La place des femmes dans les fonctions de gestion, Isabelle Hudon y croit! À tel point qu’elle a pris l’engagement de poser un geste par jour pour faire avancer cette cause. Toutefois, elle affirme que les femmes doivent prendre elles-mêmes LEUR place pour accéder à des fonctions de pouvoir, bien que cela implique de nombreux deuils pour elles.
[caption id="attachment_10067" align="aligncenter" width="610"] Isabelle Hudon[/caption]
Présidente de la Financière Sun Life au Québec et personnalité bien en vue du Québec inc., Mme Hudon est aussi membre du comité consultatif destiné à promouvoir la participation des femmes aux conseils d’administration, mis en place par la ministre de la Condition féminine du Canada, Rona Ambrose. Le Journal de l’assurance a rencontré Mme Hudon à ses bureaux, le 11 juin. En plus d’expliquer pourquoi la place des femmes dans les fonctions de gestion lui tient autant à cœur, elle en a profité pour faire le point sur ses deux années à la tête de Sun Life au Québec.
De par ses travaux au sein du comité Ambrose, elle dit se rendre compte que le secteur des institutions financières est l’un de ceux qui performent le mieux en ce qui a trait à la place des femmes dans les fonctions de gestion. Elle souligne que le taux de représentation des femmes au sein des conseils d’administration canadiens est de 14 %. En finance, la proportion passe à 22 %. Le cancre en ce domaine est le secteur de l’huile, du gaz et de l’énergie, avec 3 %.
« Lors des discussions du comité Ambrose, nous avons rencontré deux personnes qui siégeaient sur des conseils qui ne comptaient aucune femme. Je les regardais comme si c’était des dinosaures! La défaite du secteur «hors-contexte» ou «non représentatif» ne tient plus la route », ajoute-t-elle.
Même si elle dit qu’il ne s’agit pas là d’une lutte, mais bien d’un enjeu majeur, elle dit regretter qu’on soit encore obligé d’en parler aujourd’hui. « C’est un phénomène qu’on tend à déprécier, car on en entend tellement parler qu’on a l’impression que quelqu’un d’autre s’en occupe », dit-elle.
La présidente de Sun Life au Québec dit ne pas sentir de push back particulier ralentissant les femmes, mais souligne que les gens ne se posent pas assez de questions pour faciliter leur accès dans des postes de pouvoir. « Même les femmes ne s’en posent pas assez », dit-elle.
Elle dit aussi ne pas être dans le camp de celles qui se considèrent comme des victimes ou des opprimées. « Je ne me suis jamais cognée sur le plafond de verre. Les filles, on se met souvent de la colle sur les semelles. On craint d’être la seule au sommet. On veut que tout soit parfait avant de convoiter quelque chose. La responsabilité de vouloir accéder à ces postes-là, il faut l’accepter. On doit faire des choix et délaisser certaines choses pour en faire d’autres. Il est impossible de tout accomplir dans la vie sans demander d’aide ou de donner des choses en impartition », dit-elle.
Pour Mme Hudon, l’une des grandes forces des hommes dans leur vie professionnelle est leur capacité, voire même leur passion, à réseauter. « C’est incroyable la force d’entraide qu’il peut y avoir entre deux gars, même entre deux féroces concurrents. Ils savent se parler entre eux. Ils reconnaissent les défis similaires chez l’autre. Ils sont aussi généreux à donner des conseils et à s’entraider. Le réseautage est ce que l’on doit développer davantage chez les femmes », dit-il.
À titre d’exemple, elle relate avoir récemment organisé un lunch informel avec 15 clientes potentielles en gestion du patrimoine. Ces femmes de carrière ne savaient pas trop ce qu’elles faisaient là, mais chacune en est venue à raconter sa propre histoire et elles se sont vite aperçues qu’elles partageaient les mêmes défis.
« J’ai toujours cru que c’est en posant des questions qu’on apprend beaucoup. Les femmes n’ont pas naturellement un réseau et des connaissances. Pourtant, la richesse de pouvoir échanger peut créer une incroyable force de frappe. Qu’est-ce qui nous manque en ce sens? Nous sommes trop lentes à prendre LA place, qui est d’ailleurs NOTRE place. Il n’y a pas juste les hommes qui sont responsables de cette lenteur », dit-elle.
Un geste par jour
C’est d’ailleurs l’une des raisons qui l’a poussée à se donner comme mission de poser un geste par jour par rapport à cet enjeu. Généralement, il s’agit d’en parler à une personne. Toutefois, son engagement peut prendre une forme différente. Alors qu’elle avait été invitée à une réunion avec des cadres de Sun Life, elle remarqua qu’elle était la seule femme parmi 15 hommes.
« Je leur ai dit qu’ils avaient un sérieux reality check à faire. Pour moi, ces hommes devaient poser un geste sérieux pour changer les choses. Inutile de vous dire qu’ils regardaient tous leurs bottines. Certains m’ont écrit par la suite pour me dire qu’ils n’avaient pas réalisé l’importance de la chose. C’est pourquoi je martèle qu’il est important d’attirer ce talent de haut calibre, dont des femmes », dit Mme Hudon.
Et les résultats sont là, dit-elle. Elle prend en exemple le Réseau de carrière de Sun Life. Il n’y a plus un homme qui lui dit qu’il n’a pas de femmes dans son équipe.
« Je n’ai plus besoin de poser la question. Il y a une croissance importante de la proportion des femmes dans les postes de gestion du Réseau de carrière. La proportion de femmes y atteint 40 %. Il n’y avait que deux femmes dans a gestion du réseau de carrière, à mon arrivée. Elles sont maintenant huit. Ça démontre qu’il est important d’avoir un champion dans l’entreprise pour cette cause et que ça peut avoir un impact. Il ne faut pas craindre de parler de cet enjeu. On n’a qu’à regarder les chiffres. Il faut même en parler au risque de taper sur les nerfs de certains », dit-elle.
Elle se dit très fière du chemin accompli par Sun Life jusqu’à maintenant, mais il y a encore beaucoup de chemin à faire. Elle en prend pour exemple les employés de Sun Life, qui sont 1 800 au Québec. De ce nombre, 80 % sont de grade 6 et moins, soit tous les postes sous les gestionnaires. Ces postes sont occupés à 80 % par des femmes. Dès qu’on passe aux niveaux de gestion, le pourcentage de femmes diminue.
« Ce n’est pas unique à Sun Life, dit Mme Hudon. Il y a toujours beaucoup de femmes au niveau «soldats». Quand arrive le temps de la promotion, on voit le pourcentage chuter. Il y a un lien à faire avec l’âge auquel tu accèdes à ces postes, qui ressemble bien souvent à celui de la première, deuxième ou troisième grossesse. Les femmes y manquent une fenêtre d’opportunités », dit-elle.
C’est souvent là que le bât blesse. Est-ce qu’une femme peut arrêter dans sa carrière pour être à la maison à 16 h 45, quand les enfants reviennent de l’école? Il est impossible de tout faire, selon Mme Hudon.
Elle en prend pour exemple son fils de 17 ans. « Dès son plus jeune âge, je lui ai fait comprendre que pour que sa mère soit heureuse, elle devait être motivée par le travail. J’ai donc cessé de me culpabiliser d’être au travail et non à la maison, et vice-versa. Il faut lâcher prise. C’est le boulet le plus lourd à porter pour une femme », dit-elle.
Des deuils à faire et un parachute
Est-ce plus difficile pour une femme de percer les postes de gestion? Plus exigeant, mais pas plus difficile, assure Mme Hudon. « Il faut vouloir accéder à ces niveaux. Il faut y mettre l’énergie, la patience, la résilience, la force et la foi nécessaires. Il faut y mettre tout ce que le leadeurship exige. C’est très excitant d’être dans un tel poste de leadeur. On ne célèbre pas toujours des succès. Il y a aussi des demi-succès. Pour une femme, le défi est un peu plus corsé. Elle a moins de modèles, moins de mentors. Son réseau est un peu moins développé. Une femme n’a pas la peau aussi épaisse qu’un gars peut l’avoir », dit-elle.
Elle ajoute que les deuils sont nombreux à faire, une fois que ce choix est fait. « Il faut accepter qu’on ne sera pas aimée de tout le monde. Qu’on déplaira à certains avec nos décisions. Il faut dire adieu à la mère parfaite qui est décrite dans les livres comme étant là le matin à attendre l’autobus jaune et à accompagner son fils au Jardin botanique, lors des sorties éducatives. Dès que mon fils est arrivé avec son premier papier de l’école pour une visite au zoo de Granby, je lui ai dit que ce serait impossible pour moi. On doit faire ces deuils. C’est ce qui est le plus difficile. L’hésitation de plusieurs femmes autour de moi est liée au deuil qu’elles doivent faire », dit-elle.
Mme Hudon recommande aussi aux femmes de se porter davantage vers les hommes. « Il y a un réseau masculin extraordinairement puissant qui est pourtant juste à portée de main. Ça ne passe pas par être membre d’une association de femmes. Juste 10 personnes qui s’appellent et qui dinent ensemble de temps à autre peuvent transposer leurs défis ensemble. Elles trouveront réponse à toutes leurs questions », dit-elle.
Elle ajoute qu’elle compte beaucoup d’appuis masculins dans son réseau. « Je ne m’appuie pas juste sur des femmes. Mon réseau, mes mentors et mes coachs, ce ne sont pas que des femmes ».
L’appui des patrons est aussi primordial, dit Mme Hudon. « Ils m’ont souvent fait confiance pour des défis, même si je n’avais pas tout ce qu’il fallait pour le poste. Une femme s’assure souvent d’être équipée à 150 % avant d’accepter une promotion. Un gars sera confortable à 70 %. Il ne s’agit pas de pitcher en haut de sa tête. Si une femme attend d’être équipée et suréquipée, elle ne prendra jamais sa place », dit-elle.
Les femmes doivent aussi prendre conscience qu’elles ont toujours un parachute dans le dos, dit Mme Hudon. « Si une femme atteint son top ou qu’elle n’est pas à sa place, le parachute va s’ouvrir. Il est faux de dire que je n’ai jamais eu d’obstacles et que j’ai tout réussi. Mais je ne perds pas dans la vie. J’ai des succès, des demi-succès, mais jamais de défaites. On apprend d’ailleurs plus des demi-succès que des succès. On y fait plus l’autoévaluation de ce qui a manqué que lors d’un succès », dit-elle.
Elle conseille aux jeunes femmes qui veulent percer les milieux corporatifs en assurance de se procurer l’expertise technique nécessaire à leur avancement. Mme Hudon révèle d’ailleurs qu’elle participe à tous les entretiens d’embauche des gestionnaires chez Sun Life. « Mes collègues évaluent le côté technique. Moi, je veux voir si la personne a les aptitudes de leadeurship nécessaires à la fonction ».
Elle conseille en outre aux jeunes femmes d’avoir plus confiance en elles. « Elles doivent lever la main pour indiquer leurs vœux, leurs souhaits et leurs projets de carrière. Elles doivent aussi afficher haut et fort leurs ambitions. Elles ne doivent pas craindre de partir une, deux ou trois fois en congé de maternité. C’est normal dans le parcours. Ce ne sont pas les gars qui vont accoucher. C’est à nous de s’ajuster, comme entreprise », dit-elle.
Afficher son ambition demeure néanmoins le conseil le plus important, dit-elle. « Il n’y a pas mieux que soi-même pour s’occuper de soi. Les femmes sont plus timides que les hommes à le faire. La volonté de progresser, personne ne va la deviner si vous ne la dites pas. Il faut se chercher des appuis dans l’entreprise qui vont nous aider dans les bons et les moins bons moments », dit-elle.
Comment atténuer leurs craintes? En se remettant moins en question, croit Mme Hudon. « Il faut laisser le modèle de perfection de côté. C’est un deuil à faire. Il faut gagner cette place. Avant de la prendre, on doit la vouloir. Si on regarde la proportion des diplômés, il y a plus de femmes sur les bancs d’école. Ce n’est toutefois pas du jour au lendemain qu’elles seront correctement représentées. Est-ce qu’on est bien préparées face à cela? Il faut être prêtes à faire des choix, car les opportunités sont là. C’est difficile. Est-ce qu’on se sent seule, des fois? Oui! Mais ce n’est pas parce qu’on est seule et que c’est difficile qu’il faut croire que ce n’est pas fait pour soi. Si on attend après les quotas ou d’autres actions, notre place sera encore sur le bord du trottoir, à attendre », dit-elle.
Les entreprises ont aussi un devoir, comme organisation, de briser le cycle de la pyramide et de la chute des pourcentages dans les fonctions de gestion. « Elles ont le devoir de se poser des questions. Pourquoi n’y a-t-il pas plus de femmes cadres dans mon entreprise? Comment répondre à cette situation? Est-ce que ça passe par de la formation? Du mentorat? Est-ce qu’on oblige les gestionnaires à embaucher une femme sur trois pour chaque poste libre? À chacun sa solution, mais on doit se poser des questions. On doit faire tomber des barrières, et c’est en se posant des questions que les entreprises le feront », dit-elle.
À cet effet, elle cite la Banque TD comme modèle à suivre, au Canada. Pourquoi a-t-elle mieux réussi que les autres? « Il y a 56 raisons à cela, mais il y en une qui est incontournable : quand leur PDG a décidé de faire de cet enjeu le sien, les résultats n’ont pas tardé », dit-elle.
Mme Hudon dit ainsi croire qu’on verra plus de femmes dans les fonctions de gestion en assurance, au cours des prochaines années. « C’est un milieu extrêmement technique et rigide, mais quand on regarde la population étudiante en finances, en actionnariat et en gestion, on y voit majoritairement des femmes. En assurance, on travaille aussi des enjeux très humains. Même si on calcule le risque à longueur de journée, ça exige de l’empathie. Et ça, les femmes, on en a », dit-elle.
Elle dit aussi prendre en exemple les conseils d’administration des assureurs, qui sont sensibles à cette réalité. « On doit commencer par en haut. Dès qu’un PDG fait de cet enjeu le sien, ça dégringole vite ensuite dans l’organisation », dit-elle.
Elle rappelle aussi qu’elle n’a pas étudié pour entrer dans ce secteur. « C’est un monde à découvrir. C’est un environnement extrêmement fertile pour le leadeurship des femmes. Il y a beaucoup de modèles. Ce n’est pas rare que j’y côtoie des femmes exécutives. Est-ce qu’il y en a assez? Non. Mais je siège sur un conseil d’administration d’une entreprise du secteur des mines et de l’énergie et il y en a moins », dit-elle.