Les Québécois mesurent mal l’importance du secteur financier pour l’économie de la province. C’est d’ailleurs pour mieux jouer à armes égales avec les autres provinces, et éventuellement avec le reste de la planète, que Jean St-Gelais croit à l’harmonisation des règles du secteur financier au Canada.Le PDG de l’Autorité des marchés financiers estime que les Québécois ne réalisent pas tous les avantages qui sont liés à avoir une industrie financière forte au Québec. « La société en général au Québec mesure mal l’importance du secteur financier. Comparé à l’Ontario, on juge mal combien il est primordial d’avoir des institutions financières bien implantées sur son territoire et qui sont capables de financer des projets rapidement. Il est essentiel d’avoir des gens qui ont des salaires élevés, qui ont des réseaux de contact et qui sont capables de régler des problèmes juste par un coup de fil. Pour une économie, c’est extrêmement important », affirme-t-il.

M. St-Gelais croit énormément à l’harmonisation des règles au Canada. Il pense que le Québec en tirera profit à long terme. « Avant d’être mondial, il faut être québécois et canadien. On devrait œuvrer dans l’univers pancanadien et jouer sur la même patinoire, avec les mêmes règles. Je suis sûr qu’on est aussi bon, sinon meilleur, que dans le reste du Canada», fait-il remarquer.

« Avec la mondialisation, ça nous a rattrapés. Pour être efficaces, on doit être les mêmes. Les règles américaines nous influencent et elles le feront de plus en plus. Ça sera vrai à travers le monde. Les Américains doivent se préoccuper de ce qui se passe en Asie. Même chose en Europe. Tout le monde doit s’occuper de tout le monde. Nous aussi au premier chef », rappelle-t-il.

Il dit croire que la mondialisation aidera à favoriser l’harmonisation des règles. Il souligne que le secteur des valeurs mobilières au Québec est passé à travers un tel processus et que personne n’a fermé boutique. M. St-Gelais ajoute d’ailleurs qu’il est bon qu’il y ait des commissions dans chaque province, car chaque entité conserve son droit de parole et peut ainsi adhérer à une solution commune.

Il ajoute que si le Québec veut être différent à certains égards dans sa réglementation, il faudra dire en quoi c’est mieux de l’être. « Dans bien des cas de réglementation, j’ai demandé à mon équipe pourquoi on est différent et ils ne le savent pas. Si on n’est pas en mesure de faire cette démonstration, on devrait s’harmoniser pour se développer à armes égales avec le reste du Canada », note-t-il.

M. St-Gelais se dit conscient que certains aspects de la réglementation semblent plus inquiétants, dont celui de l’encadrement du secteur de l’épargne collective au Québec. « Il y a eu beaucoup de critiques et d’inquiétudes parce qu’on voulait soi-disant avoir le Mutual Fund Dealers Association (MFDA) comme OAR au Québec. Ce qu’on a dit, c’est qu’on pense que le Québec devrait s’harmoniser avec le reste du Canada à tous les égards. Et s’il y a des éléments qui font plus problème, on prendra le temps pour en discuter et pour rassurer tout le monde », dit-il.

Le PDG de l’Autorité dit cependant toujours penser que le MFDA et la Chambre de la sécurité financière (CSF) pourraient en venir à une forme d’alliance, qui ferait que le Québec serait harmonisé au reste du Canada. « Une telle alliance permettrait que des décisions soient prises au Québec par des gens décisionnels qui sont à Montréal», dit-il.

La critique

M. St-Gelais déplore aussi que les Québécois remettent continuellement en cause le mandat de l’Autorité. « Lorsque les organismes de réglementation en Ontario ont besoin de faire une modification ou un changement, les Ontariens ne remettent pas toujours en cause l’institution. Les organismes réglementaires ontariens n’ont pas toujours à répondre parce qu’il y a un problème comme Norbourg, Zénith ou Mount Real qui revient sur le tapis à chaque jour », dit-il.

Il donne en exemple le cas Portus, qui est sept fois plus gros que celui de Norbourg et dont personne à Toronto ne semble faire grand cas à son avis. « Les Ontariens en ont parlé pendant deux semaines et ensuite plus un mot. Ils attendent que ça se règle un jour devant les tribunaux. Personne ne s’en émeut. Je ne cherche pas à l’expliquer, ce sont des faits. Au Québec, à chaque jour, il y a quelqu’un qui dit qu’on aurait dû voir Norbourg arriver et qu’on aurait dû l’arrêter », souligne le PDG de l’Autorité.

M. St-Gelais dit néanmoins bien vivre avec cette réalité. « Nous sommes à l’avant-garde de la réglementation du secteur financier en général en Amérique du Nord et du Canada. Je n’ai pas de scrupules à avoir ou de reproches à faire, mais la population en général est plus critique ici. C’est un aspect de la vie au Québec et je vis bien avec cela », clame-t-il.

Meilleure communication

M. St-Gelais trouve exagéré qu’on dise qu’il y a une confrontation entre les représentants financiers et l’Autorité. Il convient qu’il y a eu des tensions et que la communication n’a pas été parfaite.

« Avec la réforme de l’inscription et la décision de hausser les cotisations au Fonds d’indemnisation des services financiers, les relations se sont envenimées. Notre rôle est de faire en sorte qu’on ait des réponses claires pour minimiser les tensions. On constate qu’il y a des choses à améliorer et on le fera. Je ne pense pas que la situation est déplorable à un point tel que tout est brisé », affirme-t-il.Le PDG de l’Autorité rappelle qu’il rencontre régulièrement les représentants de la Chambre de la sécurité financière, de la Chambre de l’assurance de dommages (ChAD) et de l’Association des courtiers en valeurs mobilières (ACCOVAM). Il a d’ailleurs rencontré les représentants du Regroupement indépendant des conseillers de l’industrie financière du Québec (RICIFQ) récemment.

«Les gens du RICIFQ m’ont dit qu’ils étaient inquiets pour l’avenir des conseillers indépendants. Je suis sensible à ça. Nous sommes prêts à travailler avec eux pour mettre en place des mesures qui feront en sorte qu’ils vont continuer à se développer », soutient-il.

Pour protéger les représentants indépendants, il souligne que l’Autorité peut modifier ses réformes pour que les exigences soient adaptées à la taille de l’entreprise. « Les gros cabinets ont des moyens importants et peuvent mettre en place des régimes de conformité. On ne demandera pas à quelqu’un qui est seul chez lui d’engager une personne pour le vérifier lui-même», spécifie M. St-Gelais.

Éviter d’autres Norbourg

Même si améliorer la communication avec l’industrie est primordial pour Jean St-Gelais, sa priorité demeure de créer une institution publique solide, crédible et durable.

« Le filet pour attraper les délinquants doit être le plus serré possible. Il n’y a cependant pas de recette magique. Ça passe vraiment par la détermination de notre personnel et leur compétence. Ils doivent se remettre au travail à chaque jour et faire plus d’inspections, plus d’enquêtes et plus de poursuites. On doit lancer le message qu’on est sérieux, autant dans l’industrie que dans la population. Nous n’avons pas le droit de relâcher», constate-t-il.

« Tout ce qu’on peut faire est de créer un environnement le plus susceptible d’empêcher cela. À l’interne, j’espère que des drapeaux s’allumeront plus vite. On espère aussi que des délateurs viendront nous voir plus vite au lieu de dire après coup que tout le monde le savait. On espère donc qu’il y aura une inspection plus systématique des fonds qui sera faite », souhaite-t-il.

Pour réduire les tentatives de fraude, M. St-Gelais croit que la mise en place des comités d’examen indépendants (CEI) aidera. Il souligne d’ailleurs que plusieurs grands gérants de fonds ont appelé l’Autorité durant la crise du papier commercial pour voir s’ils devaient produire un avis de leur comité à cet effet.

« Depuis le 1er novembre, la question ne se poserait pas si un tel scénario se répétait. Tout potentiel de conflits d’intérêts doit maintenant passer par le CEI. C’est une des raisons de leur mise en place, parce qu’avant, on devait donner de nombreuses exemptions. On pense que si ces comités sont réellement indépendants, ils vont poser des questions », dit le PDG de l’Autorité.

Est-ce que tout ça va empêcher de futurs Norbourg? « On ne verra jamais un autre cas comme Norbourg, mais on verra d’autres types de fraude. On espère que Vincent Lacroix sera condamné avec des amendes sévères. Tout le monde est plus sensible à la fraude et les tribunaux vont suivre la société là où elle veut aller », conclut M. St-Gelais.