Les spécialistes de l'après sinistre au Québec veulent que les assureurs reconnaissent leur fonction comme étant une profession à part entière. Ils viennent tout juste de se donner les moyens pour obtenir cette reconnaissance en créant une association le 4 mai dernier. La formation et l'éthique professionnelle seront au cœur de ses préoccupationsContrairement à d'autres secteurs reliés à l'entretien des bâtiments, l'industrie de la restauration après sinistre n'est pas reconnue par le Système de classification des industries de l'Amérique du Nord (SCIAN). La prochaine accréditation du SCIAN se fera en 2012. Un corps professionnel guide toutefois les spécialistes après sinistre, mais il s'agit d'un organisme à but non lucratif établi au nord-ouest des États-Unis : l'Institute of Inspection, Cleaning and Restoration Certification (IICRC).
« En ce moment au Québec, n'importe qui peut acheter de l'équipement et se déclarer compagnie de restauration après sinistre. La formation n'est pas encore obligatoire. C'est le problème de notre industrie.
N'importe qui peut en faire, mais ça ne veut pas dire que ces personnes comprennent les risques qui y sont associés, dont les poursuites. Il faut donc que notre industrie ait un meilleur focus », dit Charles Sabourin, directeur général de Steamatic Canada. Son entreprise emploie plus de 500 personnes et se spécialise dans la restauration après sinistre résidentielle et commerciale.
FIRAS
Pour mieux faire connaître ses revendications, cette industrie a fondé la Fédération de l'industrie de la restauration après sinistre (FIRAS) qui a officiellement vu le jour le 4 mai, la veille même de la fermeture de la présente édition du Journal de l‘assurance.
Lors de son assemblée générale annuelle, la FIRAS a élu Mario Caetano au poste de président. Donald Quirion agira à titre de vice-président, tandis que Nicolas Madore sera secrétaire. Vincent Bégin agira pour sa part à titre de trésorier. La FIRAS dispose aussi d'une permanence et compte sur Éric Vidal comme directeur général.
La première tâche à laquelle veut s'atteler la FIRAS est de traduire en français le manuel de l'IICRC.
« L'IICRC se dit un organisme international. Il ne l'est pas pour nous puisqu'il offre seulement ses services en anglais. On veut quelque chose de francophone pour le Québec. En ayant de meilleures normes de travail, on pourra assurer une meilleure qualité du travail aux compagnies d'assurance et à leurs clients. Ça nous permettrait aussi d'identifier les bons joueurs de notre industrie par rapport à ceux qui présentent des lacunes », dit Vincent Bégin, l'un des membres fondateurs de la Fédération qui a lancé l'idée de mettre en place ce regroupement. Il est aussi président de Fourniture Sélect, un distributeur de produits et d'équipements pour les entreprises de restauration après sinistre et qui est la seule entreprise au Québec à offrir la formation de l'IICRC en français.
M. Bégin estime que la FIRAS comptera une centaine de membres d'ici la fin de l'année. Selon lui, l'industrie de l'après sinistre compte environ 300 entreprises au Québec, qui ont un volume d'affaires total de 500 M$.
La FIRAS est aussi entrée en contact avec Enviro Compétences, un organisme soutenu par Emploi Québec qui établit des normes professionnelles pour différentes professions liées à l'environnement. Enviro Compétences a analysé le travail fait par les spécialistes en après sinistre et a établi que leur profession avait un impact sur l'environnement intérieur des bâtiments, en ce qui a trait à la qualité de l'air.
« Cet appui nous permettra éventuellement de monter une norme professionnelle et d'établir un programme d'apprentissage en milieu de travail. Nous travaillons à faire un sondage auprès de l'industrie pour voir quel intérêt il y a à mettre en place une norme professionnelle. Si le résultat est positif, nous pourrons travailler à avoir une carte de compétences pour assurer une meilleure qualité du travail fait. On pourrait ensuite aller chercher une technique au professionnel », dit M. Bégin.
En ce qui concerne l'éthique de la profession, la FIRAS veut améliorer le service offert aux assurés. « Il y a eu de la négligence dans certains cas, autant du côté des fournisseurs que des assureurs. On veut s'assurer que le travail est bien fait et adéquat. On voit souvent de la négligence lors de dégâts majeurs, comme un verglas ou de la pluie abondante dans les grandes villes du Québec », dit M. Bégin.
Industrie complexe
Christine Dufour, présidente de Sinisco, qui se spécialise dans le nettoyage après sinistre ainsi que des systèmes de ventilation, se dit inquiète de voir autant de gens investir son industrie, qu'elle juge très complexe. Elle est particulièrement inquiète pour les sinistrés qui vivent loin des centres urbains.
« Tout sinistré doit être traité de la même façon qu'un résident au centre-ville de Montréal. Nous avons besoin de formation. Notre but ne doit pas être uniquement de faire de l'argent. Les spécialistes après sinistre doivent être sensibilisés à cela, peu importe où ils sont. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous avons limité notre expansion pour le moment. On va croître, mais avant de le faire, on veut bien contrôler les marchés où nous sommes présents et bien former nos gens sur le terrain », dit-elle.
Mme Dufour ajoute que la complexité de son industrie a augmenté au cours des dernières années. « Il y a eu des abus dans notre domaine, mais comment fait-on pour les suivre? C'est pour cette raison que les assureurs ont voulu uniformiser le marché à leur façon. Ils ont voulu contrôler leurs pertes. Ils n'ont pas eu le choix, car il y avait trop d'abus. Des assureurs nous ont même appelés pour vérifier certaines factures soumises par d'autres fournisseurs. On voyait bien que ça ne marchait pas », dit-elle.
Daniel Pellerin, président de Phoenix, un membre du Groupe CDRG, qui se spécialise en intervention après sinistres, en reconstruction et en décontamination, dit qu'il est essentiel pour son industrie d'avoir une reconnaissance du gouvernement. « En ayant celle-ci, on pourrait avoir des cartes de compétence. Ça pourrait mener à la mise en place d'une programme de formation technique, comme c'est le cas pour le nettoyage de conduits de ventilation », dit-il.
Stéphane Giroux est agent franchiseur pour Systèmes Paul Davis. Sa compagnie se spécialise dans les mesures d'urgence à la reconstruction et la prise en charge de dossiers clés en main. Pour M. Giroux, le principal enjeu de l'industrie est de travailler sur la satisfaction des gens. « Les experts en sinistre nous le disent depuis quelques années : les gens sont plus exigeants. Le consommateur est aussi important que le client assureur. Les deux demandent du service et de la qualité. C'est pourquoi la satisfaction de la clientèle est aussi importante », dit-il.
M. Giroux dit aussi que son industrie devra prendre un virage vert à un certain moment. « Chez Systèmes Paul Davis, on travaille à développer des produits plus écologiques. On introduit graduellement des produits 100 % naturels. Les fongicides sont appelés à disparaître. Les risques de la santé pour la personne diminuent aussi », dit-il.
Charles Rouleau est président de Déshumidification commerciale Charles Rouleau, qui se spécialise dans l'assèchement de gros bâtiments à la suite de dégâts d'eau. Il est dans les affaires depuis 18 mois. Il reconnaît qu'il est difficile pour une entreprise de restauration après sinistres de se distinguer parmi la multitude d'entreprise dans le marché. « L'équipement n'amène pas l'expertise. On retrouve des entrepreneurs après sinistres partout, mais certains ne font pas le travail à fond. Si tu réussis à gagner un client satisfait de ton travail, tu viens de te trouver dix autres clients », dit-il.
Relève et expansion
D'autres enjeux sont à l'ordre du jour des spécialistes après sinistres. Le Groupe Urgences sinistres (GUS) se spécialise en nettoyage et restauration après sinistre et en construction. Il mise ainsi sur la croissance à l'extérieur du Québec. L'entreprise compte sur ses deux premiers franchisés en Ontario depuis peu. Au Québec, GUS compte 232 franchises.
« Un de nos grands défis est de répondre aux différentes normes et politiques des assureurs, qui varient d'une compagnie à l'autre, dit Pierre Bédard, vice-président du développement des affaires de GUS. On doit tout mettre en application par le biais de nos directeurs régionaux. Le domaine de l'assurance change beaucoup et la relève d'experts en sinistres est à surveiller. Ce serait bien s'il y avait une uniformisation. »
Disponibilités
Pour sa part, Éric Harvey, directeur du développement des affaires au Québec du Groupe Qualinet, qui se spécialise dans le nettoyage après sinistre, dit qu'il est difficile d'aller chercher des gens de qualité. « Il y a un besoin de formation continue. Nous avons des disponibilités pour près de 20 franchises, mais nous devons faire une sélection des gens pour garder notre bonne image », dit-il.
Pour Patrick Blais, directeur des opérations d'Experts Drains, qui se spécialise en inspection de fondations et d'égouts et dans le drainage de fondations, le principal enjeu de l'industrie de l'après sinistre est la prévention. « C'est un point qu'on doit travailler, surtout auprès des assureurs. Pour notre entreprise, la sensibilisation doit se faire au niveau du drainage des fondations. Un simple entretien ne coûte que 300 $, alors qu'une réclamation peut s'élever à 12 000 $ », dit-il.