Aucun multiple d’évaluation de la valeur d’une clientèle ne peut tenir la route si le portefeuille en vente est de mauvaise qualité.

Les évaluateurs de clientèles ne se fient jamais à un seul multiple pour déterminer la valeur d’une clientèle. Certains acheteurs prioriseront la taille de l’actif, d’autres les commissions de renouvellement. Les évaluateurs croient que peu importe le multiple d’évaluation retenu, les aspects qualitatifs de la clientèle primeront sur celui-ci. Ils détermineront son choix, sa portée.

PDG de Groupe PPI, Jim Virtue croit qu’un indice qui tiendrait exclusivement compte de critères quantitatifs comme la taille de la clientèle serait trop simpliste. « Plusieurs facteurs qualitatifs doivent être considérés dans l’évaluation d’une clientèle. Une clientèle qui compte 40 millions de dollars (M$) d’actif sous gestion peut valoir moins qu’un autre de 20 M$, entre autres en raison de sa composition, du nombre de clients, de leur âge et le type de produits. »

Un bloc de 1 000 clients avec un actif sous gestion de 40 M$ pourrait ne pas valoir autant qu’un autre de 100 clients avec un actif de 20 M$, donne en exemple M. Virtue, car le conseiller pourrait être débordé par tant de clients. « De plus, le compte moyen du premier bloc sera de 40 000$ alors que celui du deuxième sera de 200 000$, ce qui représente un plus grand potentiel. »

M. Virtue ajoute que ces facteurs qualitatifs peuvent faire une énorme différence dans l’évaluation d’un bloc d’affaires. « De façon similaire, si la pratique d’un conseiller est exclusivement composée de produits d’assurance, sans produits d’investissements, et que les clients sont tous des médecins, elle se vendra probablement à de plus hauts multiples, parce qu’il y a de bonnes occasions de développer les affaires d’investissement », estime le PDG de PPI.

Les multiples sous la loupe

La tendance du marché est aux renouvellements. Des agents généraux disent même ne plus tenir compte d’indicateurs populaires dans le passé, comme les primes d’assurance en vigueur ou l’actif sous gestion des fonds d’investissement. Parmi eux, le PDG de Groupe Financier Horizons, James McMahon a signalé que le critère des commissions de renouvellements et de suivis colle davantage à la réalité quotidienne des conseillers financiers.

Selon lui, la valeur de l’en vigueur et de l’actif n’est plus la façon de calculer chez les agents généraux. « Souvent, les conseillers ne savent pas combien ils ont de primes en vigueur. Même nous, nous ne le savons pas si nous ne le calculons pas à partir de nos commissions de renouvellement. En revanche, les assureurs donnent régulièrement aux conseillers un relevé de leurs commissions de renouvellement », a-t-il expliqué.

En fonds communs, évaluer uniquement sur la base de l’actif serait aussi hasardeux, car la rémunération peut varier pour une même taille de l’actif sous gestion. « Les fonds offrent maintenant plusieurs structures de rémunération différentes : gestion à honoraires, frais réduits ou frais de rachat sur trois ans plutôt que sept. Prendre un multiple de l’actif ne veut plus rien dire », estime M. McMahon.

De son côté, le PDG de Pro Vie Assurances, Christian Laroche, rappelle l’importance de la composition d’un portefeuille d’assurance. Sa qualité pourra faire varier les multiples. Il paiera ainsi un multiple des renouvellements plus élevé en assurance invalidité qu’en assurance vie.

« Ces produits comportent des commissions de renouvellement à vie. C’est extraordinaire quand tu peux mettre la main sur un tel bloc d’affaires », dit-il.

En revanche, les blocs de fonds d’investissement lui apparaissent moins attrayants. « Ces blocs d’affaires sont généralement moins stables. Nous n’avons pas le contrôle sur ces affaires ; il peut y avoir beaucoup de transferts. Je serai porté à payer un peu moins pour les acquérir. »

Nouveau président et directeur général de SFL Partenaire de Desjardins Sécurité financière, Stéphane Dulude privilégie la qualité par rapport à la taille. « Quant au multiple utilisé, nous ne faisons aucune différence entre gros bloc et petit bloc d’affaires en fonds communs. La façon dont le bloc est desservi nous importe davantage. Une clientèle qui compte un actif sous gestion en fonds communs de 40 M$ pourrait valoir moins qu’une autre de 30 M$ si, par exemple, le conseiller la dessert sans adjointe, ni plan de service, ni système de gestion de la clientèle, ni segmentation. La valeur peut aussi varier si la composition de chaque bloc d’affaires est fondamentalement différente. »

Il rejoint M. McMahon sur l’importance des structures de rémunération dans l’évaluation d’un bloc de fonds communs. « Il y aura une distorsion si l’on n’utilise qu’un multiple de l’actif pour évaluer la valeur d’un portefeuille de fonds communs », dit M. Dulude.

Dans un exemple comparatif qu’il a partagé avec le Journal de l’assurance pour enrichir l’indice, Stéphane Dulude fait ressortir des écarts significatifs entre l’évaluation basée sur le pourcentage de l’actif et celle basée sur les revenus (de commissions). L’évaluation basée sur les revenus variera selon la composition du bloc d’affaires, ajoute-t-il.

Les exemples montrent une évaluation comparative de trois portefeuilles de 5 M$ en actifs de fonds communs. Celui avec rémunération à frais d’entrée vaudra le double de celui à frais de sortie. La valeur attribuée à un portefeuille à honoraires de même taille se rapproche de celle du portefeuille à frais d’entrée. « Ce sont évidemment des exemples extrêmes, puisque peu de conseillers sont susceptibles d’avoir 100 % de leur actif en fonds à frais de sortie (DSC), 100 % à frais d’entrée (FEL), ou encore 100 % à honoraires », dit M. Dulude.

Il observe une tendance en épargne collective vers la formule de rémunération à frais d’entrée. « C’est une tendance lourde chez nous, qui a une incidence majeure sur les blocs d’affaires », dit M. Dulude.

La tendance fait monter le prix des clientèles, ajoute-t-il. « Les représentants qui sont en carrière depuis longtemps passent de plus en plus à une rémunération à frais d’entrée (on en voit beaucoup avec frais d’entrée fixés à 0$), et poussent la valeur des portefeuilles à la hausse. Il est trop tôt pour conclure que la même tendance prendra place en gestion à honoraires », confie M. Dulude. Il explique que les frais d’entrée à 0$ permettent au conseiller de rééquilibrer les portefeuilles des clients plus facilement, et sans entrainer des frais de sortie, par exemple.

La structure de rémunération à frais de sortie occupe encore une bonne part des portefeuilles, remarque le dirigeant de SFL. « Ce type de frais sera par exemple approprié pour les clients plus jeunes. Ils n’auront pas de frais à débourser au moment d’acquérir leurs fonds et ils n’en auront probablement pas à payer au moment de décaisser leurs fonds. »

SFL est aussi distributeur d’assurance de personnes. Le réseau porte les deux chapeaux lorsqu’il encadre une transaction : il évalue les clientèles et fournit le financement.

« En termes de financement, nous serons plutôt portés à prioriser les critères quantitatifs sur les critères qualitatifs, dit-il. Si un conseiller paie cinq fois les renouvellements pour un portefeuille d’assurance, ce sera l’exception de l’exception. Ce sera la prime que le conseiller est disposé à payer pour un portefeuille de médecins ou d’entrepreneurs assurés en invalidité », dit-il.