Même si le sinistre a eu lieu en Ontario, que la police a été émise dans cette province et que l’assuré y réside, la Cour supérieure du Québec peut entendre le recours intenté par le concessionnaire automobile contre le locataire du véhicule et l’assureur. 

Dans un jugement rendu le 25 octobre 2024, la Cour d’appel du Québec a infirmé deux jugements rendus en janvier 2023 en Cour supérieure, qui concernaient des réclamations faites à la suite de vols de véhicules automobiles. 

Dans les deux jugements assez similaires rendus par la juge Guylaine Duplessis, l’assureur avait obtenu gain de cause en présentant un moyen déclinatoire par lequel il demandait que l’affaire soit transférée devant les tribunaux ontariens. 

La demanderesse dans les deux affaires est la firme Prime Leasing (Prime Location), un concessionnaire de véhicules établi à Montréal. Dans les deux cas, les véhicules ont été loués par des clients qui résident en Ontario en 2020. Les véhicules sont assurés par Certas Home and Auto Insurance Company, une filiale de Desjardins Assurances active en Ontario. 

L’avocat Maurice Charbonneau, du cabinet Trivium, a attiré l’attention du Portail de l’assurance sur cette affaire. « Il m’a semblé que l’extrapolation du jugement de la Cour supérieure pour fins de détermination de la nécessité d’avoir un permis de telle ou telle province ne devait pas s’étendre automatiquement à l’application de la Loi sur la distribution de produits et services financiers », indique Me Charbonneau par courriel. 

Il ajoute que selon l’article 3150 du Code civil du Québec, « les autorités québécoises ont également compétence pour décider de l’action fondée sur un contrat d’assurance lorsque le titulaire, l’assuré ou le bénéficiaire du contrat a son domicile ou sa résidence au Québec, lorsque le contrat porte sur un intérêt d’assurance qui y est situé, ou encore lorsque le sinistre y est survenu ». 

Les transactions 

Le 23 juin 2020, Jilu Wang signe un contrat de location pour un véhicule Bentley Continental GT. La police d’assurance est souscrite dès le lendemain. Comme locateur, Prime Leasing y apparaît comme assuré.

Le 29 janvier 2021, M. Wang rapporte le vol de son véhicule, qui serait survenu la veille. Il réside en Ontario, où son véhicule est immatriculé. 

Le 10 mars 2022, le concessionnaire réclame à Certas le paiement d’une somme de 164 616 $, de même que d’autres sommes pour ses frais juridiques et des dommages punitifs et exemplaires. 

Dans le second dossier, la transaction a eu lieu un peu plus tôt, soit le 13 avril 2020. Le client Xiangchi Pan a loué un véhicule Mercedez-Benz S63. La police est émise par Certas plus tard, en novembre 2020.

Là encore, le client réside en Ontario et son véhicule est immatriculé dans cette province. Prime Leasing apparaît comme assuré en tant que locateur sur la police. 

Le 3 août 2021, le véhicule est rapporté volé au service de police de Peel. Le 10 mai 2022, le concessionnaire réclame la somme de 78 105,30 $ à Certas, de même que d’autres sommes. 

Les deux baux de location comprennent l’obligation pour le locataire de souscrire et de maintenir une police d’assurance couvrant les véhicules loués contre les risques de pertes et désignant le locateur comme bénéficiaire de l’indemnité d’assurance en cas de sinistre. 

Certas a son siège social au Québec, mais l’assureur exerce ses activités en Ontario où les polices sont émises. Les véhicules sont volés en Ontario. Le système de repérage de la Mercedes localise le véhicule au Québec, mais il n’est jamais retrouvé. La carcasse de la Bentley est récupérée à Montréal.

En première instance 

En Cour supérieure, la juge Duplessis reconnaît que les tribunaux québécois ont compétence, en vertu du premier alinéa de l’article 3148 du Code civil, lorsque le défendeur a son domicile au Québec. Malgré cette constatation, l’analyse des critères de rattachement qui relèvent de l’article 3125 du Code civil l’amène à conclure que les litiges présentent des liens plus étroits avec l’Ontario. 

Le principal établissement de l’assureur est en Ontario et c’est là où il y exerce ses activités. Les principaux témoins résident en Ontario. Les polices ont été souscrites et émises dans cette province. La loi applicable est celle de l’Ontario.

« Il est dans l’intérêt de la justice et des parties que le dossier soit entendu par les tribunaux ontariens », indique la juge Duplessis dans les deux jugements rendus le 25 janvier 2023. Elle décline compétence en faveur des tribunaux ontariens.

En appel 

Devant la Cour d’appel, le concessionnaire reproche à la juge son omission de tenir compte de l’article 3150 du Code civil, qui reconnaît spécifiquement la compétence des tribunaux du Québec en matière d’assurance lorsque l’assuré ou le bénéficiaire du contrat a son domicile ou sa résidence au Québec. 

Concernant l’interprétation de l’article 3135, la Cour d’appel précise que le tribunal saisi, qui serait autrement compétent, peut décliner compétence en faveur d’un tribunal étranger dans la mesure où il constate que, premièrement, celui-ci est plus à même de trancher le litige, et deuxièmement, en raison d’une situation exceptionnelle.

Cette deuxième condition n’est pas du tout abordée en première instance, souligne la Cour d’appel. Cette omission constitue une erreur de principe au sens de l’arrêt Stormbreaker Marketing and Productions c. Weinstock, rendu par la Cour d’appel en 2013. Chacun des critères permettant au tribunal de décliner sa compétence doit être satisfait. 

Les facteurs de rattachement soulevés par le tribunal ne sont pas suffisants pour créer une situation exceptionnelle, car « le législateur a spécifiquement prévu une protection additionnelle en faveur de l’assuré domicilié au Québec lorsqu’il intente un recours », et ce, sans égard à son lieu d’émission ou de souscription. 

Les tribunaux québécois sont parfaitement aptes à appliquer le droit ontarien et à interpréter une police d’assurance émise dans cette province. Les témoins qui pourraient être entendus proviennent des deux provinces et les faits inhérents au litige ont eu lieu dans les deux juridictions. 

« Au surplus, au moins un de ces recours valablement intentés dans la province de Québec est susceptible d’être prescrit si la Cour supérieure décline compétence, causant ainsi un préjudice à l’appelante », indique la Cour d’appel.

En conséquence, l’exigence concernant les circonstances exceptionnelles n’est pas satisfaite et les deux recours intentés devront se poursuivre devant la Cour supérieure du Québec, conclut-on.