Trouver un acheteur ou le financement d’une acquisition n’est souvent que la pointe de l’iceberg des difficultés rencontrées pour réaliser le transfert d’un cabinet IARD. L’acheteur et le vendeur doivent gérer leurs émotions tout au long du processus. Une bonne communication peut ainsi faire la différence entre une transaction qui aboutit et une autre qui échoue.C’est ce qu’ont révélé des experts en transferts d’entreprise et deux courtiers ayant vécu un transfert de cabinet lors du Congrès de l’assurance et de l’investissement 2008.

Martin Richard, président du cabinet Assurances Richard, Francoeur, ne cache pas qu’il est passé par toute la gamme des émotions lorsqu’il a dû faire face à son père pour acquérir l’entreprise familiale. Puisque son père ne l’écoutait pas, il a dû se résoudre à lui envoyer une lettre lui disant qu’il était intéressé à acheter et qu’il avait neuf mois pour « accoucher ».

« À un moment, il faut s’imposer. La lettre venait lui dire qu’il devait prendre une décision, sinon j’allais regarder ailleurs pour faire autre chose à ma manière. Quant il a reçu ça, il ne savait plus quoi faire. D’un côté, il n’avait pas prévu quitter le cabinet, mais de l’autre, il ne voulait pas perdre sa relève. S’imposer passe beaucoup par la communication et il faut passer ses émotions à l’autre personne », dit-il.

Le président d’Assurances Richard, Francoeur a aussi pu compter sur le support de son épouse, qui travaillait au sein de l’entreprise. Là encore, la communication a joué un rôle clé. Le couple avait pris le temps de s’asseoir et de mesurer leurs inquiétudes avant de se lancer.

« Avant de faire une offre à mon père, j’avais pris le temps de vérifier avec mes frères pour voir s’ils étaient intéressés à s’impliquer dans l’entreprise. Ils ne l’étaient pas. Il n’y avait pas de problèmes de ce côté. Ce fut plus difficile pour mon père, car j’ai fait beaucoup de modifications dans l’entreprise. Il n’était plus capable de suivre. Le temps a fait en sorte qu’il s’est habitué. Il est important de se laisser du temps et il est heureux aujourd’hui », dit M. Richard.

Ce dernier ajoute que les comparaisons avec son père sont inévitables. Là encore, il s’agit de prendre du recul et de laisser le temps passer. « On peut ainsi voir qu’on a fait une bonne chose et en être fier », dit-il.

Balance des inconvénients

Pierre Pelland, ex-copropriétaire d’un cabinet de courtage, a vécu les deux côtés de la médaille du transfert d’entreprise. Comme M. Richard, il a dû mettre son père au pied du mur, avec l’aide d’un collègue, pour pouvoir acheter l’entreprise. Son père lui a dit par la suite qu’il s’agissait du plus beau cadeau qu’il lui avait fait. Des années plus tard, M. Pelland a vendu sa part après avoir reçu une offre d’emploi d’un assureur.

« J’étais dans une situation particulière, car j’étais très impliqué dans le milieu associatif. À un moment, j’ai décidé de m’occuper de mes affaires. Toutefois, quand je suis revenu au bureau, je me cherchais et je me demandais si ça me tentait d’écrire des avenants jusqu’à la fin de ma carrière. C’est alors que j’ai reçu une offre de me joindre à un assureur. Je devais donner une réponse dans les trois semaines. C’est ce qui a enclenché tout le processus et je n’ai pas dormi beaucoup durant ce temps », relate-t-il.

M. Pelland dit qu’il avait un bon conseiller pour l’épauler dans sa démarche : son épouse. Durant ces trois semaines de grâce, ils ont réalisé un exercice : la balance des inconvénients.

« Il s’agissait de mesurer les pour et les contre. Il est toutefois primordial de mettre des éléments de pondération sur chaque pour et chaque contre. Ça donne la voie à suivre et ça évite de se remettre en question. Après un tel processus, la décision est éclairée. C’est bouleversant. C’est sûr qu’il m’arrive de regarder en arrière et de me demander ce qui serait arrivé si j’étais resté. C’est quelque chose qui te revient en tête 15 secondes à tous les six mois. Il ne faut pas s’arrêter à ça, car tu ne peux pas revenir en arrière. Quand ce geste est posé, il est posé et il faut vivre avec les conséquences », lance-t-il.

Une autre inquiétude taraudait toutefois M. Pelland. Que penserait ses collègues courtiers de le voir passer de la distribution au manufacturing ? « J’en suis arrivé à la conclusion que ma décision serait celle qui ferait mon affaire. Je ne l’ai jamais regretté », dit-il.

Lâcher prise

Michel Pronovost, consultant qui a traité plus de 300 dossiers de transfert en IARD, souligne qu’il est difficile pour un propriétaire de cabinet de lâcher prise. Il affirme qu’il vaut mieux être accompagné dans un tel processus.

Pour réussir sa transaction, M. Pronovost affirme qu’il faut bien identifier sa relève, car des incidences fiscales peuvent y être associées. Viendra ensuite l’évaluation stratégique et préliminaire, où sera défini ce qui sera fait. Il faut préparer un plan d’affaires, qui comprendra la structure de la transaction, le planning fiscal, le budget et les modalités de financement.

« Le plan d’affaires devrait comprendre une étude de l’industrie et de l’environnement dans lequel le cabinet œuvre. Les forces et faiblesses de l’entreprise doivent être aussi considérées, comme la mission de l’entreprise, qui vient donner des orientations stratégiques sur ce que vous voulez en faire. Il faut montrer les niveaux qu’on veut atteindre et dans quelles lignes d’affaires », dit-il.

Pour ce qui est de la recherche de capitaux, elle peut provenir du financement privé ou institutionnel. « La Banque de Montréal a un programme spécifique pour le courtage. Les autres banques sont là aussi, mais elles n’ont pas de programmes. Dans ces cas, il faut y aller selon la relation qu’on a avec son banquier. Les banques ne financent pas à 100 % une telle transaction. Elles vont aller jusqu’à 60 %, en tenant compte de l’achalandage. Les assureurs vont aussi offrir des modalités de financement », dit M. Pronovost.

L’échange d’informations viendra plus tard dans le processus. Il convient de regarder les états financiers, le portefeuille d’assurance, les résultats techniques, les contrats importants et le personnel.

« On va ensuite négocier les points importants et les modalités de la transaction. Puis, on va produire une lettre d’intérêt préliminaire qui va définir les grandes lignes de la transaction et statuer les éléments importants. Les gens font souvent une offre d’achat et non une lettre préliminaire. Il faut faire attention. L’offre d’achat lie les parties, mais pas la lettre préliminaire », dit le consultant.

Pour terminer le transfert, il faut faire une vérification diligente. « C’est une étape souvent négligée. Même si la transaction se fait avec des employés qui connaissent la boîte, la vérification devrait toujours se faire, car même l’employé ne connaît pas toutes les transactions de l’entreprise», dit-il.

Michel Bastien, directeur de portefeuille services financiers et aux entreprises, culture et imprimerie au Fonds de solidarité FTQ, affirme que la problématique liée au transfert d’entreprise n’est pas unique au courtage IARD, mais qu’elle est généralisée dans tous les secteurs d’activité. C’est pourquoi il est nécessaire de donner une « petite poussée » aux acheteurs.

« La réalité, c’est qu’il se fait peu d’accomapgnement. Ce n’est pas pour rien qu’on voit peu de transactions de PME au Québec. C’est pourquoi on fait du démarchage d’entreprise. Ça prend une petite poussée. Notre difficulté est d’identifier les acheteurs potentiels à l’intérieur de l’entreprise avec lesquels on pourrait prendre contact. Ce n’est pas facile, car c’est s’immiscer dans les affaires de l’entreprise », dit-il.

Complémentarité

M. Bastien ajoute que pour qu’une transaction réussisse, le repreneur doit être complémentaire au dirigeant actuel. « Il ne faut pas qu’il soit vu comme un clone. De plus, pour réussir, il faut que les deux parties aient en tête la pérennité de l’entreprise », prévient M. Bastien.

Il ajoute que l’intérêt de la relève doit être bien mesuré. « Il faut doser la différence entre l’intérêt perçu et l’intérêt manifesté. Ça crée souvent des tensions et des conflits après le transfert », dit-il.

En ce qui a trait au financement, M. Bastien note que les manières de faire sont différentes en IARD des autres sphères d’entreprises. « Le courtage IARD utilise habituellement des pourcentages ou des multiples de primes d’assurance et de commissions. Chez les financiers, notre langage touche le bénéfice net récurrent et le bénéfice net avant impôt et avant amortissement. On regarde aussi le potentiel de croissance de l’entreprise, la valeur des immeubles, la valeur compétitive et, surtout, les perspectives de croissance », dit-il.

Même s’il dit qu’il se fait peu d’accompagnement, M. Bastien affirme qu’il ne faut pas hésiter à impliquer des experts en qui l’entrepreneur a confiance. « Il faut surtout se méfier des solutions toutes faites et de l’expert qui prétend tout faire lui-même. Les personnes compétentes savent travailler en équipe et s’appuyer les unes sur les autres », dit-il.