L’industrie canadienne IARD verra sa rentabilité diminuer en 2008-2009 en raison de la conjoncture économique qui se détériorera.Après des années d’abondance, les 200 assureurs IARD actifs au Canada et son réseau de courtage doivent se préparer à connaître une période de vaches maigres au cours des 18 prochains mois. C’est ce que prévoient les agences de notation Standard & Poor’s et A.M. Best, interrogées par le Journal de l’assurance.

Plusieurs facteurs expliquent le ralentissement appréhendé par les deux agences. Au premier chef, la turbulence économique, causée par la volatilité accrue des marchés financiers et des taux d’intérêt continuellement bas, persistera à freiner la croissance de l’industrie.

De plus, des facteurs propres au secteur de l’IARD contribueront à faucher sa rentabilité. Parmi ces facteurs, la contestation devant des tribunaux des réformes en assurance auto, entreprises en Alberta et en Ontario, l’augmentation anticipée des intempéries, ainsi que l’assouplissement de la tarification due au marché mou qui sévit en ce moment.

Selon les agences, nombre de joueurs étaient déjà confrontés à ces difficultés en 2007. La différence, c’est qu’elles viendront les hanter avec beaucoup plus d’insistance en 2008-2009. La turbulence des marchés continuera à prendre de l’ampleur, ce qui affectera à la baisse le rendement des portefeuilles de placements.

Conservateurs quant à leurs placements, les assureurs de dommages ont renoncé à profiter de la vigueur des marchés d’actions dès qu’ils sont devenus trop volatiles, explique l’analyste financier Foster Cheng, de Standard & Poor’s. « Ils se sont surtout tournés vers les placements jugés plus sûrs que sont les marchés monétaires et les titres à revenus fixes », précise-t-il.

De plus, les bas taux d’intérêt ont eu et auront un impact négatif sur les revenus de placement des assureurs. Leur rentabilité sera donc affectée, poursuit M. Cheng.

Revenus de placement

Les revenus de placement des assureurs IARD ont progressé de 10 %, passant de 2,8 à 3,1 milliards de dollars (G$) entre 2006 et 2007. Signe du ralentissement, cette croissance est inférieure à celle des deux dernières années. Elle avait été de 26 % entre 2004 et 2005, puis de 16 % entre 2005 et 2006. C’est ce que révèlent des données du Bureau du surintendant des institutions financières (BSFI).

Le choix en matière de placements que feront les assureurs durant la présente crise économique s’avérera d’une importance cruciale pour leur avenir, renchérit Donald Chu, directeur de la notation financière chez Standard & Poor’s. Les assureurs auront avantage à maintenir de saines politiques de placements, prévient-il.

« Le passé nous démontre que des assureurs ont couru à leur perte, après avoir lourdement investi leurs placements dans certains secteurs. Lorsque ceux-ci se sont effondrés, ces assureurs ont suivi le mouvement à la baisse. C’est l’équivalent de frapper un iceberg pour un bateau. Il coule à pic », illustre M. Chu.

Les assureurs ont néanmoins tiré des leçons des années 1990, alors que la conjoncture économique été difficile, croient les analystes de Standard & Poor’s. Les compagnies ont depuis intégré de saines pratiques de gestion des risques et maintiennent une saine capitalisation, disent-ils, promettant de les garder à l’œil.

Des réformes contestées

En 2008 et 2009, les agences craignent que les tribunaux de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick suivent l’exemple albertain, en renversant les réformes ordonnées par ces gouvernements aux assureurs auto, au début des années 2000. Celles-ci visent à imposer un plafond sur les montants versés aux conducteurs assurés qui subissent des blessures corporelles mineures, à la suite d’un accident de la route. Si elles étaient renversées, ce serait un retour à la case départ pour les assureurs dans ces deux provinces. Leurs taux de sinistralité et le nombre de réclamations risqueraient de grimper, expliquent les agences. Résultat : les assureurs perdraient à nouveau le contrôle de leurs coûts.

« Le Barreau de l’Ontario est résolu à contester la constitutionnalité des franchises des contrats d’assurance auto liés à la réforme de la province. Nous nous attendons à ce qu’il saisisse les tribunaux l’année prochaine au plus tard », prévoit Joseph Burtone, directeur principal à l’analyse financière en assurance de dommages chez A. M. Best.

« Il existe une tarification en présence d’un plafond. Il en existe une autre en l’absence de plafond. Sans ce plafond, les assureurs doivent revoir leur tarification. Ils devront sans doute hausser les primes pour combler le manque à gagner », explique M. Burtone.

En 2004, le gouvernement de l’Alberta a imposé un plafond de 4 000 $ aux réclamations en assurance auto liées aux blessures corporelles pour rendre l’assurance plus abordable, en particulier pour les jeunes conducteurs avec un bon dossier de conduite.

Or, dans deux affaires rendues par le Cour supérieure de l’Alberta en février 2008, le tribunal a fait sauter ce plafond. Il a accordé 15 000 $ et 20 000 $ à des conductrices ayant subi des blessures au cou et à la nuque.

Le tribunal a estimé que ce plafond était contraire à la Charte canadienne des droits et libertés. Pourquoi ? Selon la Cour, rien ne justifie que les blessures subies par certains Albertains, plafonnées à quelques milliers de dollars, valent moins que celles subies par d’autres.

Foster Cheng, de Standard & Poor’s, se dit inquiet de cette situation. « Après 2002, différents gouvernements ont instauré des plafonds, ce qui a permis à l’industrie de renouer avec la rentabilité. Mais en 2007, nous avons vu une détérioration des taux de sinistralité en Ontario, en raison d’une sévérité accrue. Cela a grandement contribué à la détérioration du ratio combiné de cette industrie, qui est passé de 83 % en 2006 à 102 % en 2007 », dit-il.

Si la réforme ontarienne devait être renversée, la situation empirerait. L’industrie canadienne au grand complet s’en ressentira, prévoit M. Cheng. « Avec un volume de primes de 9,4 G$, l’Ontario représente 43 % du marché canadien d’assurance auto, affirme M. Cheng. L’industrie canadienne ira là ou l’industrie ontarienne ira. »

Craindre les tempêtes

Même s’ils insistent pour dire qu’ils ne sont pas météorologues, les analystes anticipent une hausse du taux de sinistralité due à l’augmentation des intempéries au Canada durant les prochains mois. « Le premier trimestre de 2008 a été marqué par de violentes tempêtes hivernales dans le centre du Canada, dont au Québec », note Charles Huber, analyste financier principal chez A.M. Best. « Les accumulations de neige ont atteint des niveaux quasi records, ce qui a causé l’effondrement de nombreux toits. Les assureurs que nous suivons affirment que ces tempêtes se sont reflétées négativement dans leurs résultats du premier trimestre ».

Par exemple, ING Canada a déclaré un bénéfice net de 70,2 millions de dollars (M$) pour le trimestre terminé le 31 mars 2008, en baisse par rapport à 112,8 M$ de dollars pour le trimestre correspondant de 2007. ING a directement attribué ce recul de 60 % aux tempêtes hivernales qui ont touché le centre du Canada.

L’année 2007 a été difficile pour les assureurs actifs dans l’ouest, qui a connu des tempêtes records de vents et de grêle. Wawanesa a dû verser 95 M$ en réclamations et a vu ses profits techniques fondre de 101 M$ en raison des tempêtes.

« L’industrie se croise les doigts pour que l’expérience de 2007 ne se reproduise pas. Cependant, deux des trois dernières années ont été fortes en intempéries, et cela ne s’est pas amélioré au premier trimestre de 2008 », souligne M. Huber.

Son collègue Joseph Burtone souligne que nombre d’assureurs ne savent même plus s’ils doivent continuer d’offrir la protection pour refoulement d’égouts (dont ils assortissent leurs contrats d’assurance habitation), s’ils doivent l’exclure ou en augmenter les franchises. « Les assureurs ne savent plus quoi en faire. Bien qu’ils excluent les sinistres causés par des inondations, ils continuent de couvrir ceux causés les refoulements d’égouts. Ce qui revient à la même chose », dit-il. Ils feront connaître leur décision au cours des prochains mois à son avis.

Le rapport du premier trimestre de la division canadienne de Suisse de Ré indique que les catastrophes naturelles ont causé pour 175 M$ en dommages assurés au premier trimestre 2008, ce qui représente une hausse de 28 % comparativement à la même période l’an dernier.

Encore le marché mou

Après en avoir constaté les signes avant-coureurs en 2007, Suisse de Ré confirme dans ce même rapport que l’industrie canadienne est entrée dans un cycle de marché mou. La baisse de tarifs et l’assouplissement des critères de souscription en sont tous des indications. De même que l’est la diminution de 15 % du bénéfice net de l’industrie pour les trois premiers mois de l’année, comparativement au trimestre correspondant de 2007, avance le réassureur.

Certains joueurs ont déjà commencé à en ressentir les effets, dont Kingsway Financial. Selon son président et chef de la direction Shaun Jackson, la contre-performance de l’assureur en 2007 est en partie attribuable au marché mou. Des concurrents, qui ne sont pourtant pas spécialisés dans l’assurance hors norme (sous-standard), ont commencé à jouer dans les plates-bandes de l’assureur et de sa filiale Jevco, dit-il.

« Ils ont commencé à offrir aux clients d’assurer leurs motocyclettes et leurs motoneiges, à condition qu’ils y transfèrent l’ensemble de leur assurance auto et habitation. Ils ont du même coup abaissé leurs primes. Cela a eu comme résultat de réduire notre chiffre d’affaires », reconnaît M. Jackson.

« L’industrie demeure rentable, mais disons que le marché ramollit de plus en plus », illustre Foster Cheng, de Standard & Poor’s. Il est d’avis que la situation ira toutefois en se détériorant au cours des prochains mois. Même son de cloche chez A.M. Best, où Joseph Burtone affirme que le cycle du marché mou est un enjeu auquel continuera d’être confrontée l’industrie canadienne de l’assurance de dommages.

La consolidation tant anticipée se fait néanmoins attendre, constatent les agences. Si elle survient, ce sera en fin de cycle. « Pour le moment, les assureurs continuent à faire de l’argent et nous ne croyons pas qu’il y ait une consolidation tant qu’ils seront rentables », lance pour sa part Donald Chu, de Standard & Poor’s. À quand la fin du cycle? Les agences ont refusé de s’avancer.