La différence de culture freine la croissance des services financiers intégrés. 

Les services financiers intégrés n’ont pas entraîné la ruée vers l’or escomptée. L’approche se heurte à la différence de culture entre assurance de dommages et assurance de personne.

Malgré des expériences positives, les déceptions demeurent nombreuses depuis les balbutiements des services financiers intégrés, dans les années 1990. La Journée de l’assurance de dommages a consacré une table ronde à ce modèle d’affaires.

Dès ses débuts, AssurExperts s’est positionné comme un cabinet d’assurance de dommages multisegments. Son vice-président, Jacques Tardif, a appris à la dure à s’éloigner de l’approche du double permis. « Jouer à l’homme-orchestre ne fonctionne pas. » Le nombre et la complexité des produits en jeu, les exigences de conformité et la formation requise rendent selon lui cette approche hasardeuse.

Le cabinet a ensuite tenté des jumelages avec les conseillers en sécurité financière des agents généraux. En vertu de ce jumelage, le conseiller rend visite au cabinet pour obtenir des références. Il partage ensuite la commission, laissant 30 % au cabinet.

À première vue, voilà un modèle simple et efficace. Or, AssurExperts a aussi rencontré des problèmes avec cette approche.

« Les agents généraux nous disaient que nous étions assis sur une mine d’or. Ils n’avaient pas tort, mais l’approche a quand même rencontré un problème : la qualification du client. Quelqu’un peut être un excellent client en IARD, mais un mauvais client en assurance de personnes, et vice-versa », dit M. Tardif.

Face à une simple liste, le conseiller avait tôt fait de déchanter, dit-il. Cela lui rappelait la technique des appels à froid et il perdait de l’intérêt. Il pouvait par ailleurs tendre à privilégier ses clients à 100 % de commissions, plutôt que ceux d’AssurExperts, à 70 %.

Des questionnements ont aussi surgi chez AssurExperts. Le conseiller a-t-il vendu une police au client référé? Celui-ci lui a-t-il référé un autre client qui, de surcroit, est aussi client avec AssurExperts? À qui appartient le client?

M. Tardif croit que le modèle fonctionnera si le conseiller est « logé » dans le cabinet d’assurance de dommages sans y être rattaché. « Le partage de commission tient alors lieu du paiement d’un loyer. Les partenaires partagent l’ensemble des commissions sur toutes nouvelles affaires et non seulement les affaires auprès des clients actuels du cabinet. De cette façon, le personnel et les représentants forment la même équipe, partagent les mêmes aspirations. Souvent, une complicité plus bénéfique s’installe entre eux. »

Il est toutefois difficile de trouver des représentants qui accepteront cette situation. Pour l’instant, les résultats demeurent discrets, dit M. Tardif.

« En moyenne, nous observons dans nos cabinets que 90 % des revenus proviennent encore de l’assurance de dommages. Plus souvent qu’autrement, nous attendons les commissions de contingence pour faire des profits. »

AssurExperts entend introduire cet automne une nouvelle formule d’intégration de produits, a révélé M. Tardif. Il dit garder la foi dans ce modèle, qui lui a permis jusqu’à maintenant d’améliorer la fidélité de sa clientèle.

Le taux de rétention après cinq ans des clients qui ont leur assurance automobile et leur assurance vie souscrites auprès d’un cabinet affilié à AssurExperts est de 89 %. Il est de 20 % pour ceux qui ont uniquement souscrit un contrat en assurance automobile.

Le modèle des banques

Par l’intermédiaire de sa filiale Omnicourtage, l’agent général en assurance de personnes Groupe Cloutier offre aux cabinets en assurance de dommages un modèle d’intégration qui s’inspire de celui des banques. Le modèle d’Omnicourtage a connu du succès entre autres avec la vente de prêts hypothécaires.

Pour que le modèle fonctionne, la direction doit s’impliquer, dit David Medeiros, vice-président et directeur général d’Omnicourtage. Il est aussi directeur régional du centre financier Montréal du Groupe Cloutier.

Selon lui, les banques ont su tirer parti de cette approche, en constituant des gammes de produits à offrir à leurs clients. Il a rappelé qu’un conseiller est en mesure d’offrir « 23 produits financiers à ses clients ». Selon lui, le prêt hypothécaire est une excellente porte d’entrée pour développer l’approche chez le client.

Pourtant, Robert Dupont dit avoir connu une expérience peu concluante à cet égard. Fondateur et ex-PDG de la bannière de courtage en assurance de dommages Intergroupe, M. Dupont a conclu il y a plusieurs années une entente de distribution de prêts hypothécaires avec BMO Groupe financier.

« Tout ce que le courtier avait à faire était de donner le nom du client au directeur régional de la banque. Une hypothèque de 300 000 $ pouvait procurer au courtier une commission de référence allant de 1 300 $ à 1 400 $. Sur cinq ans, nous n’avons pas eu 15 références. »

Était-ce la peur du nouveau, s’est-il interrogé? À l’époque, il avait réuni ses directeurs de cabinets pour leur demander, ironiquement, s’ils avaient trop d’argent! L’entente n’a pas eu de suite.

M. Medeiros dit que les courtiers doivent changer d’attitude. « Lorsque nous approchons un client pour son assurance habitation du propriétaire occupant, nous lui demandons qui est son créancier hypothécaire. Pourquoi ne lui demanderions-nous pas aussi la date de renouvèlement de son hypothèque? »

PDG du cabinet de courtage Invessa assurances et services financiers, Robert Beauchamp mise sur l’assurance vie hypothécaire comme porte d’entrée aux services financiers. L’intégration est, selon lui, le gage de réussite. Le cabinet doit mesurer la progression de ses activités de services financiers intégrés. « En matière de relation avec la clientèle, tant les activités de services financiers que d’assurance de dommages sont mesurées. »

C’est aussi une idée à laquelle les cabinets doivent adhérer pour des raisons de concurrence, dit-il. « Si on ne joue pas dans les plates-bandes des grandes institutions financières, elles le feront chez nous. »

Référencement et conformité

Pour mesurer, il faut déterminer à l’avance les paramètres dans lesquels se dérouleront les activités de services financiers au sein d’un cabinet. C’est ce que fait quotidiennement l’avocate Carolyne Mathieu. Souvent appelée à rédiger des ententes de référencement entre cabinets, Me Mathieu connait les risques d’accrocs à la déontologie et la conformité. Les dirigeants du cabinet et le conseiller en sécurité financière doivent, selon elle, soupeser avec soin ce qu’on peut faire ou non en matière de référencement.

« Il est important d’obtenir le consentement du client en assurance de dommages pour l’approcher en matière de services financiers », dit-elle.

Depuis le décloisonnement des institutions financières survenu au début des années 1990, plusieurs professionnels sont appelés à travailler en équipe. Un professionnel de l’assurance de dommages référera, par exemple, un client vers un courtier hypothécaire ou un conseiller en sécurité financière. Me Mathieu dit que des problèmes peuvent survenir si un courtier en assurance de dommages pose à son client des questions qui sont du ressort du représentant en épargne collective ou du conseiller en sécurité financière.

Pour éviter de tels accrocs, Me Mathieu installe une grille de fonctionnement qui s’apparente à une convention entre actionnaires. Elle permet au cabinet de définir les limites de chaque champ de compétences. Elle encadrera aussi le partage des commissions entre divers professionnels. « Sans ce cadre, les partenaires pourraient commettre des fautes et des poursuites, s’ensuivre », dit-elle.

Dans la salle, des courtiers en assurance de dommages ont d’ailleurs livré leurs préoccupations à l’égard du partage des commissions. Doivent-elles être partagées de la même façon pour les renouvèlements que pour les nouvelles affaires?

Me Mathieu croit que oui et conseille aux courtiers de conserver la même structure, qu’il s’agisse de renouvèlements ou de commissions de première année, puisque ces deux types de rémunération sont régis par la même règlementation.

Au sujet de la rémunération, elle privilégie des pratiques claires qui ne laissent pas de prises aux erreurs déontologiques. « Parfois, les gens partageront la rémunération de la mauvaise façon; par exemple, en l’attribuant à la mauvaise entité dans leur entreprise », dit-elle.

Dave Bérubé, directeur régional du centre financier Québec du Groupe Cloutier, dit que les services financiers intégrés facilitent la prospection. Il importe selon lui de garder la rémunération simple, mais on doit aussi la partager de façon équitable.

« Le conseiller a déjà accès à une clientèle sans avoir à la solliciter », dit-il. L’entente devrait ainsi prévoir deux niveaux de rémunération pour refléter cette réalité : un niveau s’il y a eu prospection et un autre si le client était déjà qualifié au moment de l’approcher.

À qui appartient la clientèle développée en services financiers? La formule pourra varier d’un cabinet à l’autre. Me Mathieu est toutefois sûre d’une chose : on devrait le définir dans le contrat.

Trouver le bon conseiller

Malgré les difficultés auxquelles plusieurs se sont butés dans le passé, M. Bérubé dit que les services financiers intégrés comptent des histoires à succès. « Il faut toutefois aller au-delà de la rentabilité financière, dit-il. La rentabilité des services financiers intégrés passera plutôt par une meilleure rétention de la clientèle. »

Les services financiers intégrés offrent selon lui un « beau levier de référencement », et par le fait même, un important levier de croissance. Pour que cela lève, il faut toutefois trouver le bon conseiller, dit M. Dupont. « Soyez rigoureux dans votre recrutement. On ne met pas assez d’argent ni de temps à trouver la personne de calibre, qui a la personnalité et les connaissances qu’il faut. Une personne dont l’intégrité est à toute épreuve et qui a des aptitudes pour la vente. Si elle a déjà eu des accrocs avec le régulateur, n’y allez pas. »

Selon lui, un nouveau venu dans la carrière pourra même être un meilleur choix que le conseiller prospère et expérimenté. Celui-ci risquera de quitter au bout de quelques années pour de plus verts pâturages. Même chose pour les conseillers instables. « Demandez des références. Si la personne a travaillé à quatre endroits en trois ans, ce ne sera pas mieux chez vous », dit M. Dupont.

M. Beauchamp recommande de sélectionner le candidat en fonction de son aptitude à travailler avec une clientèle issue de l’assurance de dommages. « Ce ne sont pas tous les conseillers en sécurité financière qui cadrent bien dans une organisation en assurance de dommages », dit-il.

Malgré toute bonne volonté, la taille modeste de plusieurs cabinets en assurance de dommages demeure un frein au modèle des services financiers intégrés, dit M. Tardif. « Plusieurs cabinets de dommages ne comptent qu’un courtier. Au moins la moitié des cabinets n’ont ni le temps ni la structure pour intégrer les services financiers », dit-il.

Chez Omnicourtage, M. Medeiros dit que les petits cabinets pourraient bénéficier d’une alliance avec un gros cabinet de services financiers. « Si les clients en assurance de dommages ont besoin de services financiers, les clients en services financiers ont aussi besoin d’assurance de dommages. Comme il s’agit d’une entente externe, vous ne pourrez partager les commissions, mais les 1 000 clients du cabinet en services financiers deviendront vos 1 000 prospects. »

M. Dupont ajoute qu’il est préférable de créer une corporation distincte pour les activités de services financiers. « Réussir en services financiers intégrés implique de reconnaitre que l’assurance de dommages et l’assurance vie sont deux mondes totalement différents », dit-il. Cette structure a le mérite, entre autres, de faciliter le partage des commissions.