Les ventes de feu n’ont pas la cote dans le marché des clientèles d’assurance et de produits d’investissement. Une transition préparée de longue date continue d’être un atout majeur pour le vendeur.« C’est écrit dans le ciel », avertit Bob Labrecque, directeur de la planification de la relève pour le réseau des conseillers indépendants à la Financière Manuvie. Devant le peu de nouveaux conseillers à entrer dans l’industrie, le nombre de vendeurs pourrait bien supplanter le nombre d’acheteurs. Il incite les conseillers à penser plutôt tôt que tard à la façon dont ils transféreront leur bloc d’affaires à la relève.

Pour M. Labrecque, préparer minutieusement une vente de clientèle est une question de gros bon sens. Peu de gens mettraient leur maison en vente avant de faire faire les réparations qui s’imposent et de lui donner une couche de peinture, illustre-t-il. Les conseillers désireux de se démarquer lors de la vente de leur clientèle, et espérer obtenir le meilleur prix, doivent se préparer dans le même esprit.

« D’ici cinq à dix ans, le marché devant lequel ils se retrouveront pourrait fort bien avoir changé considérablement. De toute évidence, vous constaterez une pression à la baisse sur les prix auxquels s’échangent les clientèles. »

« Ne prenez donc pas la préparation à la légère », insiste Bob Labrecque. Il recommande aux conseillers de prendre le temps de rédiger un véritable programme de transition. Un tel programme détaillera les rôles et responsabilités de chacune des parties à la transaction.

Il présentera les divers segments de clientèle en place ainsi que le processus de communication à suivre durant la transition entre les deux propriétaires. Par exemple, sait-on où, quand et comment on présentera le nouveau conseiller aux clients? « Plus le conseiller consacrera de temps à sa transition, mieux elle se passera », assure-t-il.

Une bonne organisation des dossiers tient également une place importante dans la préparation d’une vente de clientèle. Alain Descheneaux, directeur franchisé du Centre financier SFL Maisonneuve, est formel : « Le représentant dont les dossiers sont informatisés obtiendra une valeur bien plus importante pour son portefeuille ».

Selon lui, le conseiller bien avisé devrait commencer à planifier sa relève cinq ans avant le moment prévu pour un transfert de clientèle. Cela facilite la continuité du service au moment du transfert. Mais ce n’est pas un secret, ajoute-t-il. « C’est ainsi dans n’importe quelle industrie. »

L’informatisation, poursuit-il, permet de mieux catégoriser les clients et d’avoir un aperçu de leur dossier. « Par exemple, l’informatisation des portefeuilles des clients en fonds d’investissement est cruciale dans une clientèle où les produits proviennent de plusieurs fournisseurs », précise M. Descheneaux.

Financement

De plus, un bon plan de transition tiendra compte des sources de financement disponibles. Dans le guide de Manuvie sur les demandes de prêt en vue d’une acquisition d’entreprise (clientèle), on invite les conseillers à répondre précisément à ces deux questions.

Depuis 1999, la Banque Manuvie propose des prêts applicables à une acquisition de clientèle. Il s’agit d’un programme en vertu duquel les conseillers détenant un contrat de distribution avec Manuvie peuvent obtenir un prêt de 100 000 $ à 1 000 000 $ à un taux variable supérieur de 2 % au taux préférentiel, amorti sur une période maximale de sept ans.

L’assureur a fixé le financement maximal à 75 %, mais celui-ci peut passer à 100 % si l’ensemble de la clientèle du conseiller est liée à des produits de Manuvie. Les remboursements anticipés ne font pas l’objet de pénalité.

Pour être admissible, le conseiller doit habituellement présenter ses états financiers des trois dernières années, ainsi que des prévisions financières traitant des revenus, dépenses et recettes attendus au cours des trois années à venir.

M. Labrecque explique qu’il joue un peu le rôle de gardien du programme : il s’assure que les conseillers respectent bien les conditions d’admissibilité, mais ce qui suit reste du ressort du conseiller et du prêteur.

Selon lui, le recours à la Banque Manuvie pour ce genre de transaction a l’avantage, notamment, de faire intervenir quelqu’un « qui comprend notre industrie » et qui tient compte de la valeur des commissions de renouvellement au moment de l’évaluation du prêt une chose que, selon ce qu’il a entendu dire, les banques traditionnelles hésitent parfois à faire.

D’autres réseaux fonctionnent de manière plus discrétionnaire en matière de financement d’achat vente. Parmi eux, Alain Descheneaux achète des segments de clientèles à des conseillers qui veulent rationaliser leur clientèle. C’est le Centre financier SFL Maisonneuve qui finance ces achats.

« Nous incitons d’ailleurs nos conseillers à segmenter leur clientèle », indique M. Descheneaux. Selon lui, il y a fort à parier qu’un conseiller avec mille clients et qui n’a pas d’équipe passe ses journées à faire des changements d’adresse et d’autres tâches administratives plutôt qu’à vendre. S’il peut se départir de quelques centaines de clients, il aura plus de temps à consacrer à ceux qui restent, et ainsi produire de nouvelles affaires.

Steven Ross, vice-président exécutif à La Capitale Assurances MFQ, vante pour sa part les mérites d’un programme où il garantit aux conseillers de son réseau de carrière qu’il rachètera leur clientèle. « Nous finançons le transfert de clientèle en garantissant une valeur minimale qui équivaut à deux fois les commissions de renouvellement », révèle M. Ross. La Capitale peut toutefois offrir un prix plus élevé, selon les caractéristiques de la clientèle.

Cette garantie, explique-t-il, s’adresse aux conseillers qui ne trouvent pas preneur pour leur clientèle ou qui ne veulent pas se casser la tête à chercher un acheteur.

L’assureur de Québec financera d’office, en tout ou en partie, les transactions à l’interne et permettra au conseiller acquéreur d’étaler ses paiements sur cinq ans. Aussi, le vendeur peut vendre uniquement certains segments de sa clientèle et demeurer actif auprès des clients qu’il conserve. Il allège ainsi sa charge de travail.

Par ce programme, La Capitale veut se prémunir contre l’exode de ses agents de carrière vers d’autres réseaux ou vers la retraite. « Si je garde 30 conseillers à mi-temps, c’est comme s’il y en avait quinze qui restaient. » La Capitale, qui a gagné 25 nouveaux conseillers dans son réseau de carrière entre 2005 et 2006, nourrit le même objectif pour 2007, révèle Steven Ross.

Plusieurs cabinets indépendants ont aussi leur propre programme. Parmi eux, le cabinet de services financiers indépendant Braley Winton Groupe Financier offre pour sa part d’acheter des clientèles à l’externe, tant au Québec qu’en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique.

« Nous achetons la clientèle et le conseiller demeure au service de celle-ci pour une période plus ou moins longue selon ses objectifs », explique le directeur de Braley Winton Groupe Financier, Rino Marcone. Le Groupe recherche en fait deux types de conseillers vendeurs : les plus jeunes qui veulent rester en affaires plusieurs années et se concentrer sur la vente plutôt que les opérations quotidiennes, et les plus âgés qui souhaitent effectuer une transition en douceur vers la retraite.

Braley Winton achète tant des clientèles d’assurance vie que de fonds d’investissement et offre aux conseillers de partager moitié-moitié les revenus futurs du bloc d’affaires.

Demande d’approbation

En plus d’obtenir qu’une banque ou un autre prêteur lui consente un prêt, le conseiller peut également avoir à se soucier d’obtenir que son fournisseur autorise la transaction. Neil Skelding, président et chef de la direction de RBC Assurances, affirme que les assureurs ont effectivement un rôle à jouer lorsqu’une clientèle change de conseiller.

Par le passé, l’acheteur et le vendeur étaient généralement des agents de carrière au sein de la même compagnie d’assurance. La transmission de la clientèle, souvent au sein de la même succursale, se faisait assez simplement.

Or, la croissance du réseau de distribution indépendant a quelque peu compliqué les choses, signale M. Skelding. « Comme nous payons des commissions, nous constituons une des parties intéressées dans l’affaire et nous devons vérifier où la clientèle s’en va. Nous pourrions ne pas vouloir de certains conseillers », explique-t-il.

C’est que si une clientèle recèle un problème en regard des pratiques contractuelles de la compagnie ou des dispositions réglementaires en vigueur dans la juridiction où a lieu le transfert, cela peut l’entraver, voire l’empêcher. Jusqu’à présent, cependant, M. Skelding ne signale aucun cas où une intervention de RBC Assurances aura été nécessaire en ce sens.