L’adoption de normes comptables est de compétence provinciale, et les commissions de valeurs mobilières de chacune d’entre elles ont le pouvoir de décider de ne pas appliquer toutes les normes internationales d’information financière (IFRS). Grande crainte de l’industrie, les IFRS 2 sur les contrats d’assurance pourraient donc passer dans le tordeur si elles créent trop d’inconfort, croit Yvon Charest, PDG de l’Industrielle Alliance.
Les IFRS créent une pression supplémentaire sur les épaules des assureurs. Une pression qui pourrait s’alourdir, au terme de la consultation sur la future norme des contrats d’assurance, qui se termine le 25 octobre. L’incertitude plane sur l’issue des discussions. « Les IFRS 2 restent une possibilité, mais il demeure difficile de prédire quel en sera l’impact ou l’issue », a commenté M. Charest. Il sait toutefois que le document de discussion, publié en juin par l’International Accounting Standard Board (IASB), diffère peu de la formule d’origine qui avait indisposé les assureurs canadiens.

À l’origine, les IFRS 2 prévoyaient, entre autres, que les assureurs escomptent la valeur comptable de leurs obligations futures, d’une durée souvent supérieure à 30 ans, à leur valeur marchande d’aujourd’hui. Ils devaient en plus escompter ces obligations futures à un taux d’intérêt minimal. De telles règles auraient entrainé une forte volatilité dans les résultats financiers trimestriels des assureurs. Quelque peu assouplie, la dernière version n’en demeure pas moins problématique pour les assureurs. « Pour les assureurs de personnes, le seul élément sur lequel l’IASB n’a pas encore statué est la réserve actuarielle. C’est le plus important : elle compte pour 80 % du bilan », a soulevé M. Charest.

La caravane de l’IASB passera par Toronto, quelques jours avant la fin de la consultation. Le message que l’industrie livrera à l’organisme européen demeure le même, a dit M. Charest. « Nous participons aux discussions depuis trois ans. La solution que je propose est que les commissions de valeurs nous demandent de maintenir la méthode canadienne du calcul de la réserve actuarielle, côte à côte avec la norme IFRS 2. Tant que les autorités sont à l’aise avec la méthode canadienne, nous n’implanterons pas IFRS 2 », résume le PDG de l’Industrielle Alliance.

Au Canada, ce domaine de juridiction est de compétence provinciale, soutient M. Charest. « Par l’entremise de leurs commissions en valeurs mobilières, les provinces pourraient très bien décider de ne pas adopter les normes qu’elles n’aiment pas », souligne-t-il. Elles pourraient aussi les modifier.

Le PDG de l’Industrielle Alliance reproche par ailleurs à ces normes IFRS proposées par la communauté européenne de n’avoir d’international que le nom. Seuls les régulateurs d’assurance de personnes de deux autres pays se sont engagés à adopter ces normes comptables, soit le Canada et l’Australie, a-t-il fait savoir.

Selon les données de l’IASB, qui portent sur tous les secteurs d’activités, des poids lourds comme les États-Unis, la Chine et, à plus petite échelle, la Suisse, n’ont pas officiellement adopté les IFRS. Le Japon l’a fait, mais seules 20 sociétés publiques sur 3 200 les utilisent, soit 1 %.

Si le but de ces normes est de rendre les états financiers comparables d’une société à l’autre à l’échelle internationale, peut-être vaut-il mieux attendre un peu avant de les implanter, ajoute M. Charest. « Nous observons que les commissions attendent avant de prendre position. Il faudra que régulateurs et commissions de valeurs mobilières s’assoient à la table de concertation et décident de ce que l’on veut avoir au Canada. »

Le PDG de l’Industrielle Alliance croit que le Québec sera avantagé dans ce dossier, car son régulateur, l’Autorité des marchés financiers, joue aussi le rôle de commission de valeurs. En théorie, Québec pourrait agir seul, mais cela semble peu probable. Les entreprises seraient aux prises avec deux systèmes différents, lorsqu’elles feraient affaire à l’extérieur du Québec.

Pour sa part, l’Autorité des marchés financiers dit s’être ralliée déjà depuis un bon moment à la marche des IFRS. Dans la perspective de son rôle de commission des valeurs mobilières au Québec, le régulateur n’a aucunement l’intention d’y changer quoi que ce soit.

« Aucun régulateur au Canada n’a mentionné son intention de diverger des IFRS proposées par l’IASB. Et nous, ce n’est certainement pas notre intention », a dit en entrevue au Journal de l’assurance le porte-parole de l’Autorité, Sylvain Théberge.

Il rappelle d’ailleurs qu’une nouvelle série d’IFRS sera mise en place pour les assureurs, le 1er janvier 2014. L’Autorité édicte en effet les IFRS qui s’appliquent aux assureurs en activité au Québec.

Dans son questionnaire qui lui sert à établir le profil de chaque pays en ce qui a trait aux normes, l’IASB tient compte de cette possibilité de voir des commissions de valeurs diverger. Dans une question, elle demande si les organismes de règlementation d’un pays ont « éliminé toute option de pratique comptable permise par les IFRS que ce soit, ou apporté quelque changement que ce soit à l’une ou l’autre des IFRS. » Dans le profil du Canada, la réponse est non.

L’IASB tente de rallier le plus de pays possible. Le projet des normes IFRS sur les contrats d’assurance vise à permettre aux assureurs et aux réassureurs de comptabiliser tous les types de contrats d’assurance selon les mêmes principes, explique-t-il sur son site Internet. Le but consiste à améliorer la comparabilité des états financiers entre entités différentes, instances règlementaires et marchés des capitaux, ajoute l’institut. « Cette comparabilité manque grandement, de nos jours, parce que des pratiques comptables variées se sont développées à la pièce, au fil de plusieurs années. »

Dans son échéancier, l’IASB mentionne qu’une fois la consultation terminée, il passera à l’édiction d’un format définitif des normes internationales d’information financière sur les contrats d’assurance.

Quoi qu’il en soit, les nouvelles normes comptables des contrats d’assurance sont loin d’être chose faite. Dans son échéancier, le conseil de l’IASB prévoit débattre durant l’hiver 2014 des mémoires reçus le 25 octobre, et publier le format final des IFRS 2, tôt en 2015. L’IASB prévoit qu’elles entreront en vigueur trois après leur publication, donc pas avant 2018.

D’ici là, le Conseil des normes comptables du Canada entamera sa propre consultation. Il posera la question suivante, qui promet des réactions variées dans l’industrie : « En supposant que les normes proposées dans l’exposé-sondage de l’IASB soient approuvées, croyez-vous que des aspects les rendent inadéquates en tout ou en partie pour les entités canadiennes, même si elles sont adéquates dans le reste du monde? »

Le cas échéant, le Conseil des normes comptables demande aux répondants de préciser quels aspects et quelles circonstances rendent ces normes inadéquates pour les sociétés canadiennes.