mary Schapiro, continuera d'appuyer les initiatives de son prédécesseur.

Au Canada, le plan des NIIF s'installe. Le 13 février 2008, le Conseil des normes comptables (CNC) a annoncé que le changement officiel s'effectuera le 1er janvier 2011. À partir de cette date, les sociétés publiques canadiennes devront utiliser les NIIF plutôt que les PCGR.

Les adeptes des nouvelles normes affirment que l'évaluation au prix du marché accroîtra la transparence des états financiers. Les banques et les assureurs croient que cette méthode les obligera à inscrire dans l'année toute dévaluation de leurs actifs. Ils perdraient ainsi la possibilité d'étaler cette dévaluation sur une plus longue période. Un écueil qui s'accentue lorsque les marchés sont défavorables.

À l'automne dernier, l'ancien président et chef de la direction de la Financière Manuvie, Dominic D'Alessandro, s'est exprimé au sujet de ces enjeux lors de la Journée des investisseurs de l'entreprise. Il a affirmé que les normes comptables d'évaluation de la juste valeur marchande seront néfastes pour les consommateurs et les assureurs.

« Au Canada, nous avons jusqu'à maintenant dirigé nos entreprises en prenant les meilleures décisions financières et non les meilleures décisions comptables. Nous avons pu maintenir des actifs et investir l'argent de nos assurés dans des placements à long terme qui ont produit des rendements substantiels », explique-t-il.

À cause des NIIF, l'assurance coûtera plus cher aux consommateurs, prévient M. D'Alessandro. « Ils obtiendront moins de valeur. Si les assureurs, qui doivent respecter des engagements de 30 à 40 ans, ne peuvent plus investir leurs capitaux propres dans des actifs à long terme dont la valeur varie, qui peut le faire? »

Pas de réponse simple

Dans un discours destiné au Cercle canadien de Montréal le 6 avril, le président et chef de la direction d'Industrielle Alliance, Yvon Charest, a aussi fait une mise en garde quant aux pièges que comporte le recours aux NIIF pour le Canada. « Ça peut paraître paradoxal d'être contre une coordination internationale, mais ça démontre qu'il n'y a pas de solution simple aux produits financiers complexes », dit-il.

M. Charest prévoit que lorsque les normes seront mises en place, le résultat trimestriel de l'Industrielle Alliance oscillera entre une perte de 50 M$ et un profit de 150 M$, par rapport à un profit stable de 70 M$ avec les normes actuelles.

En outre, les nouvelles normes comptables feront gonfler la taille du rapport annuel, dit-il. Les états financiers d'Industrielle Alliance font 55 pages actuellement. M. Charest s'attend à ce qu'elles doublent lorsque les NIIF prendront effet en 2011.

« Le problème, c'est qu'on ne sait pas comment faire reculer l'Institut canadien des comptables agréés (ICCA), un organisme souverain, dont les membres ne sont pas nommés par le gouvernement et dont les décisions sont finales et sans mécanisme d'appel. À qui répond l'ICCA? Envers qui ses membres sont-ils responsables? »

Assouplissement en vue

S'il n'existe pas de mécanisme pour influencer directement l'ICCA, bon nombre de dirigeants d'institutions financières feraient pression sur le ministre fédéral des Finances Jim Flaherty, rapporte une source anonyme dans The Financial Post.

Ces efforts allégués auraient en partie porté fruit. Le 30 avril, le Conseil des normes comptables « a décidé de réviser ses normes sur la dépréciation des titres de dette ».

Cet assouplissement a retenti dans les médias comme une victoire des institutions financières, lesquelles gagnent plus de liberté dans l'évaluation de leurs actifs financiers. La révision touche les titres qui se classent comme « détenus jusqu'à échéance » ou « encours de prêt ».

Le Conseil des normes souligne que sa révision pourrait aussi englober les titres de dette qui ne sont pas cotés dans un marché actif.

« Les changements que nous proposons dans la comptabilité des titres dépréciés rassurent les entreprises canadiennes qui craignaient d'être désavantagées pendant leur passage aux NIIF », a commenté le directeur du Conseil, Paul Cherry. Parmi les assureurs qui doivent effectuer le passage des PCGR aux NIIF d'ici 2011, la Financière Sun Life a mis en œuvre un plan de transition afin de respecter les délais, indique sa vice-présidente des normes internationales d'information financière, Noeline Simon.

Mme Simon souligne que le processus de conversion comporte deux phases pour les assureurs vie. Les assureurs traversent actuellement la première phase. La deuxième est celle qui impliquera des changements à la comptabilité relativement aux polices d'assurance, explique Mme Simon. Elle prévoit que ces changements de deuxième phase ne s'appliqueront qu'à partir de 2013.

Application coûteuse

Dans une soumission écrite destinée au Bureau des standards comptables internationaux en avril, le Mouvement Desjardins a déclaré qu'il adoptera les NIIF comme prévu, le 1er janvier 2011. Cependant, Linda Labbé, directrice exécutive divulgation et normalisation comptable du Mouvement Desjardins, souligne toutefois un problème. En vertu de certains changements, des documents d'usage courant tels les bilans et les états des revenus et des flux de trésorerie devront être conçus différemment, explique-t-elle dans sa soumission.

D'accord avec certains des principes énoncés quant à la présentation des états financiers, Mme Labbé écrit toutefois son désaccord avec plusieurs changements qui touchent la présentation des flux de trésorerie. Elle estime que ces changements n'apporteront pas d'information utile à la prise de décision pour ceux qui consultent ces documents. Elle croit aussi que leur implantation sera très onéreuse.

En mai, les autorités canadiennes en valeur mobilière (ACVM) ont publié un avis sur les problèmes relatifs au changement vers les NIIF. Celui-ci indique que les ACVM sont conscientes des défis auxquels les sociétés émettrices canadiennes devront faire face afin de respecter le délai du 1er janvier 2011. Les ACVM ont ajouté qu'ils « exploraient des façons d'aider ces sociétés à affronter ces défis, y compris le prolongement du délai ». Les ACVM espèrent publier les détails de leurs propositions à des fins de commentaires plus tard cette année.

Joint par le Journal de l'assurance, James Witol, vice-président fiscalité et recherche de l'Association canadienne des compagnies d'assurance de personnes (ACCAP), appuie le passage aux NIIF. Il serait insensé que le Canada possède ses propres normes comptables, alors que de nouvelles normes auront cours partout dans le monde, croit M. Witol. « Nous devons adopter les NIIF afin de prendre part à la communauté mondiale en comptabilité. »

M. Witol observe cependant que le CNC révise actuellement la norme sur l'évaluation à la juste valeur (IAS 39). Il attend leur document de discussion prévu en octobre. « L'ACCAP se prononcera sans doute sur les nouvelles propositions à ce moment, » ajoute-t-il.

Selon lui, le plus gros désavantage de l'application des NIIF pour l'industrie de l'assurance vie est le remplacement de la méthode d'évaluation actuelle des polices. Cette méthode est connue sous le nom de MCAB (méthode canadienne axée sur le bilan).

Comme la nouvelle méthode ne sera pas appliquée dès 2011, il y aura une brisure entre l'évaluation des obligations des assureurs aux termes des polices d'assurance et l'évaluation des actifs qui couvrent ses obligations.

Mais rien n'est encore coulé dans le béton. « Le conseil des normes comptables internationales (CNCI) travaille aussi sur cette question et nous attendons un document à ce sujet au cours de l'année, » conclut M. Witol.