M’étant impliqué lors de la révision de la loi sur la distribution des produits et services financiers, communément appelée Loi 188, et en tant qu’ancien président de l’AIAPQ, je me permets aujourd’hui de livrer un nouveau plaidoyer envers notre profession. Une profession de conseils et d’accompagnement pour nos clients.

En juin 2015, le ministre Carlos Leitão et son sous-ministre Richard Boivin ont lancé une consultation sur la modernisation de cette dite Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF). En moins de 12 semaines, en plein été, ils ont demandé ce que l’industrie en pensait et ce, sans jamais évoquer qu’avec ce projet de loi, on ferait disparaître la Chambre de Sécurité Financière (CSF).

Sans avertissement, en pleine commission des finances publiques au début du mois de mai 2017, le ministre a annoncé qu’il allait éliminer notre organisme professionnel avant même le dépôt du projet de loi prévu d’ici le 16 juin prochain.

L’AMF, Desjardins et les grandes banques dictent les réponses à Carlos Leitão ?

Le ministre des Finances du Québec travaille sur la révision de la LDPSF depuis plus de deux ans. On sait tous que ce projet de loi a fait l’objet d’intenses pressions de la part de grands groupes de type bancaires (comme Desjardins). Ces derniers y voient l’occasion de diminuer les règles, de faire des économies d’échelle et de leur faciliter la vie. Ce que prépare l’équipe de M. Leitão, en étroite collaboration avec l’AMF, est une attaque contre notre professionnalisme tout en éloignant la protection des consommateurs d’un organisme de proximité comme la Chambre. Comme nous le savons maintenant, ce fameux projet de loi prévoit la disparition de la Chambre de la sécurité financière pour faire toute la place à l’AMF.

Il semble bien que l’idée de faire disparaître la Chambre a été décidée dans notre dos depuis le début ! Pourquoi ?On veut faciliter la vente d’assurance par internet, ou la vente d’assurance sans conseiller ? Des suggestions qui apparaissent d’ailleurs dans le mémoire de Desjardins.

La CSF est un organisme unique au Canada qui fonctionne pratiquement comme un ordre professionnel, qui est la première ligne de surveillance pour nous débarrasser des « Carole Morinville » et autres conseillers pervers de ce monde et qui soutient, notre statut de professionnel.

Le lobby des institutions de dépôt

Depuis des décennies, les institutions de dépôt font des pressions sur les gouvernements pour «uniformiser» les règlements et les organismes d’encadrement en invoquant régulièrement comme raison les coûts exorbitants pour le maintien d’une réglementation différente dans les différentes provinces. Comme le ministre Leitão est un ancien banquier, il semble prêter une oreille très attentive à ces demandes au risque de créer un déséquilibre de concurrence en défaveur des plus petits joueurs du marché et des indépendants.

Dans son mémoire sur la révision de la Loi, les dirigeants de Desjardins ont été les premiers à réclamer que les responsabilités de la CSF soient «transférées» à l’AMF pour en faire un guichet unique. Ils ont donné comme raison que la CSF leur coûte trop cher et qu’elle complique le cours de leurs affaires dans le reste du pays.

On sait aujourd’hui que, pendant des années, les banques ont caché les informations concernant leurs conseillers fautifs, empêchant la CSF de mener ses enquêtes. Les banques prétextaient être sous juridiction fédérales et donc qu’elles n’avaient pas à répondre à un organisme provincial. Elles avaient instauré un stratagème déloyal pour se soustraire du processus réglementaire québécois.

L’AMF se dit être prête à devenir le « guichet unique »

La conséquence de ces tactiques est que des conseillers délinquants congédiés par leur employeur bancaire allaient poursuivre incognito leurs méfaits ailleurs, auprès d’autres institutions, sans être punis ou même inquiétés, au grand dam de la protection du public.

En 2009, la CSF a décidé que cela avait assez duré, et elle a poursuivi la banque CIBC sur cette question. Cela a pris six ans mais la cause a fait jurisprudence. La CSF a gagné et le juge Louis Lacoursière a confirmé la mission étatique de protection du public de la CSF. Dans son jugement, le juge a dit que la mission de la Chambre était comme celle des ordres professionnels. Pendant les six années des procédures, 33 dossiers provenant de banques étaient bloqués au bureau d’enquêtes de la CSF. Ce qui n’est facilement pas si étonnant, lorsqu’on voit ce qui s’est passé récemment en Ontario avec les conseillers sous pression dans les banques pour vendre des cartes de crédit et autres «produits» financiers !

Même si l’AMF se dit être prête à devenir le «guichet unique», comme l’a mentionné Louis Morisset à la Commission des finances publiques devant les parlementaires de l’Assemblée nationale au début de mai, il est certain que l’AMF ne se substituera pas à un ordre, elle n’en a pas l’infrastructure et n’en a probablement pas l’intention non plus. On réalise aussi assez souvent que l’AMF met en doute notre rôle de conseillers indépendants.  On nous fait toujours porter un chapeau de « conflits d’intérêts ». Ne sommes-nous que de simples représentants pour l’AMF ? Vivrons-nous un retour en arrière de 30 ans ?

De plus, depuis 2011, avec la modification de l’article 115 de la LDPSF, l’AMF possède tous les outils nécessaires pour traduire les conseillers directement devant le Bureau de décision et de révision (BDR). Et le BDR a déjà commencé. Il traduit des conseillers en discipline car il peut «radier ou révoquer, suspendre ou assortir de restrictions ou de conditions» l’inscription d’un cabinet et/ou d’un représentant si ceux-ci ont contrevenu ou aidé quelqu’un à contrevenir à la loi.

Le nouvel outil de l’AMF

Pour encourager la délation, la loi prévoit aussi qu’une personne qui dénonce un manquement à une loi administrée par l’AMF n’encourt «aucune responsabilité civile de ce fait». Si vous n’avez pas commis de faute, mais êtes plutôt victime de dénonciation abusive de la part d’un concurrent ou d’un ex-employeur, vous pourriez voir votre permis suspendu sur-le-champ et devoir vous arranger avec votre avocat pendant des mois avant de pouvoir pratiquer de nouveau. Nous nous retrouverions dans un régime de surveillance quasi totalitaire

Ce type de tribunal est soumis à l’arbitraire, comme le mentionnait le rapport de plus de 300 pages « La justice administrative : entre indépendance et responsabilité, Jalons pour la création d'un régime commun des décideurs administratifs indépendants » cosigné par quatre juristes de l'Université de Montréal et de l'Université Laval : Pierre Noreau, France Houle, Martine Valois et Pierre Issalys.

La Conférence des juges administratifs a aussi dit : « Cette «absence complète de règles» est «inconciliable» avec l'indépendance requise. Pour se protéger de «l'ingérence politique et du favoritisme», elle réclamait une réforme «urgente».

Voilà à quoi ressemblera le BDR qui s’appelle maintenant le tribunal administratif des marchés financiers ! Le nouvel outil de l’AMF.

Il s’agirait de la perte d’un acquis majeur pour le professionnalisme des conseillers. Ça ne sera plus possible de se présenter devant le comité de discipline, de faire valoir ses arguments et d’obtenir l’arbitrage équitable de ses pairs qui connaissent quand même mieux le travail sur le terrain que des fonctionnaires n’ayant jamais pratiqué.

Le résultat serait catastrophique pour la profession et pour la relève. Quel jeune diplômé voudra venir dans une industrie policée par des fonctionnaires ?

Accueil des lobbyistes de tous les groupes financiers

Un autre fait, souvent méconnu est que l’AMF reçoit tous les lobbyistes inscrits au registre. L’Autorité accueille donc les lobbyistes de tous les groupes financiers. On sait d’après le registre que, dans la dernière année, ces personnes bien connues ont exercé un lobby auprès du ministère des Finances et de l’AMF : l’ancien PDG de l’AMF, Jean St-Gelais, figure dans la liste des quelques 36 personnes inscrites au registre des lobbyistes pour le compte de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP). M. St-Gelais est aujourd’hui président du conseil et chef de la direction de La Capitale assurance et services financiers. Pareillement apparaît Yvan-Pierre Grimard, Directeur aux relations gouvernementales au mouvement Desjardins. À l’AMF, Yves Morency, ancien vice-président Relations gouvernementales du Mouvement Desjardins et ancien lobbyiste est aujourd’hui membre du conseil consultatif de régie administrative de l’AMF. Il s’est d’ailleurs aussi vigoureusement opposé au projet de l’IQPF de se constituer en ordre professionnel.

En comparaison, la porte de la CSF est complètement fermée, à l’abri des lobbyistes de tout acabit, donc parfaitement indépendante et transparente.

Rencontré au Colloque Finance le 17 mai, le directeur de Fair Canada au Québec, Robert Pouliot, nous a dit que la disparition de la CSF pourrait gravement bouleverser l’échiquier réglementaire au Québec : « La Chambre de sécurité financière est un outil avant tout de proximité réglementaire. (…) La CSF exerce une influence positive sur les représentants individuels. À mon humble avis, l'AMF est devenu un organisme trop lourd et trop bureaucratique pour traiter efficacement avec les milliers de petits représentants. »

Des raisons invoquées complètement indéfendables

Enfin, les raisons invoquées par le ministre Leitão et de Louis Morisset pour aller de l’avant avec le projet de loi sur la LDPSF sont complètement indéfendables. En premier lieu, le ministre a avoué à la commission des finances publiques au député Nicolas Marceau que le projet de régulateur national du fédéral est nuisible pour le Québec et qu’il faut grossir l’AMF pour enlever des arguments au ministre Bill Morneau et pour permettre au Québec de conserver son influence nationale dans ce domaine… Serions-nous simplement les victimes d’une querelle fédérale-provinciale ? Ce ne serait pas la première fois.

L’urgence de passer ce projet de loi omnibus n’a pas non plus rien à voir avec la visite prochaine du FMI et des risques systémiques que Desjardins pourrait faire courir aux marchés. C’est plutôt le gouvernement provincial qui veut se montrer incontournable en matière de réglementation du secteur financier et en profiter pour acquiescer aux demandes des grands groupes financiers tout en noyant la question de la protection du public et du professionnalisme des conseillers. D’ailleurs, s’il y a une chose sur laquelle l’AMF et Desjardins semblent s’entendre parfaitement, c’est de s’assurer que le professionnalisme des conseillers disparaisse au Québec.

Pour les premiers, ça leur permet de policer plus facilement des « vendeurs » ; de l’autre, ça enlève les obstacles pour mener à bien une grosse business comme dans le reste du Canada.

La majorité des professionnels de l’industrie aujourd’hui se demandent pourquoi le ministre Leitão veux revenir 30 ans en arrière avec son projet de loi qui étouffera toutes ces questions ?

De mon côté, je veux que mon statut de professionnel et « d’aidant financier » cesse d’être mis en doute par l’AMF et les autres instances canadiennes. Nous méritons le respect et il est primordial de conserver une Chambre, peut-être un peu renouvelée mais de grâce, Monsieur le Ministre, cesser de favoriser les grandes institutions financières qui veulent tout contrôler et surtout voir disparaître les conseillers indépendants de l’échiquier financier. Je défends cette profession depuis près de 40 ans et j’espère qu’il existera encore une flore de professionnels indépendants, pouvant conseiller les clients de façon indépendante.

 

Guy Duhaime  A.V.C. Planificateur Financier

Président du Groupe Financier  Multi Courtage