Un contrat d’assurance tout risque ne peut avoir 27 exceptions comme c’est le cas actuellement. Avec les changements climatiques, l’industrie IARD devra songer à inclure plus de risques dans son contrat, dont l’inondation, prévient Jean-Guy Bergeron.C'est ce qu'a affirmé le professeur de la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke et auteur de deux livres sur le contrat d'assurance dans le cadre du Congrès de l'assurance et de l'investissement 2008.

M. Bergeron affirme que les assureurs ne doivent pas voir les changements climatiques comme une mauvaise nouvelle, puisque qu'ils sont des professionnels du risque. Toutefois, ils ont certains devoirs à faire. Le premier est de réévaluer si le contrat d'assurance correspond aux besoins actuels des assurés.

Il rappelle que le Code civil compte une disposition relative excluant les cataclysmes, à laquelle les assureurs passent outre. « Les tornades, les tempêtes de vent, les ouragans, la grêle, le verglas et les feux de forêt sont inclus, que ces risques représentent un cataclysme ou non. Il y a toutefois un cataclysme qui demeure exclu : l'inondation. Un jour ou l'autre, il va falloir inclure les phénomènes d'inondation et ceux liés à l'eau. Il y en a une partie qui l'est avec les refoulements d'égout, mais tout n'est pas là. C'est l'insuffisance la plus criante qu'on retrouve au Québec. L'industrie devra trouver le moyen de prendre en charge de ce risque », dit-il.

De plus, M. Bergeron dit que les assureurs devront revoir la formulation de l'exclusion relative aux inondations. Il rappelle qu'elle mentionne qu'un contrat d'assurance exclut « les dommages causés avant, pendant et après la survenance d'une inondation ».

Selon M. Bergeron, les exclusions doivent être limitées. Les assureurs ne doivent pas se servir du Code civil pour tout exclure, d'autant plus si on parle d'une assurance dite tout risque.

« La compréhension d'un assuré d'un tout risque, ce n'est pas tout risque dans le moment. C'est ce que je reproche à nos contrats d'assurance habitation. Le contrat est tout risque, sauf pour les exceptions générales. Les contrats que j'ai examinés en ont en moyenne 27. Tout risque avec 27 exceptions, ça ne se peut pas! Il faut l'appeler autrement, voire déshabiller le contrat complètement », dit M. Bergeron.

Frais de subsistance

Un second problème devra être résolu par les assureurs dans le défi que posent les changements climatiques. Selon M. Bergeron, les assureurs devront rendre admissibles les frais de subsistance lorsque survient un risque couvert et non uniquement lors d'un sinistre couvert, comme c'est le cas actuellement.

« L'exemple du verglas de 1998 le démontre bien. Comment peut-on penser que la résidence soit devenue inhabitable à cause du risque couvert et qu'on puisse prétendre du même souffle qu'il n'y a pas de sinistre couvert ? Ainsi, en cas de catastrophe, il faudrait prévoir un montant forfaitaire, plutôt que les frais additionnels devant être engagés pour maintenir le niveau de vie habituel de l'assuré et des personnes qui vivent sous son toit. Lors d'une catastrophe, les gens sont dirigés vers les centres d'accueil. Puisqu'ils n'engagent pas de frais, les assureurs considèrent qu'ils ne doivent pas de prestation. Le niveau de vie habituel est une notion très relative et donne lieu à des interprétations multiples. C'est pourquoi je pense qu'un montant forfaitaire est préférable », dit-il.

M. Bergeron ajoute que les assureurs retireraient des bénéfices à verser un montant forfaitaire plutôt que de verser une compensation pour les frais additionnels. « Les sommes nécessaires pour maintenir le niveau de vie habituel sont susceptibles d'être très élevées. C'est le niveau de vie concret de l'assuré qui doit être pris en considération et non pas le niveau de vie imaginé selon les standards de l'assureur. Dans son état actuel, la protection pour les frais additionnels de subsistance est une clause laissant place à beaucoup trop d'interprétation et donc possiblement à l'arbitraire », dit le professeur.

Un autre point doit être revu par les assureurs selon M. Bergeron, soit celui de la valeur à neuf. « Elle exige généralement que la reconstruction se fasse sur l'emplacement du bâtiment sinistré. Il faudrait modifier cette approche et permettre que la reconstruction se fasse ailleurs, sur un emplacement moins exposé au sinistre.

C'est dans l'intérêt des deux parties. De plus, les gens pourraient se voir proposer une reconstruction verte, avec des éléments qui vont favoriser la diminution des gaz à effet de serre. Ça permettrait de faire une mise aux normes fonctionnelles d'aujourd'hui », dit-il.

Grand défi

M. Bergeron convient que l'industrie a un grand défi devant elle. « Face aux inconnus apportés par les changements climatiques, l'idée d'assurance n'a pas perdu sa place, mais elle est à la recherche de ses repaires. Nous sommes presque revenus à la case départ. Il faut réinventer non seulement la tarification, mais aussi la réglementation pour garantir la solvabilité des entreprises. Le grand défi des assureurs est de trouver la formule de dispersion des risques la plus efficace possible. Ils doivent trouver une formule qui permette de facturer une prime dont le montant n'est pas prohibitif. Il ne faut pas oublier que l'assurance est un transfert de risque. Si la prime est trop élevée, il n'y a plus de réel transfert », fait-il remarquer.

L'industrie doit éviter d'en arriver à interpréter de façon trop étroite ce qui est écrit dans le contrat d'assurance, prévient le professeur.

« L'assurance doit rester une protection qui vise à procurer une tranquillité d'esprit. La contestation à outrance est un des pires facteurs de dépense pour les assureurs. C'est un libéralisme de l'interprétation, qui est nécessaire, fixée sur le consommateur. Les tribunaux ont fait des mises en garde à ce sujet. Les juges n'hésitent plus à imposer des dommages punitifs aux assureurs qui font preuve de mauvaise foi. Une décision de la Cour suprême a aussi remis les pendules à l'heure à cet égard en disant que si l'assureur trahit la tranquillité d'esprit que propose le contrat, il s'expose à des dommages compensatoires, qui vont bien au-delà de ce qu'il doit en vertu du contrat et bien au-delà de la prestation promise », dit M. Bergeron.