On serait porté à penser que la nature des produits lancés sur le marché et l’intérêt qu’ils suscitent sont en lien avec les besoins du consommateur et la situation économique. Or, il n’en est rien, selon Lawrence Geller, observateur de l’industrie depuis 35 ans. Dans les faits, ces tendances qui vont et viennent sont essentiellement dictées par les équipes de marketing des sociétés d’assurance.

Ainsi, la police d’assurance vie entière (ou « permanente ») a changé, dans les années 1970, pour faire place à l’assurance vie à prime ajustable. Les assureurs ont ensuite adopté un mélange d’assurances temporaire et permanente (on se rappellera le produit Econolife, initialement proposé par London Life), dans le but de réduire le prix des primes.

Par la suite, on a recommencé à élaborer des produits d’assurance vie universelle, croyant que le consommateur n’allait s’intéresser qu’aux produits permanents. « J’ai bien l’impression, en rétrospective, que tout cela n’était qu’une question de marketing », explique le président de L.I. Geller Insurance Agencies, qui a aussi lancé le populaire blogue ForAdvisorOnly.com (FAO).

Cette approche décide finalement de la vie et de la mort d’un produit. Elle passe par une sorte de cycle.  Par son caractère cyclique, le phénomène pourrait être lié à un certain ordre des choses, à une prédictibilité… M. Geller l’associe plutôt au mouvement d’un pendule : « Je ne dirais pas que l’on peut prévoir ce qui va se passer. Un pendule peut passer d’un extrême à l’autre au cours d’une même journée; il se produit quelque chose et, soudainement, il balance de l’autre côté. C’est ce que l’on constate, actuellement. »

Quand on lui demande comment se porte l’industrie d’aujourd’hui, il parle immédiatement de certaines gammes de produits qui donnent du fil à retordre, pour diverses raisons. Il aborde aussi l’effritement des compétences dans les compagnies d’assurance, où la spécialisation est en voie de disparition, voire déjà chose du passé, dans bien des cas. La compétence et l’efficacité subissent le même sort dans les associations, puisque, à l’instar des sociétés d’assurances, elles tentent de plaire à tout le monde en tout temps..

La concentration de la concurrence n’aide pas la situation. À un certain moment, par exemple, au moins 40 sociétés offraient des produits d’invalidité. Aujourd’hui, tout se concentre autour de quatre fournisseurs.

Peut-on améliorer les choses? « Du côté des compagnies, certainement! », dit M. Geller. Il précise toutefois que cela signifie malheureusement une réduction probable de leur offre en protections à long terme et l’accès à de plus en plus de produits dilués, le risque étant refilé au consommateur, aussi souvent que possible.

Il évoque aussi cette règlementation de l’Agence du revenu du Canada, en vertu de laquelle un employeur ne peut pas fournir d’assurance invalidité ou maladies graves si les primes payées font l’objet d’un quelconque remboursement. Par ailleurs, le Manitoba a tenté de taxer les ventes de polices individuelles d’assurance invalidité et d’assurance maladies graves, de même que l’assurance invalidité collective.

En ce qui a trait à l’effritement des compétences, il estime que « les compagnies ne se démarquent plus par leurs forces respectives. On les reconnait à leurs faiblesses et leurs parts de marché… »

« Avant, je pouvais affirmer que Paul Revere, Provident Life, Unum (dont le nom a changé pour UnumProvident Canada), Canada-Vie et L’Impériale se spécialisaient en assurance invalidité. Et que la Financière Manuvie était particulièrement bonne en assurance collective et plans d’épargne-achat. On ne peut plus dire une telle chose. »

Il ne pense pas que le problème se corrigera de lui-même, puisque les sociétés d’assurance continuent d’élargir leur mandat afin d’accroitre leurs parts de marché et de diminuer leur exposition au risque.

Parallèlement, du côté associatif, les listes de membres s’allongent, mais les organisations tendent, à son avis, à être moins représentatives.

« Il y a des exceptions. Par exemple, la mémoire institutionnelle des Courtiers indépendants en sécurité financière du Canada (mieux connue sous son acronyme anglais, IFB) est remarquable. Il y a aussi une excellente continuité de participation au conseil d’administration. Malheureusement, ailleurs, comme chez Advocis, le mandat du conseil est limité à une année. On n’apprend pas grand-chose en un an », dit-il.

« À force de vouloir faire plaisir à tout le monde en tout temps, on finit par ne plus savoir où l’on s’en va. Loin de se dépasser, on ne peut qu’y perdre des plumes… »

Quant à l’avenir, M. Geller dit avoir bon espoir que les formules d’assurance valables restent offertes, et que l’agent fasse partie d’une profession qui a à cœur le bien être de son client, plutôt que d’être prisonnier d’une compagnie, comme le veut la règlementation applicable aux représentants en valeurs mobilières.

Il s’attend à ce que les banques prennent toute la place qui leur sera accessible. Or, ce virage ne lui semble pas nécessairement servir le consommateur. « Les organismes de règlementation ne parviendront jamais à suivre la cadence, car ils ont beaucoup moins de ressources que tous ceux qui conçoivent et déploient des campagnes de marketing. »

Malgré tout, il ose espérer que l’industrie, les organismes de règlementation et le marché se centreront encore plus sur le consommateur. « Il y en aura probablement pas mal qui seront en désaccord avec moi, en tout cas, pas mal de gens dans le domaine et surement beaucoup de monde au service de compagnies d’assurances… Quoi qu’il en soit, plus l’industrie et le marché axeront leur démarche sur le consommateur, mieux le métier et l’industrie se porteront. »