Selon l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC), ce sont les petits investisseurs qui souffriront de l’abolition des commissions intégrées. Tout au long du mois de juin, l’IFIC a multiplié les prises de position plaidant pour leur maintien.

L’argument principal qu’a véhiculé l’IFIC est que 79 % des ménages canadiens détenant des placements sont des petits investisseurs, ayant des actifs de moins de 100 000 $. L’Institut tient cette donnée de Strategic Insight (qui s’appelait autrefois Investor Economics), qui en 2015, a publié des statistiques sur les investissements détenus par les Canadiens en 2014.

L’IFIC avance aussi que ce sont 7,9 millions de ménages canadiens qui détiennent des placements par l’intermédiaire des membres de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (MFDA). L’Institut estime par ailleurs que ces petits investisseurs disposaient probablement d’un montant de moins de 25 000 $ quand ils ont commencé à investir. Et l’IFIC conclut en soulignant que 8 petits investisseurs sur 10 ont acheté des parts de fonds communs par l’intermédiaire d’un représentant, citant une étude de la firme Pollara réalisée en 2016 pour le compte de l’IFIC sur ces deux derniers points.

« Les Canadiens détiennent un plus fort pourcentage de fonds d’investissement par rapport au total des actifs financiers que tout autre pays de l’OCDE. L’interdiction des commissions intégrées réduira l’accès aux conseils de placement aux ménages du marché de masse qui disposent de sommes moins importantes à investir. Cette conséquence imprévue aura une incidence considérable à long terme sur la capacité des Canadiens à planifier et à épargner en vue de leur retraite », dit Paul C. Bourque, président et chef de la direction de l’IFIC.

L’IFIC avance plusieurs chiffres pour étayer la thèse de M. Bourque. Tout d’abord, citant une étude du CIRANO réalisée en 2016, l’Institut souligne que les investisseurs qui font appel à des représentants en services financiers voient leur épargne fructifier 2,9 fois plus rapidement après 7 ans que ceux qui le font par eux-mêmes. Cette proportion augmente à 3,9 fois après 15 ans.

L’IFIC cite ensuite une étude de PricewaterhouseCoopers (PwC) qui a calculé les conséquences pour les Canadiens privés de conseils advenant l’abolition des commissions intégrées. PwC en arrive à la conclusion que les Canadiens non conseillés accumuleraient en moyenne 240 000 $ avant la retraite que s’ils avaient accès à des conseils de placement.

Impacts négatifs à long terme

Lors d’une allocution prononcée devant l’Economic Club of Canada, le 15 juin, à Toronto, M. Bourque a de nouveau cité l’étude de PwC. Il y a affirmé que bannir les commissions ingérées aurait des impacts négatifs à long terme sur l’habileté des Canadiens à épargner. « Les investisseurs seront moins enclins à recourir aux conseils d’un professionnel s’ils doivent le payer d’emblée de jeu. Ils auront un bien moindre niveau d’actifs pour financer leur retraite », a-t-il dit.

Avant son allocution, M. Bourque avait demandé aux autorités règlementaires de bien peser le pour et le contre dans leur décision à venir. « Selon l’étude de PwC, il n’y a pas de preuve convaincante que les modèles de rémunération par honoraires versée directement donnent de meilleurs résultats que les modèles à commissions intégrées. Avant d’aller de l’avant, les autorités règlementaires doivent bien comprendre l’effet d’une interdiction des commissions intégrées sur les millions d’investisseurs détenant des parts de fonds communs de placement et sur l’accès des investisseurs canadiens du marché de masse aux conseils financiers. »

Gare aux conclusions trop hâtives

Il met aussi en garde les régulateurs canadiens de tirer des conclusions trop hâtives de ce qui se fait ailleurs dans le monde. Il en donne pour exemple le cadre de la DMIF II, présentement à l’étude en Europe, qui propose d’interdire aux représentants en services financiers indépendants d’accepter des commissions.

« Les services financiers indépendants sont l’un des plus petits canaux du secteur des fonds européens. Ils ne comptent que pour 11 % des actifs. Les banques sont responsables de la grande majorité des ventes de fonds dans les pays où cette pratique n’est pas interdite », dit M. Bourque.

L’IFIC met aussi de l’avant l’exemple du Royaume-Uni, qui a aboli les commissions intégrées. Deux ans après avoir aboli les commissions, le Trésor britannique et la Financial Conduct Authority ont lancé une consultation intitulée Financial Advice Market Review. Cette consultation a permis de constater que la qualité des conseils financiers s’était nettement améliorée, mais qu’ils étaient moins accessibles de sorte que seuls les plus fortunés peuvent accéder et payer pour obtenir ces conseils.

« Les organismes de réglementation du Royaume-Uni ont reconnu que les réformes mises en œuvre dans ce pays, notamment l’interdiction des commissions intégrées, ont créé des lacunes en matière de conseils pour les petits investisseurs. Les firmes ont rehaussé le solde minimal requis dans les comptes et le nombre d’ouvertures de nouveaux comptes pour les petits investisseurs (de 30 000 £ à 100 000 £) a baissé. Le gouvernement met maintenant en place un certain nombre de mesures d’atténuation, dont l’autorisation pour les investisseurs de retirer jusqu’à 1 000 £ de leur caisse de retraite sans conséquence fiscales afin de pouvoir payer des conseils financiers », relate l’IFIC.

La question du devoir fiduciaire

Dans ses prises de position, l’IFIC a aussi abordé la question du devoir fiduciaire, qui oblige à prioriser d’abord les intérêts du client. L’Institut avance que seule l’Australie a adopté une norme sur le devoir légal des représentants d’agir au mieux des intérêts du client lors de la vente d’organismes de placement collectifs aux particuliers.

Aux États-Unis, le U.S. Department of Labor a adopté un règlement qui élargit la définition de « fiduciaire » en vertu de la loi sur la sécurité du revenu de retraite des salariés (Employee Retirement Income Security Act). En vertu de celui-ci, les représentants en placement, y compris les courtiers en valeurs mobilières et les agents d’assurance, qui prodiguent des conseils relativement à des comptes de retraite doivent se conformer à certaines normes fiduciaires, mentionne l’IFIC.

Devant l’Economic Club of Canada, M. Bourque a traité des discussions entourant le devoir fiduciaire au Canada. « Nous sommes en accord avec les régulateurs lorsqu’ils affirment qu’il faut prioriser les intérêts de l’investisseur avant ceux de la firme ou du conseiller lorsque ces intérêts peuvent présenter un conflit. Nous sommes aussi en accord avec les régulateurs des quatre provinces qui ont décidé de ne pas aller de l’avant pour statuer un standard à ce propos, soulignant qu’il n’était pas clair que ce standard améliorerait les règles que les conseillers doivent déjà suivre. » Le Québec, la Colombie-Britannique, l’Alberta et le Manitoba sont les quatre provinces à s’être dissociés de ce standard. Pour M. Bourque, les régulateurs ne doivent considérer que les options qui préserveront l’accès au conseil que les investisseurs veulent avoir, à un prix qu’ils peuvent se permettre. « Les options qui ne répondent pas à ce critère ne doivent être considérées que si elles présentent un bénéfice majeur pour le public. »