Le marché canadien de l’assurance vie vient de voir émerger un joueur avec une nouvelle vision, propre au monde du placement : la méthode contrarienne, soit de faire le contraire des autres. Alors que nombre d’assureurs vie délaissent des segments et abandonnent des produits, SSQ réaffirme sa confiance dans l’assurance vie en achetant AXA Vie. Pourquoi? « Parce que nous sommes des preneurs de risques », lance son PDG René Hamel.
Au cœur d’une période de bas taux d’intérêt et de l’imposition de nouvelles normes d’information financière (IFRS), la position de SSQ détonne. Réaliser l’acquisition d’un portefeuille d’assurance vie individuelle peut sembler téméraire, mais M. Hamel dit croire que le moment est toujours bon pour ce faire.
« Nous nous voyons avant tout comme des preneurs de risques. Ce qui distingue un assureur des autres institutions financières, c’est sa capacité d’offrir aux consommateurs des produits avec des garanties étendues dans le temps – et de les respecter. Nous croyons que c’est son rôle fondamental », a dit le PDG de SSQ, de passage dans les bureaux du Journal de l’assurance à la mi-janvier.
Deux phénomènes ébranlent toutefois les convictions de plusieurs assureurs : les taux d’intérêt et les nouvelles normes d’information financière (IFRS). On peut gérer le premier en haussant les tarifs, dit M. Hamel. Ces hausses de prix rendent les produits garantis à long terme moins attrayants. Une situation temporaire, estime-t-il.
Présent à long terme
« La nécessité de protection à long terme, elle, demeure. Nous ne sommes pas uniquement là pour les deux prochaines années. En achetant AXA, nous avons pris position à long terme dans le marché de l’assurance vie individuelle, dit M. Hamel. Le temps fera en sorte que les taux finiront par remonter. »
Les IFRS constituent pour René Hamel un phénomène beaucoup plus menaçant. Les normes envisagées affectent de façon particulière les règles canadiennes d’évaluation du passif actuariel, s’inquiète-t-il.
« Actuellement, nous avons le meilleur des deux mondes : le passif est apparié aux actifs, explique M. Hamel. Si l’assureur doit payer une indemnité d’assurance de 40 millions de dollars (M$) dans 22 ans, il achète une obligation qui atteindra cette valeur à l’échéance. Quoi que fassent les taux d’intérêt entretemps, ce titre vaudra toujours 40 M$ dans 22 ans. »
Or, les IFRS dicteront un taux de référence à partir duquel les assureurs devront évaluer leur passif chaque année. Ce taux pourra varier d’une année à l’autre, indépendamment de la valeur de l’actif détenu en contrepartie. Lorsque le taux de référence chute, le passif augmente de façon importante pour une année donnée. Cela injecte une bonne dose de volatilité dans les résultats financiers des assureurs.
« Les IFRS s’inspirent de l’Europe, où les assureurs ne subissent pas cet effet de levier des taux, car ils prennent surtout des risques à court terme. Leurs activités s’apparentent davantage à celles des banques. Si les IFRS s’appliquaient intégralement, elles viendraient détruire totalement la capacité des assureurs canadiens d’offrir des produits à long terme. Il y a une volonté ferme de notre industrie de défendre l’offre de tels produits. »
La première tâche à laquelle s’attablera le PDG de Groupe financier SSQ, c’est de revamper les produits d’assurance vie individuelle d’AXA. « Nous voulons réactualiser les produits qui ont perdu de l’attrait », dit-il.
Fortement influencé par une commande de son siège social en France, AXA avait mis certains produits à long terme sur la touche au Canada. Or, le portefeuille contient encore de ces produits, précise M. Hamel.
« Notre volonté de les faire vivre est plus grande que celle de l’ancien propriétaire. En achetant AXA, nous parions sur notre raison d’être : nous concentrer sur la prise de risques. Cette stratégie a fait de nous un des assureurs les plus performants des dix dernières années. »
SSQ avait aussi un intérêt géographique dans cette acquisition. Présent dans la région de Toronto, SSQ hérite de bureaux à Vancouver, Calgary et Darmouth. L’assureur élargit du même coup ses capacités de distribution. AXA comptait sur un réseau d’un peu plus de 2 000 conseillers. L’assureur souhaite d’ailleurs tirer partie de la synergie entre le réseau de distribution des produits de vie individuelle et son réseau traditionnel de distribution de fonds.
« Le mariage de deux compagnies de bonne réputation nous donnera accès à des nouveaux conseillers. Nous y voyons un potentiel de croissance. Avant, le représentant d’AXA partait avec une valise de produits d’assurance vie et celui de SSQ avec une valise de produits d’investissement. Aujourd’hui, les deux partent avec une valise complète. »
SSQ prévoit en outre vendre davantage d’assurance vie individuelle que ce que prévoyaient les projections d’AXA, soutient M. Hamel. « En cinq ans, nous pensons augmenter ces ventes de quatre à cinq fois et doubler les ventes de fonds grâce au réseau d’AXA. Le fait d’avoir les deux gammes de produits nous amènera de nouveaux conseillers qui ne voulaient pas d’un fournisseur qui avait seulement l’un ou l’autre », explique-t-il.
SSQ a aussi acquis un portefeuille d’assurance collective de 50 M$ de primes qui apportera d’intéressantes synergies. Ce portefeuille se spécialise dans les créneaux particuliers des travailleurs expatriés, des maladies graves et du décès-mutilation accidentels. SSQ est présente dans les secteurs plus traditionnels de l’assurance collective. « Ils ont développé une niche de produits, mais aussi des clients qui sont souvent de grande taille et répartis à travers le pays », précise M. Hamel.
À la recherche de complémentarité
À la révision du plan quinquennal 2008-2012, en 2010, SSQ inscrivait pour la première fois son intention d’acquérir un portefeuille d’assurance vie individuelle. Son critère principal : la complémentarité.
Avant AXA, les activités en assurance individuelle de SSQ se limitaient à des produits destinés aux participants de régime collectif en départ à la retraite. SSQ maintiendra ces activités.
La première incursion de SSQ dans le secteur individuel remonte au lancement de ses premiers fonds distincts individuels en 1997, les fonds Astra. Ils n’étaient qu’une poignée au début. Maintenant, la gamme en compte près de 80 et la majorité d’entre eux s’étendent aussi bien aux régimes d’épargne collective qu’à l’individuel.
SSQ s’est aussi ouvert davantage au courtage et au secteur privé. « Au sortir de la crise du début des années 1990, le secteur public comptait pour plus de 80 % de nos activités », rappelle M. Hamel. L’assureur de Québec réalise maintenant 55 % de ses affaires d’assurance collective dans le secteur privé.
Profil financier
En 2011, les primes en vigueur de SSQ ont atteint 1,4 milliard de dollars (G$) en assurance collective et les dépôts (activité annuelle) dans les fonds d’investissement ont atteint 1 G$. Avec AXA, le portefeuille d’assurance individuelle s’est établi pour sa part à environ 100 M$ de primes en vigueur. L’actif sous gestion en fonds distincts a atteint 3,5 G$ à la fin de 2011.
De plus en plus important pour l’assureur, le marché hors Québec a pour sa part compté pour 300 M$ des primes d’assurance collective et 250 M$ des dépôts (activité annuelle) dans les fonds d’investissement en 2011.
SSQ estime entre 35 et 40 M$ le bénéfice réalisé en 2011. Cette année, l’acquisition aura pour effet de gonfler de 50 % le bénéfice. Au profit de 40 M$ que SSQ prévoyait livrer en 2012 s’ajouteront 20 M$ de profit en provenance d’AXA. La raison tient au bilan, où le poste des placements d’AXA a été alimenté par la vente de titres.
SSQ a acheté AXA 300 M$ grâce à une injection liquide du Fonds de solidarité FTQ, actionnaire de SSQ à 71 % (l’autre actionnaire est SSQ, société de participation mutuelle, à hauteur de 29 %). AXA n’a par ailleurs pas réalisé les ventes espérées de 190 M$ pour 2011, entre autres parce qu’elle a vendu son portefeuille d’assurance crédit.
Nouvelle équipe, nouveau nom
Le 1er janvier, AXA est devenu SSQ Société d’assurance, et se rapportera à son siège social SSQ Société d’assurance vie. Avec SSQ Auto et habitation, ces sociétés sont chapeautées par SSQ Groupe financier. SSQ Groupe financier n’est pas une entité distincte, mais simplement une appellation, explique M. Hamel.
Actuaire au service de SSQ depuis 15 ans, Bernard Tanguay a été désigné pour diriger le volet individuel des activités de SSQ. Il prend les rênes des activités d’assurance de personnes chez SSQ Groupe financier, où il continuera aussi de superviser l’ensemble des activités du secteur de l’investissement et de la retraite.