Sous la pression des États-Unis, le Conseil international des normes comptables reporte en 2015 l’application de la norme sur les contrats d’assurance.
Leurs produits garantis déjà pressurisés par les bas taux d’intérêt, les assureurs voient la norme sur les contrats d’assurance d’un mauvais œil. Elle provient d’Europe où l’essentiel de l’industrie repose sur des contrats d’assurance à court terme. Elle dictera aux assureurs un taux conservateur pour évaluer leurs obligations à long terme. Les assureurs devront les évaluer à la juste valeur marchande d’aujourd’hui.

En outre, la nouvelle norme reclassera les contrats d’assurance. Certains produits jadis considérés comme de l’assurance deviendront des contrats d’investissement ou de service. Des assureurs craignent même devoir séparer dans leurs états financiers la composante d’investissement du cout de l’assurance en vie universelle.

La liste des irritants s’allonge au fil des sommets mondiaux. L’industrie canadienne de l’assurance s’insurge. Elle vante les mérites de sa méthode d’actuariat. Le Canada demeure toutefois une goutte dans l’économie mondiale. Il doit compter sur de gros partenaires pour faire contrepoids, comme le Financial Accounting Standards Board (FASB) des États-Unis.

L’organisme américain ralentit d’ailleurs depuis quelques années le rouleau compresseur de l’International Accounting Standards Board (IASB). Situé à Londres, l’IASB a entamé une réforme de la comptabilité des entreprises partout dans le monde. Le Canada a adhéré à cette réforme appelée International Financial Reporting Standards (IFRS). Pas les États-Unis.

Nos entreprises appliquent ainsi de nouvelles normes internationales d’information financière depuis 2011. La Russie vient de signer un accord pour les introduire dans sa loi. Les États-Unis hésitent. Lors du sommet du G20 à Singapour en janvier, la Securities Exchange Commission a promis de se brancher dans les premiers mois de l’année. Rien n’avait été annoncé en ce sens au moment de fermer la présente édition.

Malgré l’attente, l’IASB se targue de rallier plus de 100 pays. Sa cause : rendre les états financiers des compagnies plus transparents. L’objectif est noble, mais les assureurs craignent la deuxième phase des travaux. L’IASB prévoit proposer au deuxième trimestre un format quasi-définitif de la norme IFRS 4 des contrats d’assurance.

Or, le FASB y oppose d’importantes réserves. Lors d’une rencontre avec son homologue européen en 2010, le FASB avait forcé le renvoi d’IFRS 4 à la table à dessin. En octobre dernier, les deux organismes ont négocié sur la base du nouveau projet. Plusieurs points demeurent en suspens. D’autres rencontres ont eu lieu en janvier sans toutefois déboucher sur une conclusion. L’IASB présentera une mise à jour de son projet lors d’un sommet à Kuala Lumpur le 28 mars.

Parmi les sujets de divergence évoqués ces derniers mois, l’IASB soutient l’idée d’un ajustement explicite de la marge selon le risque. En assurance, la marge sert à absorber un écart défavorable entre les résultats prévus et les résultats obtenus.

Le FASB souhaite plutôt une marge « composite » amortie selon un calendrier à déterminer. Il n’épouse toutefois pas la recommandation de l’IASB de réviser la marge composite lorsqu’il y a un changement dans les flux monétaires d’une société.

Par ailleurs, l’IASB inclurait tous les couts directs d’acquisition dans les résultats d’une société de portefeuille alors que le FASB en exclurait les mauvais résultats de ventes (unsuccessful sales). Les discussions achoppent sur plusieurs autres points.

Le Canada entendu
Le lobby des assureurs canadiens a pour sa part progressé. L’industrie s’inquiétait de ce le projet de norme IFRS 4 faisait table rase de sa méthode actuarielle. Parmi les plus virulents détracteurs de l’IFRS 4 proposé en 2010 figure le PDG de l’Industrielle Alliance, Yvon Charest.

« Sur une échelle de 1 à 10, 10 signifiant de graves problèmes, nous étions à 8 ou 9 en octobre 2010. Les quatre grandes compagnies d’assurance vie canadiennes ont fait des représentations et maintenant, tous les scénarios négatifs sont écartés. Nous en sommes donc à un 5 sur 10. C’est une amélioration », a déclaré M. Charest lors du Scotia Capital Financials Summit, tenu en septembre.

Des éléments de la méthode canadienne d’évaluation des passifs pourraient même se retrouver dans les futures normes, ajoute M. Charest, avec quelques réserves toutefois. « Mêmes si elles sont considérées comme de saines pratiques, l’IASB pourrait juger qu’il est trop difficile de les intégrer », a-t-il précisé.

Selon un récent bulletin de la firme comptable PricewaterhouseCoopers, un certain effet domino joue les trouble-fête dans les échéances. Le report d’IFRS 9 sur les instruments financiers au 1er janvier 2015 a pour effet de retarder d’autant la norme des contrats d’assurance. IFRS 9 est une autre norme dont l’adoption traine en longueur. En 2009, l’IASB s’attendait à l’adopter dès la fin de 2010.
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TEXTE 2
Extrait : L’équilibre est difficile entre une réglementation assez solide en temps de crise et assez flexible en temps normal pour permettre aux compagnies de croitre – Jonathan Simmons
Retard pour les règles de solvabilité des assureurs
Un malheur ne vient jamais seul. En plus des normes de contrats d’assurance, les assureurs canadiens devront composer avec l’incertitude des règles de capitalisation.

Les accords de Bâle III ont changé la face du monde financier. Ceux qui portent sur la solvabilité des institutions financières touchent particulièrement l’industrie de l’assurance. En vertu des accords nommés Solvabilité II (Solvency II), les assureurs devront renforcer leurs réserves selon un calendrier serré.

Au Canada, ces exigences seront mise en œuvre en 2014 et 2015, a fait savoir la firme comptable PricewaterhouseCoopers (PwC), dans un article publié en 2011. Selon une entrevue réalisée en février avec Jonathan Simmons, associé, vérification secteur assurance chez PwC, l’agenda de 2014 pourrait être repoussé en 2015.

« Au moment d’écrire notre article, l’industrie recevait des instructions pour la troisième étude d’impact quantitatif (EQI 3), soit un an en retard de ce qui était prévu », rappelle M. Simmons.
Le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) doit bientôt imposer d’autres de ces tests aux assureurs. « EQI 3 a été le premier à inclure un test complet de tous les risques d’assurance, dit l’associé de PwC. Il entrainera selon lui des raffinements étant donné la profondeur des risques traités.

« Dans la prochaine étape, [le BSIF] testera le risque d’exploitation, analysera les résultats globaux de tous les risques et ajustera probablement le calibre, explique M. Simmons. Étant donné les tests qui restent à faire, la période planifiée pour le calcul des exigences actuelles et futures, ainsi que l’interaction avec le projet IASB/FASB des contrats d’assurance, il est très plausible que l’application soit repoussée en 2015. »

M. Simmons ajoute qu’il ne faut pas s’attendre à une solution miracle de la part de Solvabilité II. Le problème de la dette européenne démontre selon lui à quel point il est difficile de se protéger contre les risques systémiques. « L’équilibre est difficile entre une réglementation assez solide en temps de crise et assez flexible en temps normal pour permettre aux compagnies de croître », dit M. Simmons.

Solutions préventives
Selon le courtier en réassurance américain Guy Carpenter, les assureurs de dommages pourront mitiger l’impact de Solvabilité II en réduisant leur niveau de risque. Ils pourront le faire en réajustant leur niveau de réassurance proportionnel et non proportionnel.

Guy Carpenter rapporte des estimations selon lesquelles Solvency II pourrait faire augmenter la demande en réassurance en Europe de 10 % à 20 %. Celle-ci sera principalement stimulée par les petits joueurs de niches faiblement capitalisés et peu diversifiés géographiquement.
Le courtier en réassurance évoque d’autres stratégies de réductions des risques, telles la diversification et la protection contre les risques extrêmes grâce à une couverture de réassurance non proportionnelle faite sur mesure.

Il souligne aussil’utilité des obligations « catastrophe » (catastrophe bond). Populaire chez les assureurs vie, la couverture des risques de marché peut aussi servir la cause des assureurs de dommages, rappelle en outre Guy Carpenter.

Les assureurs de personnes et de dommages devront mieux se préparer aux risques opérationnel, de crédit, de marché et de souscription, souligne de son côté PwC.

La firme s’attend par ailleurs à ce que la réglementation sur les fonds propres des assureurs et des banques converge davantage. Un cadre de supervision commun régira les multinationales d’assurance.
Sondés en 2011, les clients de PwC s’attendent à ce que les exigences de supervision de Solvabilité II soient élevées. Elles rendront la vie difficile aux assureurs de plus petite taille. Selon certaines, le coût imputé aux titulaires de polices augmentera.

Il y aura toutefois des avantages, reconnaissent les clients sondés. L’industrie profitera d’une plateforme commune et d’un système de pointe en gestion du risque d’entreprise. La documentation exigée entraînera plus de transparence.
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ENCADRÉ 1
Plusieurs normes amendées
(HR) Une fois adoptées, les IFRS ne sont pas immuables. Certaines des normes ont été amendées depuis leur implantation du 1er janvier 2011.

Le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) a avisé les institutions financières de ne pas adopter certaines IFRS avant leur mise en vigueur prescrite par l’International Accounting Standards Board (IASB).

L’IASB a en fait amendé IFRS 10 (résultats financiers consolidés), IFRS 11 (arrangements conjoints), IFRS 12 (divulgation d’intérêts dans une autre entité), IFRS 13 (évaluation de la juste valeur), IAS 19 (avantages sociaux); IAS 27 (résultats financiers séparés) et IAS 28 (investissement dans des entités associés ou « joint venture »).

Ces normes entreront en vigueur le 1er janvier 2013. L’avertissement du BSIF vise aussi la norme IAS 1 sur la présentation des éléments d’autres revenus étendus. Elle entre en vigueur le 1er juillet.

D’autres font l’objet d’une transition. Dans ses résultats financiers du 3e trimestre 2011, l’Industrielle Alliance avait indiqué que la transition aux IFRS actuelles devrait être terminée d’ici au 31 décembre 2012. À l’inverse des normes à venir, les normes actuelles ne dérangent pas les assureurs.

De son côté, le Conseil canadien des normes comptables (CNC) a accueilli avec réserve les améliorations apportées aux NIIF en juin dernier et présentées par l’IASB dans un autre exposé-sondage. « Nous sommes d’accord avec les amendements aux NIIF proposés dans l’exposé-sondage. Toutefois, nous pensons que des révisions sont nécessaires pour clarifier les propositions et prendre en charge les problèmes soulevés dans l’exposé-sondage », a écrit à l’IASB le président du CNC, Gordon Fowler.

Le BSIF a aussi publié une nouvelle version des lignes directrices sur les normes de fonds propres.

Ottawa a révisé les chapitres 6 et 8 de la ligne A-1, et le chapitre 5 de la ligne A. Ces modifications entraient en vigueur au premier trimestre. Elles font suite à l’application des premières IFRS au Canada.

Les modifications reflètent les directives énoncées lors du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (Bâle II), explique le BSIF.