Selon Martin Roberge, de la firme Canaccord Genuity, les investisseurs ont intérêt à être très attentifs en 2021, s’ils veulent profiter des tendances des marchés en cette période d’incertitude.
Il suggère notamment de s’intéresser davantage aux titres des sociétés dans les marchés émergents et aux actions internationales. Stratège du portefeuille nord-américain chez Canaccord Genuity, M. Roberge a présenté les perspectives des marchés financiers lors de la conférence organisée par le Cercle finance du Québec et l’Association des économistes du Québec, le 19 janvier dernier.
Matthieu Arseneau, de la Banque Nationale, participait aussi à l’activité animée par Clément Gignac, de l’Industrielle Alliance.
« On observe déjà certaines particularités dans cette reprise économique qui se distinguent par rapport aux cycles du passé », dit-il. Quatre facteurs expliquent le caractère atypique de cette embellie des marchés boursiers.
L’intervention des banques centrales est assurément un facteur important à surveiller, selon M. Roberge. Le maintien au plancher des taux directeurs est le moyen le plus connu, mais l’expansion des bilans par l’achat massif d’obligations gouvernementales est une autre méthode qui a été largement employée par les principales banques centrales dans le monde. « Ces achats ont atteint des niveaux records en 2020 et ils se poursuivront en 2021 », fait-il observer.
Cette détente du crédit a permis de supporter l’activité des PME et les dépenses des ménages. « Il faudra continuer à offrir un pont de soutien à l’économie au deuxième semestre de 2021, le temps que l’on atteigne une croissance autonome de l’économie quelque part en 2022 », estime-t-il.
La Chine et les biens
En Chine lors de la crise financière de 2008-2009, la reprise avait été tirée par les services, tandis que l’industrie manufacturière avait subi un sérieux ralentissement de sa croissance durant une année complète. Cette fois-ci, les indices de production manufacturière et des dépenses de consommation ont suivi la même courbe en « V », probablement en raison du confinement prolongé imposé à de nombreux secteurs. Un peu partout dans le monde, la reprise est ainsi portée par la consommation de biens et non par les services, selon Martin Roberge.
Comme la pandémie de la COVID-19 ne disparaitra pas en 2021, il faut avoir cette donnée à l’esprit lorsqu’on veut planifier les investissements en fonction de l’évolution de l’inflation.
Garnir les stocks
Autre facteur important à considérer : le cycle des inventaires. Les stocks ont été épuisés parce que la production a tourné au ralenti durant quelques mois, tandis que la consommation connaissait un sérieux rebond dès le troisième trimestre de 2020.
« On a vidé les tablettes pour les produits manufacturiers et les biens destinés au commerce de détail. Il faut les regarnir. Comme on ne s’attend pas à une modification des politiques monétaires et fiscales tant que l’économie ne sera pas de retour à la normale, on doit vivre un cycle complet de restockage. L’indice de croissance industrielle est encore dans la zone négative et il y a encore un écart entre la production et les ventes, donc on a encore du chemin à faire », dit-il.
Le dollar américain
Durant la décennie qui a suivi la crise financière de 2008, le dollar américain ($ US) a conservé une certaine vigueur sur les marchés monétaires. D’ailleurs, la reprise économique en Amérique du Nord avait été un peu amputée par cette valeur élevée du $ US, considéré comme une monnaie refuge comparativement à d’autres devises, notamment l’euro, alors ébranlé par les problèmes de surendettement en Grèce, en Italie et en Espagne.
Cette fois-ci, le dollar américain n’est plus aussi attirant en raison de la faiblesse des taux directeurs et des taux réels associés aux obligations 10 ans. Les taux réels négatifs annoncent donc une dépréciation prolongée du dollar américain. L’indice DXY, qui mesure l’appétit pour la devise américaine, pourrait avoisiner la barre des 80 points en 2022, même si Martin Roberge anticipe un léger rebond en 2021. Si l’on veut spéculer sur la valeur du dollar américain, il suggère de le faire d’une manière très tactique, car la tendance est vraiment baissière.
Pondération à revoir
Si l’investisseur veut obtenir des gains grâce à son positionnement, dans une période où la devise américaine perd de son attrait et où les marchés se dirigent vers un cycle baissier, il est temps de songer à augmenter la proportion du portefeuille dans les titres internationaux, selon Martin Roberge.
La tentation est d’autant plus forte qu’en 2021, les sociétés américaines ne pourront faire des rachats massifs de leurs titres faute de profitabilité. « Une grande partie de la surperformance des indices américains depuis une décennie est attribuable à ces rachats massifs d’actions », rappelle-t-il.
Cette tendance n’est pas visible chez les grandes compagnies cotées en bourse ailleurs dans le monde. Il faut donc maintenir le cap sur le positionnement hors des titres américains.
M. Roberge surveille trois autres marchés : le Canada, les marchés émergents (EM) et les titres de l’Europe et de l’Asie du Sud-Est (EAFE). En situation de dévaluation du dollar américain, la bourse canadienne est généralement moins performante que l’indice EM et encore moins que l’indice EAFE. « Si vous croyez à la thèse du “bear market”, il faut acheter des titres hors des États-Unis, et choisir les EAFE, puis les EM, et enfin le Canada », précise-t-il.
Dette privée et publique
La sous-performance des indices canadiens s’explique par l’endettement élevé des corporations, selon M. Roberge. À l’heure actuelle, la dette moyenne des sociétés publiques correspond à quatre fois leurs bénéfices avant impôt, intérêts et amortissement (BAIIA). C’est un ratio inférieur au sommet de 2015-2016 durant lequel les titres canadiens étaient affectés par le prix du pétrole, mais à son avis, cet endettement demeure trop élevé.
Martin Roberge compare l’endettement des États et celui des ménages. Par rapport au revenu disponible, l’endettement des ménages des pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) est à 50 %, comparativement à 117 % pour les ménages des pays du G7.
Du côté du ratio de la dette sur le PIB, les gouvernements du BRIC montrent une dette moyenne de 51 %, contre 144 % pour les pays du G7. Plusieurs stratèges estiment que les pays du BRIC disposent ainsi d’une plus grande marge de manœuvre pour passer à travers le cycle économique.
Un cycle boursier en baisse aux États-Unis aurait un impact négatif sur les bourses étrangères. « Si l’on a un portefeuille surpondéré en titres américains, on pourrait avoir des problèmes au deuxième semestre de 2021. Les options d’achat à court terme sont à leur niveau moyen, mais les options d’achat à long terme atteignent les 393 milliards de dollars US sur l’indice S&P 500, un niveau jamais vu », souligne M. Roberge.
Les commodités
La classe d’actifs privilégiée par Martin Roberge est celle des produits de commodité ou les matières premières. L’excès de liquidités, qui est mesuré par la masse monétaire de laquelle on soustrait la croissance économique, sera en forte expansion à partir de juillet 2021. De son côté, la variation de l’indice CRB basé sur le prix des matières premières, d’une année à l’autre, sera très proche de 0 %.
La combinaison de ces deux facteurs favorise un bref, mais très important cycle haussier de la valeur des produits de commodité. Selon M. Roberge, ce rebond sera comparable à celui vécu entre 2003 et 2008, lorsque la demande en Chine soutenait la croissance mondiale.
Chez Canaccord Genuity en 2021, on vise à augmenter légèrement la part des actions et des commodités dans le portefeuille, tout en réduisant la part des actifs liée aux obligations et aux devises.
Les obligations
Le marché obligataire prendra du mieux en 2021, mais Martin Roberge estime que les obligations US 10 ans ne dépasseront pas la barre du 1,25 % tant que la cible d’inflation de la Fed ne sera pas atteinte. Cette cible a été modifiée et est désormais de 2,5 %. « Je ne pense pas que nous l’atteindrons en 2021 », dit-il. Il prédit que le taux offert pour cette obligation 10 ans devrait être à 1 % en fin d’année.
À propos du taux d’intérêt accordé sur les obligations gouvernementales, Martin Roberge note que le poids du remboursement de la dette par rapport au PIB est à 2 % aux États-Unis, comparativement à 3 % dans les années 1990. Le pays est très endetté, mais il a déjà été en plus mauvaise posture.
Martin Roberge croit que le cycle boursier actuel, dont la hausse survient en pleine récession, n’a rien à voir avec la bulle techno en 1999-2000. « À cette époque, il faut se souvenir que la politique monétaire de la Fed était en plein resserrement, et les règles fiscales aussi étaient plus contraignantes. Il y avait moins de liquidités dans le système. Cette fois-ci, c’est l’inverse », dit-il.
Si le taux directeur se met à grimper, ce qui est peu prévisible dans les deux prochaines années, Martin Roberge dit s’attendre à ce que la Fed imite la banque centrale japonaise qui a plafonné le rendement offert sur les obligations à long terme.