Devant la frilosité des assureurs à assurer individuellement les conseillers, plusieurs organisations de conseillers ont choisi de couvrir l’assurance responsabilité erreurs et omissions (E&O) de leurs membres par des programmes parapluie. Les assureurs y trouvent leur compte en accédant à un bassin de clients qui leur permet de mieux répartir le risque.

Regroupement de conseillers canadiens, Advocis offre un programme parapluie à ses membres à travers le Canada en vertu d’une police unique qui peut couvrir les membres individuels ou les cabinets. Les membres se procurent la couverture par l’entremise d’Advocis Brokerage Services. Le preneur de risque est Ironshore Canada, filiale canadienne d’un assureur des Bermudes qui brasse 62 % de ses affaires aux États-Unis. Le tiers de ses 2 G$ de primes brutes souscrites se compose d’assurance responsabilité.

En raison de conditions de marché défavorables, Advocis a dû hausser drastiquement la prime des cabinets (voir autre texte). De son côté, la prime des conseillers individuels demeure stable.

Le cycle favorable aux conseillers que traverse l’assurance responsabilité E&O pourrait toutefois s’inverser, croit le directeur d’Advocis Broker Services, Robbert McIntosh. « Nous verrons cette année le creux du cycle mou. Les assureurs ont réalisé que le marché était devenu trop mou. Ils regardent leur ratio de perte et vérifient si leur bloc d’affaires est sain. Le changement ne sera pas drastique, mais il y aura une légère augmentation des primes », a-t-il expliqué en entrevue au Journal de l’assurance.

Au Québec, le cabinet d’assurance de dommages la turquoise offre un tel programme depuis 2011 aux membres de l’Association des professionnels en services financiers (ACPSF), par l’entremise de sa filiale la turquoise pro. Elle souscrit le risque auprès d’un syndicat de Lloyd’s, à Londres.

Pierre Lambert, fondateur et conseiller spécial de la turquoise, a appris au Journal de l’assurance que son programme couvrait environ 250 conseillers. Leur profil : ils tirent de leurs activités un revenu annuel entre 50 000 $ et 100 000 $. « Nous avons une bonne expérience », a ajouté M. Lambert. la turquoise a environ 8 000 clients répartis partout au Canada, dont 6 000 sont des conseillers financiers et 2 000 des cabinets. Les trois quarts de cette clientèle se concentrent au Québec.

La fréquence des réclamations qu’observe la turquoise dans l’ensemble de son portefeuille s’établit à 3 % (voir tableau). « Elle est de 3,5 % pour les cabinets et de 1,3 % pour les représentants. » M. Lambert dit avoir un volume d’affaires en E&O de 6 millions de dollars (M$). Le portefeuille est rentable « sauf en 2001 où le ratio de sinistre a atteint 130 $ de perte pour 100 $ de primes », a-t-il confié. C’était les années du décloisonnement des institutions financières et de l’éclatement de la bulle techno, rappelle-t-il.

Or, la législation est stricte en matière d’assurance responsabilité E&O, a rappelé M. Lambert. En vertu de la Loi sur les assurances, les compagnies actives en E&O doivent afficher un ratio de sinistre moyen qui ne soit pas supérieur à 55 % de la prime. « Le législateur nous évalue sur plusieurs années, car le ratio est très volatil. Une année, il a été de 26 % et une autre de 72 %. La perte doit être reportée dans le temps. Il faut la juger après 5 ans pour savoir s’il faudra changer les réserves ou non. »

Dans ce secteur, la plupart des réclamations surviennent en raison d’oublis dans les changements d’adresse, de bénéficiaires ou d’institution bancaire, ajoute-t-il. Elles sont peu fréquentes, mais sont souvent d’un montant élevé lorsqu’elles se produisent, révèle l’expérience de la turquoise. « Les réclamations dans ce secteur varient entre 50 000 $ à 100 000 $, mais il peut en arriver une d’un million de dollars qui fera monter la moyenne », explique M. Lambert.

En vertu de son bassin de clients, la grande majorité des conseillers québécois sont couverts à la fois en regard d’activités d’assurance de personnes et d’investissement. Seuls 25 % sont couverts uniquement en fonds communs et encore moins le sont en vie seulement. Dans le reste du Canada, il sera plus fréquent de voir un conseiller se couvrir en assurance vie uniquement, dit-il.

Il indique que la réglementation impose au marché des règles qui diffèrent d’une province à l’autre. « Dans plusieurs provinces, les limites prescrites sont de 1 M$ par sinistre et 2 M$ pour une période d’un an. Au Nouveau-Brunswick, au Manitoba et en Saskatchewan, où l’expérience est moins bonne, les limites sont de 1 M$ par sinistre avec maximum de 5 M$ en un an », indique M. Lambert.

Le Québec fait bande à part

Le Québec fait bande à part en ce qui touche les conseillers retraités. « Dès qu’un conseiller met fin à sa police, il peut conserver une couverture pendant 5 ans à prix réduit, typiquement entre 500 $ et 550 $. Dans les autres provinces, c’est une couverture d’un an ou parfois rien », explique M. Lambert.

Autre association de conseillers, le Conseil des professionnels en services financiers (CDPSF) offre à ses membres depuis six mois le programme d’assurance responsabilité E&O pour conseillers Alteo. Le cabinet Octave distribue ce programme en partenariat avec le grossiste Groupe Encon, qui en souscrit le risque auprès des assureurs Aviva, ACE et Temple.

Gestionnaire de projet chez Octave, Mathieu Cauchon a expliqué qu’Encon avait accepté de souscrire ce risque en raison du groupe potentiel d’assuré que représente le CDPSF. Il assure que le programme est actuellement en vigueur, mais s’est toutefois fait discret sur le nombre d’assurés. « Plusieurs embarquent parce que leur police actuelle arrive à son renouvellement. D’autres sont intéressés, mais leur police n’est pas encore arrivée à son renouvellement. Ce sera plus facile de parler de l’expérience dans un an », a-t-il dit.

Il a aussi tenu secret le prix demandé. « C’est notre recette. Il serait difficile de la donner et de pouvoir encore nous différencier. De plus, le prix varie en fonction du volume des primes d’assurance du conseiller, son revenu annuel, l’expérience du conseiller et le pourcentage de ses activités dans chaque pratique pour laquelle il est autorisé à exercer », a expliqué M. Cauchon.

Il soutient toutefois que dans l’ensemble du secteur, les primes demeurent assez stables. « Il n’y a pas de crise majeure. Il y a toutefois une demande dans le marché pour les solutions de groupe, car plusieurs conseillers trouvent la protection chère », affirme M. Cauchon.

Il y a toutefois des limites. Octave n’assurera pas les conseillers pour qui les activités d’assurance sont accessoires. « Nous ne pourrons soutenir un courtier en assurance de dommages qui serait seulement actif à 5 % en assurance de personnes. Alteo ne couvrira pas non plus ceux dont l’essentiel de leurs activités sont les produits dispensés », précise M. Cauchon.

Alteo offre une couverture de 1 M$ par sinistre, en vertu d’une limite de 2 M$ par année. Un excédent est disponible sur demande. L’assuré pourra par exemple choisir une franchise de 1 000 $ ou de 10 000 $. À chaque année sans réclamations, celle-ci diminuera de 20 %, révèle M. Cauchon.

Contacté par le Journal de l’assurance, le grossiste Encon a préféré attendre avant de discuter des tendances du marché, son programme avec le CDPSF étant en place depuis six mois, a indiqué sa porte-parole, Margaret Woodruff. Encon ne souscrit plus individuellement le risque d’E&O des conseillers financiers. Le grossiste le fait uniquement par l’entremise du CDPSF. SSQ Groupe financier et iA Groupe financier.

La protection d’Encon est entre autres offerte aux courtiers d’assurance de dommages qui touchent accessoirement aux services financiers. Selon l’analyse que fait Encon de son expérience auprès des courtiers de dommages au 31 décembre 2013, 1 % des réclamations concernent l’assurance vie et la planification financière, alors que 51 % proviennent du défaut d’obtenir une couverture adéquate et 13 % du défaut de donner des conseils appropriés.

Ce créneau requiert un gros bassin de clientèle, pour pouvoir soutenir les sinistres qui y surviennent. « C’est une niche très spécifique pour un produit très limité. J’ai essayé d’avoir du marché, mais nos demandes sont trop peu fréquentes, et le bassin de nos clients potentiels trop réduit », confie-t-elle.

Elle ajoute qu’en E&O aux conseillers financiers, il faut avoir un certain volume pour attirer les assureurs. « Ils ne souhaitent pas travailler avec des comptes clairsemés. Ce sont les réclamations futiles qui sont dispendieuses, car l’assureur doit subir des frais juridiques, même si le juge n’accueille pas la réclamation en fin de compte », dit Mme Boucher.

Elle souligne qu’un assureur n’embarquera pas avec un cabinet en assurance E&O des conseillers en deçà d’un potentiel de 750 000 $ de primes, avec à l’appui une liste de prospects intéressés. « Ce n’est pas pour demain en ce qui nous concerne ni dans 10 ans. Il n’y a pas de place au Québec pour 10 ou 15 programmes destinés aux conseillers. Le nombre de conseillers est limité et la turquoise en détient une bonne partie », a-t-elle commenté.