L’acheteur d’une maison, qui a voulu financer partiellement la transaction avec une assurance vie universelle, devra payer plus de 1,3 million de dollars (M$) au vendeur, a décidé la Cour supérieure du Québec. En raison d’une insuffisance des fonds dans la police, le vendeur a dû payer des primes pour la maintenir en vigueur, d’où sa poursuite, qui vise aussi le conseiller financier de l’acheteur.L’affaire remonte à 1989, alors que Douglas Robinson met la pancarte « à vendre » devant sa résidence de Beaconsfield. Prix de vente : un million de dollars (M$). André Lefebvre souhaite l’acquérir. Après une série d’offres et de controffres, M. Lefebvre tente une avenue que lui propose son conseiller financier, Pierre Roy, propriétaire du cabinet Lafortune & Associés (alors Roy, Lafortune & Associés). M. Roy rencontre le vendeur en présence de son client, et suggère de souscrire sur la tête de M. Robinson un contrat d’assurance vie universelle payable à sa succession. Il servira à financer partiellement l’achat de la maison.

En 1992, M. Roy transmet au nom de M. Lefebvre une offre à M. Robinson en ce sens. L’acheteur s’engage à verser 400 000 $ à la signature de l’acte de vente, plus 217 500 $ dans 5 ans. Il sera en outre titulaire d’une police universelle assurant la vie de M. Robinson pour 600 000 $. Le montant sera payable à la succession de M. Robinson. Le montant d’assurance sera indexé annuellement, jusqu’à un maximum de 1,2 M$ après 18 ans, selon le rendement des marchés. Les primes sont censées être payées à vie, mais cette promesse repose aussi sur le rendement des marchés. Le produit est souscrit auprès de la Prudentielle d’Amérique, acquise depuis par RBC Assurances.

L'entente tourne au vinaigre

L’entente tourne au vinaigre lorsque les fonds accumulés dans la vie universelle ne suffisent plus à payer les primes. L’assureur garantissait un rendement minimum de 4 % pour les sommes déposées dans le fonds d’accumulation. Toutefois, les primes, qui devaient se payer toutes seules, ont été fixées selon un rendement annuel projeté de 7,8 %. Les options de placement de la police ont réalisé des rendements réels inférieurs aux attentes.

En 2005, le cabinet de M. Roy envoie un premier signal d’alarme à M. Lefebvre : « il manque 214 406 $ afin d’éviter que la police ne tombe en déchéance », relate l’avis. Un an plus tard, l’acheteur reçoit un autre avertissement, cette fois de RBC Assurances : « la police tombera en déchéance le 28 mai 2013 », écrit l’assureur. M. Lefebvre n’avise M. Robinson de cette situation qu’en 2008, entretemps perturbé par le décès de son épouse. M. Robinson envoie alors des mises en demeure qui restent sans réponses. Devant l’inaction de MM. Lefebvre et Roy, M. Robinson doit payer les primes à partir du 25 juin 2013 pour maintenir la police en vigueur. Au moment du procès, il a payé 102 433,20 $. Il réclame cette somme, entre autres, aux défendeurs.

Le conseiller dans la ligne de mire

M. Roy est dans la ligne de mire : tant M. Robinson que M. Lefebvre soutiennent que les primes payées à l’émission de la police devaient suffire à maintenir la police en vigueur. Pourtant, l’assureur exige désormais des primes supplémentaires très élevées, car M. Robinson a 80 ans au moment du procès. Par exemple, la prime exigible cette année est de 111 329,11 $. Dans cinq ans, elle sera de 170 354,64 $. La police en cause est qualifiée de prépayée. Cette police n’offre pas les garanties qui auraient permis d’éviter le naufrage. « Pour éviter cette situation, il aurait fallu que M. Lefebvre souscrive une police dite libérée (du paiement des primes) et non prépayée », a écrit le juge Jean-François Michaud dans sa décision. Il indique toutefois que M. Lefebvre n’avait pas les moyens de débourser les quelque 463 000 $ qu’aurait couté une telle police.

Outre les primes qu’il a dû assumer, M. Robinson réclame de M. Lefebvre, de M. Roy et de son cabinet la couverture d’assurance convenue. De son côté, M. Lefebvre tient M. Roy responsable de la situation, et le poursuit à son tour.

Dans sa défense, M. Roy fait valoir que MM. Robinson et Lefebvre savaient que le paiement des primes dépendait des rendements des marchés financiers. Le juge Michaud n’a pas retenu son argument.

Dans un premier temps, il condamne solidairement MM. Lefebvre et Roy ainsi que le cabinet de celui-ci à payer à M. Robinson 1 200 010 $ avec intérêts et indemnité additionnelle. De plus, la Cour condamne solidairement MM. Lefebvre et Roy ainsi que le cabinet de celui-ci à payer les primes assumées par M. Robinson au montant de 102 433,20 $, avec intérêts et indemnité additionnelle. Les condamnés doivent aussi assumer les frais juridiques.

Le conseiller n’est pas au bout de ses peines

Le tribunal a accueilli l’action en garantie de M. Lefebvre contre son conseiller, de telle sorte qu'il devra indemniser son client « de tout montant, en capital, intérêt et frais, qu’il paiera à la suite de la condamnation prononcée contre lui dans la demande principale », stipule le jugement.