Lors d’une liquidation successorale, la juste valeur marchande d’un fonds distinct est remise directement à son bénéficiaire désigné, hors de la succession. La Cour d’appel du Québec vient rappeler cette caractéristique des fonds distincts avec un jugement qui enjoint la liquidatrice à rembourser à la bénéficiaire désignée l’impôt qu’elle a dû payer sur son fonds distinct REER.

Le 30 janvier, la Cour d’appel du Québec a donné raison à Johanne Boudreault, intimée et bénéficiaire d’un REER sous forme de fonds distinct que lui a laissé à son décès son père, Jean Boudreault. La Cour d’appel a ainsi rejeté l’appel de Bertrade Laforest, conjointe de fait de feu Jean Boudreault pendant 31 ans. M. Boudreault a été conseiller de l’Industrielle Alliance pendant près de 50 ans. Mme Boudreault est une enfant issue d’une première union. Les deux parties sont héritières et Mme Laforest est liquidatrice de la succession.

La Cour a rappelé que le fonds distinct se qualifie de contrat d’assurance. Le bénéficiaire s’en voit verser le produit hors de la succession. Tout impôt payable en vertu de la valeur marchande du fonds doit être assumé par la succession. Dans le cas présent, les impôts payables à l’égard des REER dont Mme Boudreault est bénéficiaire atteignent 108 187 $.

Mme Laforest en avait appelé d’un jugement rendu le 26 septembre 2013 par la Cour supérieure du district de Montréal, qui la condamne alors à rembourser à Mme Boudreault une somme de 134 985 $ avec intérêt depuis le 30 juin 2011. Le montant comprend la somme que Mme Boudreault avait utilisée pour acquitter l’impôt exigé à la disposition du fonds distinct dont elle était bénéficiaire, somme qu’elle espérait se voir remboursée par Mme Laforest.

Après le décès de M. Boudreault, sa conjointe et appelante dans cette affaire, Mme Laforest, hérite de la maison que le couple habitait, d’un REER de 378 460 $ et de 92 000 $ provenant de la vente de la clientèle du défunt. La fille de M. Boudreault reçoit quant à elle une somme totale de 227 306 $, qui provient de divers REER dont elle est bénéficiaire désignée, plus des intérêts.

La Cour d'appel confirme le premier jugement

L’impôt à payer sur la succession totalise 120 688 $. Or, ni l’appelante ni la succession dont elle est liquidatrice ne possèdent les liquidités nécessaires pour payer cette somme. C’est donc la fille de feu M. Boudreault qui acquitte ces impôts de son père décédé.

Toujours en première instance, l’intimée avait dit avoir versé cette somme pour prêter main-forte à l’appelante à la suite de l’engagement de cette dernière de la rembourser dès qu’elle aurait les liquidités nécessaires, soit à la vente de la résidence dont elle avait hérité. L’appelante nie s’être engagée formellement, mais la Cour retiendra l’argument de Mme Boudreault. Il découlera finalement du témoignage de Mme Laforest à la Cour supérieure qu’elle s’était engagée verbalement à rembourser sa belle-fille lorsqu’elle vendrait la maison du couple.

Après que Mme Laforest eut vendu la maison, elle a toutefois refusé de rembourser l’intimée malgré des demandes à cette fin. La somme totale réclamée (134 985 $) comprend les impôts payés, ainsi que diverses autres sommes, indique le jugement.

Mme Boudreault réclamait donc à l’appelante le remboursement des sommes qu’elle avait dû débourser auprès du fisc. Mme Laforest s’y oppose, et plaide en appel que le juge de première instance a erré à plusieurs égards.

La Cour d’appel en décide autrement et estime que le juge de première instance a eu raison de conclure que la succession était tenue de payer les impôts sur les REER dont Mme Boudreault était la bénéficiaire. Elle a statué que le fonds distinct est un produit qui a été reçu hors de la succession parce que Mme Boudreault en avait été désignée bénéficiaire. « La bénéficiaire, l’intimée, en reçoit le produit hors succession de sorte que son acceptation n’entraine chez elle aucune responsabilité quant aux dettes de la succession de celui qui le lui a attribué », écrivent les juges.

Responsabilité du REER

D’un autre côté, un REER devient imposable au décès du rentier s’il n’est pas transféré au conjoint. Or, la dette d’impôt demeure celle du rentier et défunt, donc celle de sa succession, et non pas de la responsabilité de la personne qui est le bénéficiaire désigné du REER.

Pour que la dette en incombe à Mme Boudreault, poursuit le jugement, il aurait fallu que cela soit stipulé par le rentier dans ses instructions au testateur. « Jean Boudreault a travaillé comme représentant d’assurance toute sa vie, pendant 49 ans. Il était bien au fait des produits d’assurance et de leurs caractéristiques. Il est demeuré muet quant à la dette d’impôt attachée aux REER dévolus à sa fille. La responsabilité ultime de cette dette n’est donc pas celle de l’intimée », ont écrit les juges.

De plus, la succession de M. Boudreault avait largement de quoi payer, a retenu la Cour contre l’appelante. Elle a aussi rappelé que la conjointe s’était engagée à rembourser à la fille de M. Boudreault les paiements d’impôt qu’elle a dû faire au fisc en encaissant le produit des REER dont elle était bénéficiaire.