La négociation des renouvellements de traités de réassurance des assureurs en 2010 se fera au cas par cas, puisque le Canada a subi plusieurs catastrophes naturelles en 2009 qui ont affecté certains assureurs plus que d'autres. Les tarifs devraient rester stables, mais les assureurs ayant subi des sinistres importants pourraient subir des hausses plus marquées.C'est ce qu'ont confié les principaux acteurs du marché de la réassurance canadienne au Journal de l'assurance en vue de la période des renouvellements de traités de réassurance 2010.

Le Canada a subi plusieurs sinistres majeurs en 2009, particulièrement en août. Une tempête composée de forts vents et de forte pluie a balayé le nord de l'Alberta le 1er août, notamment à Edmonton. L'événement a reçu peu d'attention, mais les assureurs ont maintenant rapportés des dommages dépassant 500 millions de dollars (M$). Il s'agit de la deuxième catastrophe la plus couteuse de l'histoire canadienne après la crise du verglas de 1998.

Par la suite, la région de Hamilton a subi des inondations à la mi-août, suivies par des tornades qui ont frappé le nord de Toronto. Ces trois événements mis ensemble représentent des dommages dépassant le milliard de dollars (G$). Ils auront donc un impact sur la période de renouvellement des traités de réassurance. Toutefois, cet impact sera probablement amoindri par le fait qu'il y a eu peu de catastrophes naturelles ailleurs dans le monde.

Pour François Dagneau, premier vice-président et responsable des opérations au Québec d'AON Benfield Analytics, les traités de réassurance qui ont été touchés par des sinistres en 2009 verront leur tarification subir une hausse, surtout si la portion couverte par le traité a été touché plus d'une fois.

« Pour les tranches qui n'ont pas été touchées, on s'attend à une tarification identique. Il y a des facteurs qui poussent à la baisse, tels les résultats mondiaux. Il y a aussi des facteurs qui poussent un peu à la hausse, comme la nouvelle version de modélisation de catastrophes de Risk Management Solutions (RMS). Elle augmente de façon importante, de 30 à 40 %, les estimés de pertes maximales anticipées pour la côte Ouest. Si les gens achètent beaucoup plus de limites, la demande augmentant, ça peut avoir un impact sur le prix. On ne s'attend toutefois pas à des fluctuations importantes », dit-il.

Jean-Raymond Kingsley, vice-président et chef de la souscription de Paris Re, s'attend à des mouvements inégaux pour la négociation des traités de catastrophes en 2010. « Cette année, il y a eu une recrudescence des événements catastrophiques au Canada. Dans nos modèles, on évalue que c'est une situation sporadique. La grande question en ce moment est de voir comment joue les changements climatiques là-dedans. Il faut aussi tenir compte du changement démographique. Les gens ont tendance à s'installer dans des régions plus à risque », dit-il.

M. Kingsley rappelle toutefois que le marché de la réassurance canadienne est occupé par des réassureurs d'envergure internationale. Un événement local a ainsi moins d'impact sur les tarifs.

« C'est frustrant pour les assureurs quand un ouragan frappe Miami et qu'ils doivent payer. Toutefois, cette année, l'effet mondial pourrait avoir un effet positif pour eux. La hausse de tarifs anticipée sera amenuisée un peu par le fait qu'il n'y a pas eu de grandes catastrophes mondiales. Il pourrait y avoir des ajustements. Ce ne sera pas normal de dire à un assureur que tout le monde devra contribuer. Il faudra évaluer chaque cas en fonction de son exposition au risque », précise le chef de la souscription de Paris Re.

Revirement manqué

En 2009, Jean-Jacques Henchoz, président de Swiss Re au Canada, s'attendait à un revirement de situation pour le marché de la réassurance au Canada. Ce revirement ne s'est pas produit, les augmentations variant en moyenne entre 3 et 5 %, évaluation corroborée par les autres intervenants interrogés par le Journal de l'assurance.

Pour 2010, M. Henchoz espère que le marché de la réassurance continuera à se durcir. Toutefois, il rappelle que les réassureurs gardent un bon appétit pour les risques canadiens. Il s'attend donc à une compétitivité similaire à celle du renouvellement de janvier 2009, avec des hausses modérées pour 2010. Il ajoute toutefois que les réassureurs demeurent inquiets du manque de rentabilité des assureurs canadiens.

« C'est un problème qu'il faut régler. Il y a encore malheureusement des assureurs primaires qui sont axés sur les parts de marché plutôt que sur la qualité de leur portefeuille. Les résultats ont été relativement décevants en 2009. Cette année, ce fut le grand thème de discussions et on espère que pour 2010, il y aura plus de discipline afin que nos clients puissent produire des résultats positifs », dit-il.

Francis Blumberg, chef des activités canadiennes de Partner Re, s'attend aussi à des hausses modérées en 2010. « En biens, il y a eu une hausse des réclamations en 2009. On peut donc s'attendre à des hausses dans ce segment. Pour l'automobile et les accidents, nous espérons plus d'augmentations de tarifs pour contrer les pertes. Toutefois, ça dépendra de l'appétit des joueurs présents. Nous nous attendons aussi à ce que beaucoup de compagnies d'assurance achètent plus de couverture de catastrophe en 2010. Les taux en catastrophe devrait donc se maintenir », résume-t-il.

Les assureurs interrogés par le Journal de l'assurance disent ne pas s'attendre à subir de hausses quant au renouvellement de leurs traités en 2010.

Gilles Roy, premier vice-président réassurance et gestion de risques d'Intact Corporation financière, souligne que son entreprise a subi une légère hausse quant à la tarification de ses traités de réassurance en 2009. Pour 2010, il entrevoit une légère baisse ou un statu quo.

« La situation des réassureurs s'est rapidement replacée. D'autre part, il n'y a pas eu de grands sinistres réassurés au niveau mondial. Autant l'an dernier les astres étaient alignés pour des hausses, autant ils le sont cette année pour qu'on puisse connaitre une certaine baisse de tarification et au pire le statu quo. On n'acceptera probablement pas de hausses. Je ne vois pas les justifications que les réassureurs avanceraient. D'ailleurs, les discussions que nous avons avec eux ne pointent pas dans cette direction. La tarification est un des aspects à considérer. Il ne faut pas oublier les autres, comme les réserves financières ou les capacités de chaque joueur. Ça peut changer à chaque année et il s'agit de voir quel niveau de confort les réassureurs ont vis-à-vis le marché canadien », dit-il.

M. Roy remarque toutefois que les réassureurs portent davantage attention aux éléments fondamentaux de l'assurance. « Ils font un bien meilleur travail de distinction entre les assureurs. Une attention est portée à ceux qui se démarquent. Une catastrophe à Singapour ou une tempête de vent en Belgique peuvent encore nous affecter. C'est à nous de bien expliquer nos enjeux et les risques qui nous concernent. Il y a une plus grande écoute à cet effet. Les réassureurs tiennent aussi en compte qu'ils peuvent se diversifier ici. Ils évaluent aussi la manière dont on gère nos risques et comment on affronte le changement climatique », dit-il.

Pour Luc de Lignières, vice-président principal actuariat et réassurance d'AXA Canada, la principale nouveauté du contexte de négociation des traités en 2010 est la hausse des catastrophes au Canada. Il ne s'attend toutefois pas à subir de hausses pour ses traités, puisque AXA n'est pas concentrée dans les régions qui ont été touchées en 2009.

Les couts vont varier selon la part de marché de chacun dans les régions touchées. Il y aura des discussions sur la partie qui va être cédée aux réassureurs et l'impact que ça peut avoir sur les prix de réassurance. Il y a des assureurs qui sont plus présents au Québec, province peu impactée en 2009 à ce jour, et qui le sont moins ailleurs au Canada. Ils seront donc moins affectés. D'autres sont très bien implantés hors Québec et seront plus touchés ».

Yves Boissonneault-Francoeur, directeur principal réassurance et systèmes d'information de gestion d'AXA Canada, souligne que le marché canadien de la réassurance est très compétitif en termes de nombre de réassureurs. AXA sera donc très attentive quant à son choix de réassureurs.

« Le fait qu'il y ait une bonne offre de réassurance au Canada a tempéré l'ardeur des réassureurs. On regarde beaucoup la qualité des réassureurs avec qui on fait affaires. Il y a des critères à respecter. Il n'y a toutefois pas beaucoup de réassureurs en 2009 qui ont été retirés de nos listes ».

Les deux dirigeants d'AXA croient ainsi que la négociation sera très locale. « Certains réassureurs tentent de faire passer des directives d'application mondiale. On se rend toutefois compte que ça peut les sortir du marché canadien », ajoute M. Boissonneault-Francoeur.

Automobile

Un segment sera à surveiller lors du renouvellement 2010, affirme Jean-Raymond Kingsley, chef de la souscription de Paris Re, soit l'automobile.

« La hausse des traités en automobile a été inégale en 2009. Les assureurs qui étaient concentrés en auto en Ontario ont été touchés par des hausses. Plus ils étaient concentrés en Ontario et plus la hausse était forte. Ça va d'une fourchette de 5 % à 20 %. On a même eu un traité où la hausse était beaucoup plus substantielle », révèle-t-il.

M. Kingsley s'attend aussi à ce que les hausses soient modulées selon chaque assureur, en ligne avec leur concentration en Ontario et en Alberta, et selon ce qu'ils ont apporté comme correctifs. « Ont-ils fait leurs devoirs ou non par rapport à leurs augmentations de tarifs ? Plus ils l'auront fait et moins on aura à le faire. S'ils n'ont pas fait de correctifs, on arrivera avec des augmentations de tarifs plus substantielles », dit-il.

Le chef de la souscription de Paris Re aura aussi à l'œil le marché des biens, qui a subi certains sinistres majeurs en 2009. Il note à cet effet les dommages subis par une usine de crème glacée de la compagnie Chapman's en Ontario et ceux d'une usine d'acier de la compagnie Algoma, aussi en Ontario. Dans les deux cas, les dommages avoisinaient 100 M$. La sous-assurance est aussi un problème dans ce segment, dit-il.

Cautionnement

Le marché du cautionnement sera aussi sous surveillance. L'annonce de Swiss Re de réduire sa capacité dans ce marché pourrait avoir des impacts.

« C'est un segment qui est toujours fortement lié à l'économie, dit Jean-Raymond Kingsley. Ce qui est positif pour le marché canadien, c'est que les gouvernements ont investi massivement dans les infrastructures, ce qui devrait beaucoup amenuiser l'effet négatif de la récession en matière de cautionnement. Une question d'offre et de demande va aussi jouer dans la balance, vu l'annonce de Swiss Re de réduire sa capacité dans ce secteur. L'injonction massive d'argent fait que les entrepreneurs en construction continuent à avoir du travail et des contrats à remplir. C'est solide de ce côté. De plus, quand c'est un contrat accordé par le gouvernement, il y a peu de chances que le gouvernement ne paie pas. C'est toutefois un secteur d'affaires qui demeure préoccupant vu la récession. »

À cet effet, Jean-Jacques Henchoz, explique que le siège social de Swiss Re a décidé de réduire son exposition en cautionnement compte tenu des perspectives peu favorables dans ce secteur à travers le monde. « Notre présence sera plus faible en 2010. Ça vaut pour le Canada. Nous sommes en discussions avec nos clients pour essayer de trouver des solutions qui leur permettraient une certaine continuité. Nous restons un acteur de ce marché, mais nous serons un peu plus petits », dit le président de Swiss Re au Canada.

Inflation

À long terme, un danger guette les réassureurs, dit M. Henchoz. Ces derniers doivent garder un œil attentif sur les tendances inflationnistes, qui ont un grave impact sur le marché de la responsabilité civile.

« On a toujours une certaine appréhension sur ce que l'inflation pourrait avoir comme impact sur un certain sinistre que nous aurons à payer en responsabilité dans cinq, dix ou quinze ans. C'est un thème de discussions qui n'est pas au centre des débats, mais qui devra être discuté avec nos clients. Les prix actuels du marché font un petit peu abstraction du risque de renchérissement des sinistres dus aux tendances inflationnistes. C'est un problème qui va rester à l'agenda ces prochaines années », dit-il.