L’interventionnisme de l’État dans l’économie a donné des résultats « assez médiocres » au Québec, constate l’économiste Robert Gagné. Selon lui, il serait temps d’essayer autre chose.
M. Gagné est directeur du Centre d’études sur la productivité et la prospérité (CPP) à HEC Montréal depuis sa création en 2009. D’une année à l’autre, son équipe publie le bilan annuel et ses constats demeurent les mêmes.
« On essaie de trouver une nouvelle façon de présenter les résultats, mais les conclusions ne changent pas », reconnaît-il en entrevue au Portail de l’assurance.
Le 2 mars dernier, le CPP publiait son bilan annuel. « Heureusement, nous ne faisons pas seulement cette publication, on en fait d’autres aussi », dit-il.
« Il est vrai que nous n’avons pas beaucoup de succès du côté des réformes », ajoute-t-il.
Le graphique 2 de la page 7 du rapport est selon lui très évocateur. On y compare l’évolution du niveau de vie entre 1981 et 2021 entre 19 pays membres de l’Organisation de coopération pour le développement international (OCDE) et le Québec.
Le Canada était en milieu de peloton il y a 40 ans, en 9e place, mais il a glissé en 14e position. Le Québec faisait mieux que six pays à l’époque, mais il ne devance plus que le Japon et l’Espagne.
« C’est le résultat de 40 ans de politiques interventionnistes du gouvernement au Québec et au Canada », insiste Robert Gagné.
Les crédits d’impôt
Au tournant des années 2000, le gouvernement a proposé différents crédits d’impôt ciblant des activités comme les biotechnologies ou les affaires numériques. Les activités ciblées par une large majorité de crédits d’impôt proposés aux entreprises étaient financées sur la base des salaires admissibles.
En 2015, 57,1 % des crédits d’impôt proposés aux entreprises demeuraient financés sur la base des salaires, ce qui représentait 80,6 % des dépenses du gouvernement à cet égard. Depuis, le gouvernement a tenté de corriger la trajectoire, mais le problème demeure entier, souligne le CPP. D’autres politiques publiques affichent des résultats mitigés.
Les batteries
La veille de notre entretien, le gouvernement venait d’annoncer la création de 200 emplois pour une usine de cathodes à Bécancour, qui serviront à la production de batteries pour les véhicules électriques de General Motors.
« Évidemment, ils n’ont pas été très clairs sur ce que ça va nous coûter collectivement », dit-il. Le Québec offre effectivement l’accès à des minéraux utilisés pour la fabrication des batteries, à des tarifs d’électricité très abordables et à une main-d’œuvre qualifiée.
« En plus, on annonce la création de 200 emplois, mais ça n’est pas ça. On a créé 200 postes vacants », lance-t-il, car les travailleurs qui seront recrutés occupent probablement déjà un emploi ailleurs.
À propos de l’annonce de GM, le communiqué du gouvernement du Québec ne précise pas si le gouvernement finance ce projet estimé à 500 millions $ (M$). Trois jours auparavant, BASF annonçait un projet similaire, toujours à Bécancour. En entrevue, le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, a confirmé que les discussions se poursuivent avec les deux promoteurs. Il a évoqué la participation des deux paliers de gouvernement sous la forme de prêt.
« Après cela, il faut continuer de soutenir (les entreprises), sinon elles vont menacer de s’en aller. Il est normal que ça ne les dérange pas de fermer leurs portes si ça ne leur a rien coûté pour les ouvrir, si c’est nous qui payons », note Robert Gagné.
De l’écoute
Robert Gagné a été membre de la Commission de révision permanente des programmes sous le gouvernement Couillard. Ses propositions semblent trouver peu d’écho dans les officines gouvernementales. Le chercheur fait toutefois la distinction entre l’appareil politique qui reçoit son rapport et la fonction publique.
« Les échos que nous avons est que le gouvernement aime nos travaux et qu’il est prêt à faire des choses, mais pas autant qu’on le voudrait. Évidemment, on n’a pas l’impression que la fonction publique nous aime beaucoup. Ils défendent bec et ongles le modèle en vigueur », dit-il.
Le gouvernement doit démontrer que son interventionnisme dans l’économie donne des résultats, ce qu’il n’arrive pas à faire, selon M. Gagné. Or, « nous leur prouvons, avec des faits et des données, que ça ne marche pas », insiste-t-il.
Au contraire, le Québec perd des plumes comparativement à d’autres pays où le secteur privé est moins dépendant de l’aide de l’État. « Je pense qu’il y a des lobbys industriels très forts derrière cela. Au Québec, l’ensemble des entreprises est surtaxé si on les compare au reste du Canada, essentiellement en raison des nombreuses taxes sur la masse salariale. Mais il y en a un plus petit groupe qui profite largement des subventions. Ceux-là, ils ramassent le pactole et ils sont très actifs à Québec, j’ai l’impression », dit-il.
« Il faut donner de l’air aux entreprises privées, rendre la fiscalité plus concurrentielle, et espérer qu’on obtienne de bons résultats avec ça. Toutes les autres recettes ont été utilisées et les résultats sont assez médiocres », conclut-il.
Anomalie en 2020
M. Gagné profite de sa liberté académique pour analyser et dire ce qu’il veut, dit-il. « On n’invente pas les chiffres qu’on publie. »
Le gouvernement affirme que la productivité a pris du mieux au Québec en 2020, mais le chercheur souligne qu’il s’agit d’une anomalie statistique causée par la pandémie. « Les heures travaillées ont diminué de façon considérable, tandis que la production a diminué, mais un peu moins. Au final, la productivité a augmenté en 2020. Mais elle est revenue au même niveau dès que l’économie a repris son rythme », dit-il.