Le courtage d’assurance au Québec est déchiré par deux courants qui s’opposent. D’un côté, des courtiers qui voient le courtage comme une religion. De l’autre, des courtiers qui le perçoivent comme un business. Si les premiers n’évoluent pas, ils ne pourront faire face au rouleau compresseur qui s’en vient et qui est déjà passé ailleurs dans le monde. La mise en garde vient de Hubert Brunet.L’ancien directeur général du Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec (RCCAQ) croit qu’une grosse partie des cabinets disparaîtra lorsque le rouleau compresseur atteindra le Québec. Il ajoute que le RCCAQ ne doit pas favoriser un mode de distribution par rapport à un autre. Il convient de favoriser l’excellence, car tous les modes de distribution ont leurs avantages à son avis.

C’est ce que M. Brunet a affirmé en entrevue au Journal de l’assurance, deux mois après que le RCCAQ ait décidé de ne pas renouveler son mandat à titre de directeur général, poste qu’il occupait depuis six ans. Il a aussi été président du Regroupement pendant deux ans et a dirigé un cabinet de courtage en Abitibi pendant 25 ans. M. Brunet a ainsi accepté l’invitation du Journal de l’assurance de venir livrer sa vision de l’avenir du courtage québécois en assurance de dommages.« Certains courtiers sont ancrés dans leurs croyances et ne regardent pas ailleurs. Tous les courtiers sans exception doivent voir le courtage comme un

business et voir comment ils peuvent l’améliorer, comment le faire progresser », estime M. Brunet.M. Brunet ajoute que ce n’est pas la première fois que l’indépendance des courtiers est au centre des débats. Il rappelle que l’Autorité des marchés financiers a tenté de statuer sur la question il y a deux ans, sans grand succès.

« Un courtier, par définition, est indépendant, mais on ne retrouve pas un courtier qui est totalement indépendant. Il n’y en aura jamais. La raison est simple. Les courtiers sont payés par les assureurs et il y aura toujours un lien de dépendance. Il y aura toujours un assureur qui va t’offrir un petit quelque chose pour que tu te colles un peu plus à lui. De plus, quand tu négocies une commission de 3 ou 4%, où est l’indépendance? », soulève-t-il.

L’actionnariat et les prêts contractés auprès d’un assureur ne peuvent servir à déterminer si un cabinet est indépendant ou non selon M. Brunet.

Là où c’est le plus critique, c’est au niveau de la concentration, pointe M. Brunet. « Quelle concentration fera qu’un courtier n’est pas indépendant. Est-ce 90, 80, 70 ou 60 %? On avait posé la question à des cabinets dans lesquels des assureurs avaient une participation ou un prêt et ils se disaient totalement indépendants. Qui va se lever pour identifier les critères qui définissent un courtier indépendant. On peut se poser la question, mais c’est un faux débat », affirme-t-il.

M. Brunet fait remarquer que c’est le courtier qui fait le choix pour le consommateur, et non l’inverse. « Est-ce nécessaire que le courtier fasse le tour du marché chaque fois qu’il voit un client? Il l’a déjà fait. Ce n’est pas parce qu’il place 80 % de ses affaires auprès d’un assureur qu’il ne fait pas le travail. Toutes sortes de raisons entrent en ligne de compte. En région, ce ne sont pas tous les assureurs qui sont présents. Et quand il y en a deux ou trois qui ne veulent pas faire affaires avec toi, la concentration peut être naturelle », fait-il valoir.

Rouleau compresseur

Hubert Brunet faisait partie de la délégation du RCCAQ qui est partie en Europe en mars dernier pour étudier ce qu’était le courtage en France et en Hollande. Les pratiques y sont différentes d’ici, affirme M. Brunet. Il ajoute qu’un rouleau compresseur s’en vient.

« Tous les assureurs en Europe utilisent tous les réseaux de distribution à leur portée. Ils ne favorisent personne, les courtiers compris. Les assureurs sont des entreprises et les affaires doivent rentrer, peu importe d’où. On trouve là-bas des courtiers qui font de l’assurance sur Internet, structurés avec des gros réseaux et qui font appel à la publicité. Ça s’en vient ici Les courtiers doivent s’ouvrir à cela », prévient-il.

Selon lui, les courtiers devront aussi s’ouvrir à voir leurs confrères placer toutes leurs affaires avec un assureur et s’afficher comme un agent de celui-ci. « Pourquoi est-ce vu comme un crime par certains dans le réseau de courtage? Dans la loi, un cabinet de courtage n’existe pas, c’est un cabinet tout court. Chez Meloche Monnex, on se dit courtier. Ils ne s’offusquent pas. Néanmoins, si tu dis cela dans le réseau, tu es vu comme un hérétique, car la religion passe avant tout pour certains. Le courtage n’est pas une religion, c’est un business », tonne-t-il.

M. Brunet dit regretter voir des courtiers traiter des collègues comme des hérétiques lorsqu’ils sortent des sentiers battus. « En France et en Hollande, ils n’ont pas le choix. Ils se sont ajustés et sont devenus des courtiers-agents. Ils ont compris qu’ils devaient modifier leurs façons de faire et changer leur structure. Ce n’est pas un crime. Si le profil de la clientèle commande de faire tes affaires différemment, pourquoi ne pas le faire? Si tu ne le fais pas, tu perdra la clientèle », insiste-t-il.

Il rappelle que les courtiers qui ont préféré se tourner vers les services financiers plutôt que de lutter contre la baisse de la clientèle se sont cassé le nez. « Ce qu’ils n’ont pas compris, c’est que ce n’était pas la même mentalité. Quand ça fait dix ou quinze ans que tu es en assurance de dommages et que tu ne sais pas comment t’ajuster à une baisse de clientèle, comment réussir en services financiers alors que c’est totalement différent comme mentalité et comme produits? », dit-il.

Hubert Brunet considère que des courtiers sont parfois paresseux. Il donne en exemple le programme qu’a tenté de lancer le RCCAQ avec l’Association de la construction du Québec (ACQ) sur les garanties de maisons neuves.

« C’était offert à tous nos membres sur un plateau d’argent. Ça leur aurait permis de récupérer des affaires qui s’en allaient tranquillement, mais ils n’ont fait aucun effort pour le vendre. Les entrepreneurs en construction qui étaient ciblés étaient déjà leurs clients. L’ACQ aurait visité les entrepreneurs et aurait fait la vente du produit. Les courtiers n’avaient rien à faire, mais ça n’a pas levé », déplore-t-il.

« Des courtiers vont disparaître »

Hubert Brunet concède que certains courtiers sont innovateurs et cherchent des façons de faire pour aller chercher et conserver des clients. Mais encore, ce n’est pas la majorité selon lui. Les courtiers moins innovateurs sont donc appelés à disparaître à son avis.

« Les assureurs directs sont rendus à 52% de parts de marché. Dans le temps, il n’y avait pas d’assureurs directs. Il n’y avait que Wawanesa et Allstate. Desjardins a donné un grand coup et a permis aux autres d’arriver. Chaque fois qu’il y en a un qui arrive, il va chercher des volumes », souligne-t-il.

Pour renverser la tendance, le cabinet doit regarder le profil de sa clientèle et voir comment il peut mieux la servir selon M. Brunet. « Si un cabinet place 90 % de ses affaires avec un assureur, c’est peut-être parce qu’il est rendu là dans son développement. Il y a d’autres solutions, mais les cabinets doivent évaluer de quelle façon ils doivent s’organiser pour garder leurs clients », dit-il.

M. Brunet donne en exemple l’assureur direct La Capitale, qui a diversifié ses affaires en achetant L’Unique. « Ils ont été les premiers à introduire des agents indépendants. Ça semble très bien fonctionner. C’est l’exemple d’un assureur qui est allé chercher des clients et qui a augmenté ses parts de marché. Si les assureurs sont capables de diversifier leurs affaires, pourquoi les cabinets ne le seraient-ils pas? », demande-t-il. L’ancien directeur général du RCCAQ fait remarquer que ce n’est pas pour rien que certains assureurs à courtage se sont tournés vers d’autres modes de distribution. « Pourquoi ING a-t-il créé BélairDirect? Pourquoi AXA a-t-il signé une entente avec la Banque Nationale? Ils ont fait cela pour augmenter leurs parts de marché. Ils se sont aperçus que le réseau de courtage ne pouvait pas leur garantir la croissance qu’ils voulaient avoir», explique-t-il.

M. Brunet ajoute que les dirigeants de ces assureurs n’ont pas le choix de développer leurs affaires dans les autres modes de distribution, vues les contraintes de croissance.

Où va le RCCAQ?

Pour Hubert Brunet, le principal problème du RCCAQ est qu’il est pris dans une discussion sur les modes de distribution. « Cette discussion revient toujours. Elle ne devrait pas», souligne-t-il.

Selon M. Brunet, le mandat du RCCAQ est d’aider ses membres. « Il ne doit pas niveler par le bas. Il doit favoriser les cabinets qui veulent prendre les moyens pour réussir en leur donnant de la formation et d’autres outils. Ce que le RCCAQ ne doit pas faire, c’est de favoriser un mode de distribution par rapport à un autre», soutient-il.

Il estime aussi dangereux de laisser certains courtiers continuer à prétendre qu’il y a des courtiers indépendants et des courtiers non-indépendants. Il trouve encore plus dangereux d’entendre que les membres du RCCAQ doivent être ceux qui sont indépendants.

« Si le RCCAQ dit qu’il favorise les membres indépendants, ils risquent d’insulter plusieurs membres et il ne sait pas lesquels. S’il n’accepte pas tous les cabinets de courtage, peu importe leur mode de distribution, et qu’il n’accepte pas qu’ils soient tous égaux, il y a un problème. Au lieu de favoriser un modèle d’affaires, il faut rejeter la médiocrité. Il y en a partout, dans tous les modèles d’affaires. Ce n’est pas parce qu’un assureur a 20 % des parts d’un cabinet que ça en fait un bon ou un mauvais cabinet. La même chose s’applique s’il a un prêt d’un assureur », assure-t-il.

Créer des divisions au sein du RCCAQ n’est pas non plus une solution selon M. Brunet. « Des cabinets comme Dale-Parizeau LM et Inovesco réussissent. Ça donne quoi de leur mettre une étiquette? Ce qui est important, c’est que des cabinets réussissent. Il faut mettre l’accent sur l’excellence en affaires. Le RCCAQ doit être un regroupement des cabinets qui aide ses membres en ce sens. À la limite, ils n’ont qu’à changer de nom pour devenir le Regroupement des cabinets d’assurance de dommages du Québec », suggère-t-il.

M. Brunet croit aussi que les assureurs finiront par acheter le marché, pour mieux développer leurs relations d’affaires. « Si tu regardes les cabinets qui ont vendu aux mutuelles, ce sont des entrepreneurs qui ont décidé de vendre. Même chose pour ceux qui ont vendu des actions à des assureurs. Ces courtiers sont-ils moins purs pour autant? Il me semble que la théorie de l’évolution devrait faire son chemin et que les gens comprennent. Toutes les décisions devraient être des décisions d’affaires et il y en a que tu ne peux pas refuser », conclut-il.