L’avocat Maurice Charbonneau persiste et signe : son analyse des effets de la Loi sur la distribution des produits et services financiers et du travail de l’Autorité des marchés financiers est sans équivoque. Selon lui, le régulateur a abdiqué ses responsabilités de guide pour l’industrie. La philosophie de l’autodiscipline ne fonctionne ni pour les consommateurs, ni pour les courtiers, affirme Me Charbonneau.Me Charbonneau donne plusieurs exemples pour soutenir son point de vue. Il remonte d’ailleurs aux consultations menées au milieu des années 1990, avant l’entrée en vigueur de la loi, pour étayer son point de vue.

Avant le dépôt du projet de loi 188, en 1998, le gouvernement du Québec avait la volonté d’encadrer l’industrie de manière plus coercitive, avance Me Charbonneau. « Avant que le projet ne soit modifié, on visait à créer des choses nouvelles, comme le système d’ombudsman ou de tierce partie pour régler les litiges entre les intermédiaires, les assurés et les assureurs. Ce système permettait de réduire les couteux litiges judiciaires. »

Durant la première consultation menée en 1996, l’industrie prônait de se discipliner elle-même sous le mode de l’autorégulation. « On a créé des mécanismes qui, au contraire, ont ajouté de la lourdeur dans le système. On a ajouté des obligations pour les cabinets et les assureurs, comme avoir des systèmes de traitement des plaintes, avec le registre des plaintes des consommateurs, et une politique à cet égard. Mais ceux qui analysent les plaintes sont des gens de la même boite. » Le volet prévention a disparu lorsque la réforme a été concrétisée, selon lui.

Treize ans après l’entrée en vigueur de la loi, les clients qui portent plainte ont peu de résultats, le public dans son ensemble n’est guère mieux protégé et les intervenants de l’industrie n’en sont pas plus heureux, insiste Me Charbonneau. Ceux qui se confient à lui estiment que le système est devenu lourd et couteux.

Système déconnecté

Si l’encadrement et la coercition existent, insiste Me Charbonneau, « on s’est juste donné des instruments pour mieux frapper sur des points techniques sur les intervenants du marché. Mais les autorités sont déconnectées du marché, elles ne font que réagir et elles ne sont pas là pour aider l’industrie à s’améliorer en matière de prévention», déplore-t-il.

Quand l’industrie réclame de l’aide pour mieux comprendre les règles, le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) a parmi ses rangs des experts en mesure de résoudre les cas complexes. L’avocat ne croit pas que l’Autorité dispose des ressources compétentes pour faire la même chose au Québec.

Il ne croit pas que le travail des deux chambres permet d’accomplir le travail de prévention qu’il juge essentiel. « On aurait besoin sur le terrain de gens connectés qui suivent les tendances du marché, qui ne font pas qu’imposer des amendes. On ne doit pas faire en sorte que ceux qui vident les caisses des assurés peuvent agir sans crainte de se faire prendre avant cinq ans, en se disant qu’ils auront le temps de détourner l’argent dans des endroits inaccessibles.. »

Pire encore, Me Charbonneau constate que les délais de traitement des plaintes et des dossiers disciplinaires sont devenus si longs qu’ils paralysent professionnellement le représentant visé, qu’il soit coupable ou non de ce qu’on lui reproche. « Vous médiatisez une plainte contre le courtier Tremblay, par exemple. Le cabinet qui le parrainait pour les mouvements de fonds arrête tout de suite, il ne veut pas prendre de risque. On le pénalise par son assurance responsabilité. Il ne tire plus de commissions, il est dans la dèche, et là vous avez une enquête, puis une plainte, ça prend des années. »

Au terme du processus disciplinaire, il arrive souvent que le représentant ciblé soit inactif. S’il était coupable, ironise-t-il, il est mort de rire, car il a eu des années pour profiter de l’usage illicite des fonds qu’il a détournés. S’il est innocent, sa carrière est finie. « Je ne suis pas certain que ce processus serve bien le consommateur. »

Il faut, selon lui, raccourcir les délais d’enquête et serrer la vis aux vrais fraudeurs. Il cite en exemple le cas d’un représentant qui s’est retrouvé sans assurance responsabilité. L’Autorité a mis six mois avant de lui retirer son permis. « Ça devrait être automatique, tu n’es pas assuré, on te retire ton permis. »

Manque de ressources

L’avocat n’est guère optimiste quand il pense à ce qui devrait être fait et ce qui risque de se produire dans la réalité en matière d’encadrement. « Je pense qu’on va continuer à alourdir la paperasse, les exigences de documents à remplir pour se protéger de tous les côtés, mais l’encadrement aura toujours un peu de retard sur la réalité de l’industrie. »

Au lieu d’être en mode réactif, il aimerait que le gouvernement confie à l’un de ses organismes le soin de devenir véritablement « le mentor de l’industrie des services financiers ». M. Charbonneau pense que l’ancienne Commission des valeurs mobilières du Québec a déjà eu cette autorité morale et cette expertise reconnue, mais celle-ci a été perdue depuis que l’organisme a été intégré à l’Autorité.

Autre exemple, selon l’avocat : le traitement du délicat problème de la garantie de remplacement (ou « valeur à neuf ») en assurance automobile. « L’Autorité était convaincue depuis longtemps que ce n’était pas une garantie, mais un produit d’assurance, donc de l’assurance pratiquée illégalement. Le constat a été fait il y a bien longtemps. Au lieu de vraiment prendre le taureau par les cornes, de façon politique, on a perdu quelques années à discuter d’une chose avec laquelle tout le monde était d’accord, c’était de l’assurance pratiquée illégalement. »

Selon lui, le signal qui est envoyé dans l’industrie par ces nombreuses tergiversations est que « l’on peut faire ce qu’on veut et que si l’on se fait prendre, on n’a qu’à se plaindre auprès des politiciens ». Les autres représentants de l’industrie sont en droit de se demander pourquoi ils travaillent si fort pour respecter toutes les obligations qu’on leur impose si certains arrivent à ne pas les suivre sans être sanctionnés.

Faute d’avoir un ordre professionnel distinct, les représentants devraient se regrouper dans un organisme qui s’occupe de leur lobbying et qui les représente adéquatement, juge-t-il. Cet organisme s’occuperait de prévention et de formation sur la déontologie, tout en laissant à la Chambre de la sécurité financière le soin de sanctionner les fautes disciplinaires. C’est le rôle que jouait auparavant l’Association des intervenants en assurance de personnes du Québec (AIAPQ). Il avoue toutefois que le système disciplinaire a ses limites dans les professions règlementées. « Au moins, les avocats qui dérogent des règles se font sanctionner pas mal plus vite », note Me Charbonneau.

Changements souhaitables

Me Charbonneau répète que l’Autorité n’a pas besoin d’une révision législative pour mieux encadrer l’industrie. « L’Autorité doit mieux suivre au quotidien tout ce qui se passe dans l’industrie, afin d’améliorer les choses au fur et à mesure. Ils ont le pouvoir légal de donner des directives aux assureurs et aux intervenants, mais ils ne l’exercent pas tellement. »

Au lieu d’adopter une directive contraignante qui s’applique à tous lorsqu’on constate un comportement fautif, l’Autorité devrait aller davantage sur le terrain et dépister les problèmes, sans obliger toute l’industrie à produire des rapports de conformité

« L’industrie se porte bien, de manière générale, au plan financier. Plein de gens en vivent confortablement. Il ne faut pas se plaindre le ventre plein. Le public est, malgré tout, relativement couvert et protégé par l’encadrement existant, même s’il n’en a pas toujours l’impression. L’important dans le futur est de se montrer plus créatif en matière de solutions rapides, plutôt que de sanctionner lourdement après coup. »

Obliger les représentants à se tenir à jour et à colliger des unités de formation continue (UFC), c’est bien, mais M. Charbonneau pense qu’il devrait y avoir des examens et un meilleur suivi pour rendre efficace ce système. Ailleurs au Canada, il existe des firmes-conseils capables d’appuyer les cabinets de courtage dans le respect des obligations liées à la conformité.

« Ça prend du temps pour développer des réflexes de conformité, mais les gens sont en infraction constante et partout, sans le savoir. Ils l’apprennent quand ils se font prendre et se font taper dessus. »