La consultation lancée le 25 avril 2024 par l’Organisme canadien de réglementation des investissements (OCRI) sur son projet de modèle de tarification intégré a récolté son lot de critiques, principalement de courtiers en épargne collective (fonds communs) actifs au Québec. La consultation a pris fin le 25 juin 2024. 

L’OCRI veut uniformiser les cotisations et les autres frais qu’elle perçoit des courtiers en épargne collective et des courtiers en placements, pour les services qu’elle leur rend. Les revenus et le nombre de personnes approuvées du courtier détermineraient son montant de cotisation. Le modèle de tarification intégrée entrerait en vigueur le 1er avril 2025. Il s’appliquerait pleinement aux courtiers inscrits au Québec seulement après une période de transition, que l’OCRI doit convenir avec l’Autorité des marchés financiers.

D’entrée de jeu, les participants à la consultation ont déploré le court délai et le manque de données qui leur auraient permis de fournir des réponses plus étoffées et de mieux mesurer l’impact de la proposition de l’OCRI. Tous ont plaidé pour un délai de 90 jours dans les consultations à venir.

Hausse surprenante des cotisations 

Le bruit d’une hausse courait déjà au Québec, surtout après les propos tenus par l’OCRI au Colloque des fonds d’investissement du Québec (CFIQ) le 8 mai 2024. Lors d’une question à un panel sur une éventuelle hausse, sa vice-présidente pour le Québec et l’Atlantique, Claudyne Bienvenu, a répondu que « les frais de l’OCRI s’ajouteront » à ceux des organismes de réglementation déjà en place au Québec. Mais peu en devinait l’ampleur, selon les réactions à la consultation. 

La hausse des cotisations annuelles a d’ailleurs monopolisé les commentaires des participants à la consultation. Dans sa réponse, l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC) s’est dit surpris de constater dans le modèle de l’OCRI que les frais augmenteront probablement pour 64 % des courtiers, et diminueront probablement pour 36 % des courtiers.

MICA Capital se dit lui aussi surpris. « Nous nous attendions plutôt à ce que des synergies et des économies de coûts soient réalisées à la suite du regroupement qui a amené la création de l’OCRI », écrit le courtier québécois dans sa réponse à la consultation. L’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACFM) et l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) ont fusionné en septembre 2022 pour donner naissance à l’OCRI. 

L’IFIC constate du même coup que la consultation manque de données essentielles. Le regroupement souhaite que l’OCRI communique des données détaillées « qui reflètent le modèle de tarification proposé ». Il dit ne pouvoir recommander des ajustements à la tarification sans voir les chiffres et les hypothèses qui ont guidé l’élaboration du modèle de l’OCRI. Les courtiers québécois ont aussi commenté en ce sens. 

Le Québec très préoccupé 

Dans sa réponse, l’IFIC ajoute que le secteur est très préoccupé par le possible dédoublement des frais au Québec. Un dédoublement qui se produirait au cours de la dernière phase de l’implantation du modèle, dans au moins deux circonstances : 

  • Entre l’Autorité et l’OCRI dans leurs activités de surveillance des courtiers en épargne collective ; 
  • Entre la Chambre de la sécurité financière et l’OCRI dans leurs activités de surveillance des représentants en épargne collective. 

L’IFIC recommande que l’Autorité réduise ses frais pour refléter les activités de surveillance déléguées par l’Autorité à l’OCRI. Il recommande aussi que l’OCRI réduise ses frais proportionnellement aux activités de surveillance déjà effectuées par la Chambre. « Certains de nos membres qui exercent la totalité ou la majorité de leurs activités au Québec indiquent que leur tarification augmentera considérablement si ces réductions de tarification n’ont pas lieu », écrit l’IFIC.

Choc brutal 

Filiale de courtage en épargne collective de l’agent général Groupe Cloutier, Groupe Cloutier Investissements fait partie de ces membres inquiets. Dans sa réponse à la consultation, il a quantifié le choc que pourrait vivre les courtiers en fonds communs québécois si l’OCRI n’ajuste pas son modèle en fonction de la réalité québécoise. 

Groupe Cloutier Investissements mentionne que 370 de ses 1 200 conseillers possèdent un permis en épargne collective. Il rappelle que selon son modèle, l’OCRI percevra des frais annuels de 250 $ pour chaque personne autorisée inscrite auprès d’un courtier en épargne collective. 

Sa réponse cite un passage du modèle de l’OCRI selon lequel les courtiers en épargne collective connaîtront les baisses les plus marquées de leurs cotisations. D’après une estimation des coûts personnalisés qu’a préparé l’OCRI pour Groupe Cloutier Investissements, le courtier sera loin de connaître une baisse de ses frais, surtout après la transition. 

« Une fois que cette période de transition propre au Québec sera terminée, nous estimons que les frais totaux en dollars absolus payés à l’OCRI par Groupe Cloutier Investissements auront augmenté de 4648 % par rapport à notre cotisation antérieure à l’ACFM », écrit le courtier. Il ajoute que la proportion des frais en pourcentage des produits (revenus) totaux de Groupe Cloutier Investissements équivaudra à 13,5 fois la proportion qui prévalait dans le modèle de l’ACFM. « Pour les courtiers ayant une forte présence au Québec, dire que l’impact potentiel du modèle proposé par l’OCRI sera majeur », ajoute-t-il. 

Groupe Cloutier Investissements s’attend à une hausse des frais totaux de 80,7 % si le modèle est accepté tel quel. En incluant les cotisations de la Chambre, la hausse des cotisations se ramène à 38,5 %. « Tout de même une hausse vertigineuse de nos cotisations », ajoute-t-il.

Selon la simulation que lui a fourni l’OCRI, MICA Capital devrait pour sa part absorber une augmentation de ses frais de près de 42 %. MICA Capital ajoute que l’estimation inclut les frais de la Chambre. Il écrit dans sa réponse qu’environ 265 représentants en épargne collective lui sont rattachés. 

Plus de 140 représentants en épargne collective exercent auprès de Mérici Services Financiers. Dans sa réponse à la consultation, le courtier estime que le projet de l’OCRI lui engendrerait une hausse des cotisations liées à l’inscription et l’encadrement réglementaire de plus de 41 % par année.

Pas de volonté de réduire 

Les courtiers basent leurs estimations sur l’hypothèse que l’Autorité pourrait ne pas réduire ses frais après l’implantation de la nouvelle tarification, et que la cotisation annuelle de la Chambre demeurera. Vice-président administration, de Groupe Cloutier, et auteur de la réponse à la consultation, François Bruneau, a confié en entrevue avec le Portail de l’assurance que l’Autorité n’envoie aucun signal d’une baisse de sa cotisation. De l’autre côté, personne ne dit que le rôle de la Chambre changera. 

« Non seulement une hausse des frais de l’Autorité de l’OCRI de plus de 80 % n’a pas de bon sens, cela nous agace d’être placé dans une situation de devoir mener le combat contre la Chambre, alors que nous n’en avons aucune intention. Ni nous ni la Chambre n’avons causé cette situation », s’insurge-t-il.

Il estime injuste que l’OCRI laisse aux courtiers de faire des démarches pour inciter l’Autorité ou la Chambre à baisser leurs frais, voire de réclamer l’abolition d’un organisme d’autoréglementation dont les rôles et responsabilités sont similaires à ceux de l’OCRI (soit la Chambre). 

Atteinte à la relève et l’intérêt public 

Selon MICA Capital, l’ajout des frais de l’OCRI à ceux déjà existants sans ajustement pourrait créer des barrières à l’entrée pour les conseillers de la relève ainsi qu’à l’accès aux conseils pour les consommateurs. 

À cet égard, Groupe Cloutier Investissements rappelle dans sa réponse que la réglementation imposée au cours des dernières années sur les modes de rémunération « est venue compresser de manière importante les revenus potentiels générés par chaque dollar d’actif sous gestion et miner par le fait même la capacité des réseaux indépendants à attirer de la relève en ses rangs ». On ne peut pas indéfiniment mettre de la pression à la fois sur les revenus et sur les dépenses du secteur de la distribution indépendante. 

Mérici Services Financiers estime quant à lui que l’intérêt public serait la première victime de la hausse des frais entraînée par le modèle de l’OCRI. « Une telle hausse remet en question notre modèle d’affaires et nous forcerait à nous questionner sur plusieurs éléments ». Le courtier devra-t-il limiter au minimum le nombre de représentants dont les activités sont plus modestes ? Fixer des seuils d’actif à l’entrée des clients ? Repenser son modèle accueillant envers les recrues et faire ainsi augmenter ses coûts liés à l’inscription et l’encadrement réglementaire ?

Principe directeur de L’OCRI dans l’élaboration de son modèle, la proportionnalité des coûts sera la seconde victime du projet, croit Mérici Services Financiers. Le courtier estime que les frais de 250$ qui seraient imposés par personne physique représenteront « une portion significative » de ces coûts. « Qu’un courtier ait 1 ou 250 inscrits, il ne retirera ni plus ni moins de services de la part de l’OCRI. Du moins, la proportionnalité n’est pas linéaire de sorte qu’un courtier ayant 250 inscrits ne devrait pas payer 250 fois plus que celui qui n’en a qu’un », fait-il valoir. 

Les autres participants ont émis des commentaires semblables. « Cette façon de tarifer les individus nous apparaît contraire à la volonté exprimée dans le document de consultation d’en arriver à mettre en place une structure dans laquelle chaque membre devrait payer des frais proportionnels à son utilisation des services de l’OCRI », soutient Groupe Cloutier Investissements. Selon le courtier, l’OCRI n’a pas démontré que chaque inscrit supplémentaire lui occasionne des frais additionnels. « Concrètement, quelle est la différence en termes d’effort de supervision pour l’OCRI entre un conseiller qui possède un bloc d’affaires de 50 millions de dollars ou 10 conseillers qui gèrent chacun 5 millions ? », écrit-il dans sa réponse.