En mars dernier, le coroner Jacques Ramsay proposait au gouvernement du Québec d’instaurer un couvre-feu interdisant aux jeunes de moins de 19 ans de prendre le volant la nuit. Sachant toutefois que le gouvernement refuse de mettre en place une telle mesure depuis nombre d’années, il a recommandé aux compagnies d’assurance d’offrir un rabais aux jeunes qui s’engageraient à ne pas conduire entre 22 heures et 5 heures. Selon le coroner, un tel couvre-feu permettrait de sauver 60 vies par année.

M. Ramsay s'est ensuite tourné vers le Bureau d'assurance du Canada (BAC) pour faire avancer sa recommandation. Le BAC l'a bien reçue et l'a transmise à ses membres, qui l'évaluent. Le Journal de l'assurance a fait une tournée de l'industrie pour mesurer la valeur du concept.

Desjardins Groupe d'assurances générales salue la suggestion du coroner. En plus de sauver des vies, l'assureur croit qu'appliquer la recommandation principale du coroner permettrait à la Société d'assurance automobile du Québec (SAAQ) de réduire les coûts de la portion assurance du permis de conduire et des droits d'immatriculation.

« Comme en Ontario et dans certains états américains, le Québec pourrait décider d'offrir différents niveaux de permis de conduire avec des paramètres portant sur les habitudes de conduite. Ainsi, les jeunes conducteurs qui acceptent de ne pas conduire la nuit paieraient des droits de permis moins élevés », explique Gina Perreault, conseillère en communications et en relations publiques chez Desjardins.

En ce qui a trait aux dommages matériels, Desjardins ne croit pas que l'instauration d'un couvre-feu pour les jeunes conducteurs entraînera une diminution significative des indemnités versées suffisantes pour réduire les tarifs. « Par rapport à l'ensemble des réclamations en dommages matériels, cette mesure n'entraînerait que des répercussions négligeables », précise Mme Perreault.

ING Assurance pense qu'il serait préférable que la SAAQ applique un rabais sur l'immatriculation ou le permis de conduire plutôt que d'instaurer un couvre-feu.

« Un engagement formel pourrait être associé à un type de permis - permis limité dans le temps pour le nombre d'heures ou un permis de 24 heures. Il y aurait des conséquences graves pour un jeune disposant d'un permis limité qui se ferait arrêter la nuit. Même s'il n'est pas identique, il existe un système apparenté en Ontario: une gradation dans le permis qui s'appelle Graduated Liciensing Program », souligne Louis-Paul Lazure, directeur des communications d'ING Assurance.

Quant au rabais de 30 % suggéré, ING ne croit pas qu'il pourrait atteindre une telle ampleur ni qu'il serait concluant. « Il n'est pas certain que ces rabais soient réalistes. Des procédures de contrôle devraient être mises en place afin de s'assurer d'obtenir un engagement formel de la part du conducteur», dit M. Lazure.

Yves Fortin, vice-président, assurances des particuliers d'AXA Assurances, abonde dans le même sens.

« Le rabais offert, s'il était évalué, serait inférieur au 30 % suggéré par le coroner. Si les accidents impliquant des décès surviennent surtout la nuit, la proportion des dommages matériels survenant la nuit est beaucoup moindre. Ce rabais devrait être accordé seulement sur la portion de la prime du jeune, puisque le parent sera couvert lorsqu'il conduit le véhicule la nuit. Ceci complique l'application de la recommandation », fait-il remarquer.

M. Fortin ajoute que l'impact de la mesure dépend de l'obligation de respecter ou non le couvre-feu. « S'il est volontaire, il est logique de penser que ceux qui ne conduisent jamais la nuit voudraient se prévaloir du rabais. Ceux qui sont à risque et qui conduisent actuellement la nuit continueraient de le faire. La mesure selon une base volontaire n'aurait pas l'effet attendu de réduction des sinistres par rapport aux blessures corporelles », croit-il.

Le vice-président d'AXA croit que d'autres mesures peuvent être prises en compte pour réduire les accidents mortels. Parmi ceux-ci, on retrouve les campagnes de prévention ciblées et percutantes, les actions de type barrage routier pour l'alcool au volant, l'augmentation de la surveillance policière sur les routes et radars, l'augmentation importante du coût des amendes, l'interdiction du cellulaire au volant et les cours de conduite obligatoires.

Contrôle difficile

L'Union Canadienne souligne que l'application d'une telle mesure pourrait être difficile à contrôler autant pour les policiers que pour les assureurs.

« Il faut sensibiliser davantage les jeunes à adopter de bons comportements de conduite par des mesures incitatives plutôt que d'appliquer des mesures coercitives. L'introduction d'un rabais pourrait sûrement inciter les jeunes à ne pas conduire la nuit, mais le contrôle sera difficile à effectuer. Nous offrons généralement des rabais lorsque les variables de tarification sont plus facilement contrôlables comme l'âge du conducteur, le dossier de conduite de l'assuré ou son lieu de résidence », indique Jacques Boucher, directeur des communications externes à L'Union Canadienne.

La Capitale assurance générales croit qu'un couvre-feu devrait être appliqué conjointement avec la période de transition des permis apprenti et probatoire et faire partie de la phase d'apprentissage du conducteur. L'assureur croit qu'un rabais pourrait séduire les jeunes conducteurs, en plus de réduire les décès.

« Le niveau de prime des jeunes étant assez élevé, nous croyons que cette mesure serait bien reçue. La tarification pourrait être révisée à la baisse étant donné la baisse de fréquence d'accidents, mais il faudrait évaluer précisément le niveau de réduction », spécifie Audrey Bouchard, conseillère en communication et en relations publiques à La Capitale.

Le Groupe Promutuel et Assurances Banque Nationale ont aussi pris connaissance des recommandations du coroner Ramsey et les étudient.

Récompense ou pénalité

Olivier Trottier, directeur général de Guardian, se dit en faveur des recommandations du coroner. Cette compagnie a lancé le programme Apprenti, dans le cadre duquel un jeune conducteur s'engage par contrat avec ses parents à conduire de manière responsable. M. Trottier soutient que les assureurs devront être en mesure de récompenser ceux qui respectent le couvre-feu et de pénaliser ceux qui ne le respectent pas afin que la mesure ait un impact.

M. Trottier croit aussi que le succès d'un tel couvre-feu dépend de la rigueur de son encadrement. Il croit d'ailleurs qu'une réduction de primes serait bénéfique au programme.

« Il faudrait spécifier que la police devient nulle si le jeune est impliqué dans un accident en dehors des heures acceptées de conduite. Comme pour un système antivol : le véhicule n'est pas assuré tant que le système n'est pas en place. Si une telle mesure semble draconienne, elle aurait toutefois un solide impact », dit-il.

M. Trottier convient que le couvre-feu serait difficilement contrôlable, ce qui rendra difficile un rabais. Il ajoute que la SAAQ pourrait augmenter le prix des permis de conduire pour les jeunes conducteurs, comme elle l'a fait pour les motocyclistes il y a quelque temps, à moins que ceux-ci s'engagent à ne pas conduire la nuit.

« L'organisme qui a le plus à gagner d'une réduction du taux de mortalité des jeunes conducteurs au Québec est la SAAQ. Les assureurs ont tout intérêt à réduire le taux d'accidents, mais lorsqu'une vie humaine est impliquée, les coûts sont beaucoup plus grands pour la SAAQ que pour l'assureur. Dans le reste du Canada, les assureurs couvrant aussi la portion « blessures corporelles » ont beaucoup plus à gagner de la réduction de la mortalité chez les jeunes conducteurs. Ils peuvent donc offrir de bien plus grandes réductions de primes si le conducteur s'engage à ne pas conduire la nuit », mentionne-t-il.

Les jeunes séduits

Le directeur général de Guardian se dit convaincu que les économies réalisées sur la police séduiraient de nombreux jeunes.

« À chaque année, plusieurs adolescents doivent retarder leur prise de possession d'un véhicule, ou même du permis de conduire, à cause des frais d'assurance reliés à la conduite automobile. De plus, les parents qui paient les assurances seraient plus enclins à participer à ce type d'initiative pour réduire les frais d'assurance, ce qui aurait pour effet de gonfler l'impact de la mesure », conclut M. Trottier.