Les courtiers qui concentreront plus de 60 % de leur volume auprès d’Intact Assurance à la suite de l’achat d’AXA Canada devront le divulguer sans délai.

Le Règlement sur les renseignements à fournir au consommateur précise que la concentration se calcule sur la base des primes souscrites annualisées au 31 décembre chaque année. Or, Intact convertira les polices d’AXA le 1er janvier 2012? Les courtiers disposeront-ils d’un an de grâce? Non, répond la Chambre de l’assurance de dommages à la suite d’une vérification du Journal de l’assurance.

« Le Règlement ne dispense pas le représentant de divulguer sa concentration à ses clients dès qu’il la connait. L’esprit de la loi demeure de divulguer sa concentration à ses clients. Il ne faut pas interpréter littéralement ce règlement. L’esprit de la loi prévaut sur le Règlement », a expliqué Jannick Desforges, directrice du service des affaires institutionnelles et de la conformité des pratiques de la Chambre au Journal de l’assurance.

L’inverse pourrait aussi être constaté, dit Mme Desforges. « Un cabinet A, concentré en date du 1er janvier 2012, qui se fusionne avec un cabinet B, qui diversifie sa concentration en date du 1er février 2012, n’attendra pas au 31 décembre pour constater sa nouvelle situation. Il aura l’obligeance d’aviser ses clients aussitôt », dit-elle.

Intact et le RCCAQ s’entendent

Par ailleurs, Intact Assurance et le Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec (RCCAQ) se sont entendus sur une série de mesures pour faciliter la transition suivant l’acquisition d’AXA Canada, qui a été officialisée le 26 septembre dernier. Un accord a notamment été conclu en ce qui concerne le respect des ententes contractuelles signées par AXA avec des cabinets de courtage.

Gilles Gratton, vice-président aux communications d’Intact, a confirmé au Journal de l’assurance que l’assureur « entendait respecter à court terme les ententes financières qu’AXA avait conclues avec les courtiers ». Les hauts dirigeants d’Intact et ceux du RCCAQ se sont rencontrés à deux reprises au cours des deux derniers mois. Le Regroupement a aussi rencontré les dirigeants d’AXA à une occasion. Des dirigeants de cabinets de courtage et de bannières ont aussi été rencontrés.

Quant à la révision des ententes, elle se fera au même titre que les autres ententes signées par Intact avec des courtiers, a fait savoir Stéphan Bernatchez, président du RCCAQ. « Dans chaque cas, ils vont regarder la valeur ajoutée que ces ententes peuvent leur apporter. Ils veulent atteindre une croissance importante au cours des quatre à cinq prochaines années. Pour créer une telle synergie, il est tout à leur avantage d’amener les courtiers à faire du développement », dit-il.

Intact et le RCCAQ ont aussi pu s’entendre sur deux autres points. Le premier a trait aux communications faites aux clients dans le futur. « Nous avons convenu de proposer à chacun des courtiers le soin de décider de l’approche qui répond le mieux à leurs attentes. Ceux-ci pourront communiquer directement avec leurs clients pour les informer de la transaction ou nous laisser le soin de le faire », explique M. Gratton.

Quant aux courtiers nouvellement concentrés, le RCCAQ a obtenu l’assurance d’Intact qu’ils se verront proposer des solutions s’ils ne sont pas complètement à l’aise dans ce rôle. « Nous avons convenu de discuter avec chacun des courtiers touchés par cette question des solutions qui seraient les plus appropriées, compte tenu de leur situation et modèle d’affaires », a expliqué M. Gratton.

M. Bernatchez a aussi mentionné avoir obtenu l’assurance qu’Intact aura « une ouverture d’esprit importante à cet effet ». « Certains courtiers font des choix d’affaires dans lesquels le RCCAQ ne peut s’immiscer. Dans ce cas-ci, la concentration n’a pas été volontaire. Ces organisations ont eu plusieurs occasions de devenir des cabinets concentrés au cours des 15 dernières années. S’ils ne le sont pas encore, c’est parce qu’ils ne le veulent pas. Or, ils le deviennent par la force des choses. Nous avons néanmoins du temps pour préparer le tout », a précisé M. Bernatchez.

La valeur des cabinets à la baisse?

Le Journal de l’assurance a aussi questionné deux consultants pour voir comment les courtiers vivaient les suites de la transaction.

Michel Pronovost, qui travaille auprès de plusieurs cabinets de courtage, affirme que certains courtiers se posent des questions, surtout en ce qui a trait à la concentration de leur volume. Il voit que certains courtiers sont mal à l’aise avec les obligations de divulgation qui accompagnent la concentration de volume.

M. Pronovost croit aussi que la valeur de vente des cabinets pourrait être à la baisse à la suite de l’acquisition d’AXA par Intact. « Ce qui fait augmenter la valeur d’un cabinet, c’est la concurrence des assureurs et de la valeur qu’ils y accordent. En assurance des particuliers, les multiples servant à établir la valeur d’un cabinet ne seront pas trop affectés, car les assureurs directs sont aussi acheteurs. Les courtiers y perdent toutefois un gros financier », dit-il.

Ce sont les multiples en assurance des entreprises établissant la valeur d’un cabinet qui seront les plus touchés, croit M. Pronovost. « Les directs n’y sont pas, sauf pour les petits commerces ayant une prime ne dépassant pas 5 000 $. Intact et AXA étaient les deux gros acquéreurs de cabinets en assurance des entreprises. Est-ce que ça aura un impact? On le verra lors de la prochaine vente d’un cabinet. Je crois toutefois que ça pourrait affecter la valeur de ces cabinets à la baisse », dit-il.

Est-ce que d’autres assureurs à courtage pourraient entrer dans le bal? « La Missisquoi fait du financement sur un an et deux ans. Aviva Canada a recommencé à prendre des participations. L’Union Canadienne le fait aussi. D’ailleurs, Co-operators, qui possède L’Union Canadienne, a signifié son intention d’acquérir des cabinets pour les transformer en agence. Ça n’a toutefois pas l’ampleur de la concurrence que se livrait Intact et AXA », dit-il.

La transaction pourrait aussi avoir un autre impact, selon M. Pronovost. Est-ce qu’Intact offrira une soumission à un courtier voulant obtenir un risque déjà souscrit par un autre de ses courtiers? « La partie concurrence pourrait être difficile à gérer », dit-il.

De plus, que feront les courtiers qui ont migré d’Intact vers AXA?, questionne M. Pronovost. « Il pourrait y avoir plus de vendeurs sur le marché. Il ne faut pas oublier que plusieurs courtiers approchent de la retraite. Certains ne seront peut-être plus intéressés à continuer », dit-il.

Ne pas précipiter un transfert

Aldo Arcaro, président de Valori, souligne que des courtiers le contactent en regardant la possibilité de transférer un volume. Toutefois, il souligne qu’un grand nombre de courtiers recherchent plus à se sécuriser qu’à passer à l’action. Il dénote ainsi trois types de préoccupations : l’incertitude quant aux suites de la transaction, la concentration de volume et la frustration de perdre un autre assureur.

« Il faut voir quelle est la raison qui motive leur demande de transfert. Ils ont des questionnements en ce qui a trait aux différences d’ententes contractuelles, à la rémunération, aux capacités, au service, aux produits et à la tarification. Dans ces cas, je leur recommande de demeurer avec Intact et d’attendre les décisions avant d’agir. Je préfère leur faire considérer l’autre côté de la transaction. Il pourrait y avoir de belles occasions d’affaires pour eux. Toutefois, pour en profiter, ils doivent maintenir leur contrat en vigueur », dit-il.

Problématique?

M. Arcaro ne cache pas que l’obligation de déclarer plus de 60 % de leur volume peut être problématique pour les courtiers. « Il ne faut pas perdre de vue que ce sont des entrepreneurs qui ont bâti leur entreprise depuis de nombreuses années. Du jour au lendemain, ils doivent informer les clients de ce changement important. Ça peut être risqué, surtout en assurance des entreprises. Les gestionnaires de comptes dans les grandes entreprises sont plus suspicieux. Ça pourrait les déranger d’apprendre que leur courtier concentre son volume auprès d’un assureur. Ils pourraient se questionner à savoir si leur courtier a vraiment magasiné pour eux du fait qu’il concentre son volume », dit-il.

Redistribuer le volume

Pour pallier ce problème, M. Arcaro souligne qu’il est mieux d’éviter le transfert de volume et de réduire sous la barre des 60 % le volume concentré. Développer un programme d’assurance groupe est un moyen de le faire, dit-il. Redistribuer une partie du volume auprès d’assureurs spécialisés peut aussi être une autre option à envisager, selon M. Arcaro.

Il y a toutefois un cas où le transfert sera inévitable, croit M. Arcaro, soit lorsqu’un courtier est frustré de perdre un autre assureur. « On ne cherche pas à le raisonner. On passe à l’action. Pour certains, ils vivent une deuxième tempête depuis moins d’un an en perdant un autre assureur. Il s’agit de choisir le nouvel assureur et de négocier son contrat judicieusement afin de sécuriser son entreprise pour au moins les cinq prochaines années », dit-il. Il précise toutefois qu’il y a peu de courtiers dans cette situation.