André Lussier, président de Lussier Cabinet d’assurances et services financiers, déplore que le taux de commissionnement actuel des courtiers en assurance de dommages fasse en sorte que la plupart des cabinets perdent de l’argent en ce moment. Il invite toutefois les courtiers à se réinventer pour devenir des intermédiaires de marché spécialisés dans les services financiers, affirmant que l’argent « traine par terre » au sein de ces mêmes cabinets.M. Lussier a tenu ces propos quelques jours après l’annonce qu’il faisait l’acquisition des activités québécoises de Dale Parizeau Morris Mackenzie (DPMM). Il prononçait une allocution lors du dévoilement du catalogue des activités de formation et de consultation 2014-2015 de l’Institut d’assurance de dommages du Québec (IADQ) et du Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec (RCCAQ), le 1er octobre, dans un hôtel de Montréal.

M. Lussier a alors livré sa vision de ce sur quoi un cabinet de courtage doit réfléchir avant de réaliser une acquisition. « Chaque fois qu’il y a une transaction, nous cherchons à connaitre le profil de l’acquéreur, à savoir s’il a un assureur derrière lui, à apprendre le prix payé, mais aussi à mesurer l’impact qu’il pourrait avoir sur notre organisation. Y a-t-il des employés que nous pourrions aller chercher? D’ailleurs, bien souvent, je songe que si j’avais su qu’il était à vendre, j’aurais tenté de l’acheter. C’est souvent quand la fiancée est mariée que les prétendants sortent », dit-il.

Le PDG de Lussier Cabinet d’assurances et services financiers ajoute que d’importants changements structurels s’en viennent en assurance de dommages. « Ce n’est pas fini, bien au contraire! Ce qui est une menace pour certains peut-être une opportunité pour d’autres. En mandarin, le mot risque s’écrit en deux pictogrammes : un signifiant danger, l’autre, opportunité. Quelle sagesse! », dit celui qui préside une entreprise qui fêtera ses 100 ans en 2015.

Primordial pour un acheteur de se connaitre

Toute acquisition potentielle doit être abordée en fonction des défis auxquels le cabinet est exposé, dit M. Lussier. « Il est primordial pour un acheteur de connaitre tant ses forces que ses faiblesses organisationnelles. Il faut faire un diagnostic approfondi au préalable. Pour cela, on doit faire appel à des experts externes. Ils sont chers, mais ils sont bons. Sinon, on augmente le risque d’erreur », dit-il.

Connaitre la cible, mais aussi les raisons de l’acquérir, est tout aussi important. « Est-ce pour augmenter ses affaires? Est-ce par mesure défensive, pour éviter qu’un gros concurrent provoque une désorganisation? Est-ce pour flatter son égo? L’acquéreur voudra aussi en savoir plus. Quel sera l’impact sur son service à la clientèle? Comment fera-t-il de l’argent? », énumère M. Lussier.

Deux raisons peuvent pousser un cabinet à acheter, croit M. Lussier : la première, augmenter ses forces; la seconde, diminuer ses faiblesses.

« Il faut acheter un cabinet qui va régler certains des problèmes qu’on rencontre, par exemple l’absence de produits de niche. Ou l’amortissement de son système informatique sur un plus grand nombre d’employés. Il faut éviter de faire comme les couples qui vont mal et qui se disent qu’ils vont avoir un enfant pour rétablir les choses. Il faut connaitre ses faiblesses, mais aussi celles de sa cible, sinon ce sera le chaos », dit-il.

L’importance du capital humain

Parmi les autres raisons qui peuvent pousser un cabinet à acheter, on retrouve l’expertise de la cible, de nouvelles manières de faire les choses ou encore de nouvelles réalités démographiques et règlementaires. Il y a toutefois une raison qui surpasse les autres pour M. Lussier : le capital humain.

« Dans nos bilans financiers, on inclut nos automobiles et nos poubelles, mais pas l’humain. C’est pourtant ce qui est le plus important dans l’entreprise, car il est rare. On doit en prendre le plus grand soin », dit M. Lussier. Lussier Cabinet d’assurances et produits financiers est d’ailleurs la seule entreprise en assurance au Québec à avoir obtenu la certification travail-famille.

Il ne nie pas que toute acquisition amène son lot d’incertitudes chez les employés. Il souligne d’ailleurs que six employés de DPMM sont d’anciens employés de Lussier. « Avec certains, on est partis en excellents termes; avec d’autres, ce fut moins le cas. Il faut faire attention. On doit étudier la culture d’entreprise », dit-il.

C’est pourquoi il faut que les gens aux ressources humaines soient préparés adéquatement pour faire un plan d’intégration et d’harmonisation. « C’est extraordinaire ce que ces gens peuvent faire. Il ne faut pas oublier que les employés des deux entreprises vont penser à leurs perspectives d’avancement de carrière. Ils auront peur de perdre au change. Il faut voir si l’opération permet d’augmenter la performance et l’expertise de l’entreprise », dit-il.

M. Lussier a pris part à 67 transactions en assurance de dommages au cours de sa carrière. Elles n’ont pas toutes été des succès. Il dit toutefois avoir fait suffisamment de bons coups pour avoir le gout de continuer.

« Les mauvaises intégrations sont le résultat des erreurs de l’acheteur. Elles peuvent résulter de l’achat d’une mauvaise cible ou encore d’une mauvaise étude. On peut y perdre pas mal d’argent », dit-il.

Il dit aussi avoir analysé les bilans d’une centaine de cabinets de courtage. « C’est épeurant! La plupart des cabinets, au Québec, ne sont pas rentables. Le niveau de commissionnement actuel ne peut supporter leurs couts d’opération. Ça fait dix ans de suite que la prime moyenne en assurance automobile est en baisse, avec une moyenne actuelle de 522 $. Le loyer coute toutefois toujours aussi cher. Même chose pour les timbres, la main d’œuvre ou la technologie. En plus, on perd des parts de marché. Les directs ont des moyens que nous n’avons pas. Ça nous force donc à être imaginatif », dit-il.

Pour Lussier, ça a notamment passé par la création de l’Université Lussier, dont le crédo est « Le savoir nous distingue ». « Ça correspond à notre vision de l’avenir et ça nous distingue de nos concurrents. Pour ce faire, il nous faut avoir les meilleurs employés. Il faut donc qu’ils soient les mieux formés. C’est un travail de longue haleine, qui coute cher, mais ça en vaut la peine. C’est même notre survie », dit-il.

De cabinet de courtage à cabinet de services financiers

M. Lussier ajoute que, dans dix ans, les cabinets de courtage devront devenir des cabinets de services financiers. « Nous ne pouvons pas survivre avec le taux de commissionnement que les assureurs nous donnent en ce moment. Ce taux n’ira pas non plus en doublant ou en triplant », dit-il.

Il dit aussi croire que, dans dix ans, la prime moyenne en assurance automobile tournera autour de 75 $ ou 100 $. « La technologie fait en sorte que nous avons plus d’outils dans nos voitures pour éviter des accidents, que ce soit par des capteurs ou des caméras. Le problème est le pilote. Au moins, ce qui me fait plaisir est qu’une grande partie de cette clientèle est chez les assureurs directs. Ça ne veut toutefois pas dire qu’ils ne tirent pas de revenus ailleurs. Ils sont très actifs dans les secteurs bancaire, financier ou encore collectif. C’est pourquoi je suis content d’avoir mis la main sur un portefeuille de 75 millions de dollars (M$) en assurance vie et en assurance collective chez DPMM », dit-il.

Il importe donc pour les courtiers de bien réfléchir à la manière dont ils vont attaquer cette avenue, dit M. Lussier. « Nous avons tous un client qui nous a un jour dit que son comptable lui a conseillé de s’acheter une assurance vie et qu’il l’achetée à quelqu’un d’autre parce qu’il ne savait pas que nous en vendions. L’argent traine par terre dans les cabinets de courtage! Il nous faut arrêter de nous voir comme des courtiers, et plutôt nous percevoir comme des intermédiaires de marché. »