La société Intact Compagnie d’assurance était dans son droit de déclarer la nullité du contrat et de refuser d’indemniser l’assurée pour les dommages causés à un immeuble, en raison de l’absence d’intérêt d’assurance de la part de la signataire du contrat.
Les avocats Bernard Larocque et Jonathan Lacoste-Jobin, du cabinet d’avocats Lavery, ont attiré l’attention du Portail de l’assurance sur ce jugement*. La décision a été rendue le 6 juillet 2023 par la juge Élise Poisson, du district de Joliette de la Cour supérieure du Québec.
Le litige trouve son origine dans un incendie ayant détruit un immeuble le 3 janvier 2014. En juillet de l’année précédente, l’assurée portant les initiales L. J. avait fait l’acquisition de l’immeuble résidentiel, sans garantie légale, pour un montant de 25 000 $ payé comptant. Le contrat d’assurance a été mis le 24 septembre 2013.
Par l’entremise de son curateur, la demanderesse, dont les initiales sont J. F., réclame de son assureur et subsidiairement de son courtier, le cabinet Martel Assurances, un montant de plus de 580 000 $ représentant le coût de remplacement de l’immeuble incendié.
Position des défenderesses
L’assureur soutient que la police d’assurance habitation est nulle ab initio, car la fille de l’assurée, dont les initiales sont M. J., a omis ou négligé de divulguer des faits pertinents à l’émission du risque lors de l’émission de la police.
L’assureur ajoute que son refus est aussi basé sur l’absence d’intérêt assurable de la part de L. J., laquelle a agi comme prête-nom pour sa fille.
Comme cette dernière a des antécédents criminels, celle-ci représente un risque moral qui n’était pas acceptable pour un assureur.
Enfin, tant la mère que la fille ont fait preuve d’un manque de collaboration avec l’enquêteur de l’assureur, en plus de lui faire des déclarations mensongères, ce qui entraîne la déchéance du droit à l’indemnisation.
L’assureur dépose aussi une demande reconventionnelle afin de recouvrer les frais engagés au bénéfice de l’assurée pour procéder aux travaux nécessaires à la sécurisation des lieux et faire démolir l’immeuble dans le respect d’une ordonnance de la municipalité.
Le cabinet de courtage plaide qu’aucune faute ne peut lui être reprochée et ajoute que la demanderesse est la seule responsable de l’absence de transparence et d’honnêteté dans la divulgation de l’information pertinente à l’émission du contrat.
Les deux défenderesses contestent également le montant des dommages réclamés, qui est qualifié de « grossièrement exagéré ».
Le contexte
L’assurée L. J. est une dame âgée de 73 ans, et au moment du procès tenu en novembre 2022, est représentée par son curateur en raison de ses problèmes de santé. Elle n’a pas témoigné à l’audience et son interrogatoire statutaire de septembre 2014 est produit en preuve.
Comme l’indique le procureur Lacoste-Jobin, les circonstances entourant l’acquisition de l’immeuble sont un peu floues. L. J. explique alors que c’est le père de ses quatre enfants, qui ne réside plus avec elle, qui a acheté l’immeuble. Il l’a payé et le lui a donné.
L’assurée n’a jamais visité l’immeuble avant son acquisition et l’a vu pour la première après la signature de l’acte de vente chez le notaire. Elle désirait y habiter avec deux de ses petits-enfants. L’immeuble a été acquis par l’entremise de la succession de l’ancien propriétaire.
L. J. affirme avoir dormi dans l’immeuble à environ 5 reprises et a commencé à y déménager des meubles, des appareils électroménagers et des vêtements. L’expert en sinistre mandaté par l’assureur est catégorique et affirme qu’aucun vêtement n’a été retrouvé dans les décombres.
L’assurée ne parle que le créole et ne maîtrise pas le français et l’anglais, ce que confirme sa fille, qui s’occupe de toutes ses affaires. L. J. était absente lorsque sa fille mène des démarches pour assurer l’immeuble.
De l’acquisition jusqu’au sinistre, les deux femmes vont tour à tour en Haïti et le processus d’assurance prend du temps à se finaliser.
Immeuble délabré
L’un des membres de la famille de l’ancien propriétaire témoigne de l’état des lieux. Le neveu de la sœur de l’ancien propriétaire exploitait un commerce de boucherie dans le sous-sol de l’édifice.
La maison est plus que centenaire et elle a été laissée à l’abandon. Outre le sous-sol non fini, la maison comprend un rez-de-chaussée avec salon, cuisine et salle à manger, quatre chambres à l’étage et un grenier logeable.
La maison est encombrée. La tuyauterie est en mauvais état. De l’eau s’infiltre au grenier. La maison construite en 1910 est mise en vente au début de 2013. Vu son état de délabrement, elle n’a pas une grande valeur.
La courtière immobilière qui mène la vente confirme que l’homme qui achète la maison la remet immédiatement à L. J. La notaire témoigne de son côté que la fille de L. J. lui indique que la maison ne peut être mise à son nom sur l’acte de vente, car « elle a eu des problèmes dans le passé qui l’empêchent de le faire ».
On apprend au procès que ses antécédents judiciaires remontent à 2007, où elle a été condamnée pour avoir introduit de la drogue dans un établissement carcéral.
La liquidatrice remet à la notaire un document provenant de l’ancien assureur de l’immeuble, daté de janvier 2010, qui énumérait la liste des modifications requises pour conserver la garantie d’assurance. Les travaux requis n’ont pas été faits.
Une première police est souscrite avec un autre assureur en juillet 2013. Après émission d’une couverture temporaire, l’immeuble est inspecté par un fournisseur de l’assureur. En août 2013, cette préventionniste en sinistre rencontre M. J. et son conjoint et elle croit que c’est la fille de L. J. qui est l’assurée. Un rapport est transmis à l’assureur où elle énumère les travaux à faire.
L’agent d’assurances donne 30 jours à l’assurée pour faire faire les travaux. L’agent ne croit pas que la septuagénaire entend vraiment emménager dans cet immeuble, alors qu’elle n’a pas de voiture et que le secteur n’est pas accessible par le transport collectif. Le 8 octobre 2013, un avis de résiliation de la police est acheminé à l’assurée.
Une nouvelle démarche est faite auprès du cabinet Martel pour assurer l’immeuble, alors même que l’autre assureur réclame des travaux pour garantir la couverture. M. J. prétend que l’immeuble est déjà assuré, mais elle désire changer d’assureur en raison du coût élevé de la prime.
La petite-fille de L. J. se présente au cabinet Martel le 24 septembre 2009 et paie la totalité de la prime en un seul versement. La police est transmise à L. J. à l’adresse de l’immeuble assuré. Ces documents ne seront jamais signés.
Après le sinistre, la représentante du cabinet de courtage contacte la famille de l’assurée. Elle affirme que tous les renseignements inscrits au contrat lui ont été fournis par M. J., notamment sur l’année de construction (1980, au lieu de 1910). De son côté, « l’assurée fait valoir que sa fille a fourni au courtier toutes les informations en sa possession et au meilleur de sa connaissance ».
Le 22 juin 2015, l’assureur avise l’assurée que sa réclamation est irrecevable puisque le contrat était nul au moment du sinistre. La prime d’assurance est remboursée.
Motifs du tribunal
La juge Poisson donne raison à l’assureur concernant l’absence d’intérêt assurable de la part de L. J., qui agit à titre de prête-nom pour sa fille.
Les témoignages de la mère et de la fille se contredisent, mais la preuve établit que la mère représente la fille, et non l’inverse. Le tribunal retient que l’assuré n’a jamais vraiment eu l’intention d’habiter la résidence et que sa fille en est la véritable propriétaire.
Par conséquent, la police émise par Intact est nulle ab initio. Le tribunal analyse néanmoins les autres motifs de négation de la couverture. L’article 2408 du Code civil du Québec prévoit que le preneur du contrat est tenu de déclarer à l’assureur toutes les circonstances qui sont de nature à influencer l’établissement de la prime et la décision d’accepter le risque.
Plusieurs professionnels de l’assurance témoignent devant le tribunal afin d’expliquer ce que fait l’assureur raisonnable lors de la souscription d’un immeuble. L’année de construction est certainement l’un des facteurs importants.
Les témoins disent que le différentiel important entre le prix d’achat de 25 000 $ et le coût de la valeur assurable supérieur de 514 800 $ aurait entraîné un refus de couverture, tout comme le retrait de l’assureur précédent en raison de travaux non exécutés.
Contrairement à ce qu’elle affirme, M. J. est parfaitement au courant de la teneur des recommandations de l’inspection et de la nécessité d’effectuer les travaux demandés dans les 30 jours. Elle n’a aucune intention de les entreprendre. Dès le lendemain midi après avoir pris connaissance de ces recommandations, la fille de l’assurée rencontre un courtier dans un cabinet.
L’immeuble est inoccupé, les travaux exigés par l’assureur précédent n’ont pas été faits et l’assurée n’a jamais eu l’intention d’habiter la résidence. Tous ces éléments constituent une fausse déclaration qui entraîne la nullité de la police.
L. J. est condamnée à payer un montant net de 28 537,80 $ à Intact pour les frais engagés par l’assureur. Comme elle n’a jamais encaissé le chèque du remboursement de la prime, cette somme est déduite du montant à payer à l’assureur.
Lors de cette Revue annuelle sur la jurisprudence en assurance de dommages offerte par Lavery, les deux procureurs ont souligné une autre décision concernant l’intérêt d’assurance. Celle-ci a été résumée par le Portail de l’assurance en janvier 2023.
* Il s’agit d’un des litiges qui a suscité leur intérêt dans le cadre de leur Revue annuelle sur la jurisprudence en assurance de dommages. L’activité de formation était offerte le 19 mars dernier. Les deux procureurs soulignent la contribution de Philippe Juhos, stagiaire à la recherche, à la préparation de leur cours.